La révolte des Chatons d'Or.
Pour leur 7ème édition, les Chatons d’Or s’intéressent aux révolution(s). N’est-ce pas disproportionné pour un festival de communicants de s’imaginer avoir un impact profond sur le monde ? C’est la question que nous avons posée à Marie Duval, conceptrice-rédactrice chez LOLA MullenLowe et primée aux Chatons d’Or 2012, et qui n’a depuis cessé de mobiliser son talent pour des grandes causes.
Quel peut être l’apport de la communication pour le monde caritatif ?
Marie Duval : Les ONG, associations, grandes causes et marques d’intérêt public font face à beaucoup plus de concurrence qu’auparavant. Entre elles, mais aussi pour capter notre attention. Face à ces enjeux, ces structurent souhaitent désormais fonctionner comme des marques, mais elles n’ont pas forcément les expertises nécessaires en interne. Une agence peut alors les accompagner, de par ses métiers mais aussi avec son réseau de talents en externe, qu’il est simple de fédérer pour une cause.
De par leur maîtrise de multiples supports et canaux, les agences de communication permettent aussi au monde caritatif de renouveler les appels au don, le CRM, ainsi que la prévention.
La communication a-t-elle le pouvoir de contribuer à des révolutions, comme le suggère le thème des Chatons d’Or cette année ?
MD : Le mot révolution est un peu fort selon moi. On ne peut pas changer le monde avec la communication. Celle-ci n’est qu’une composante d’un ensemble d’actions et de mouvements de fond qui permettent qu’il y ait derrière de véritables mutations.
Notre rôle en tant que communicants au service des causes, c’est de surprendre les gens, à des endroits où il s’y attendent le moins. Marquer les esprits pour ensuite changer les comportements, ou au moins soulever quelques questions !
Quelles sont les campagnes qui ont induit le plus de changements selon vous récemment ?
MD : Fearless Girl, évidemment, qui s’est inscrite en amont d’une année où les femmes ont libéré leur parole, notamment après l’affaire Weinstein, #metoo…
Like my addiction / Louise Delage par BETC a également été révolutionnaire de par son usage inattendu des supports et codes digitaux. Personne n’attendait une campagne de prévention contre l’alcoolisme de cette façon !
J’ai également été bluffée par la Payphone Bank imaginée par Grey Colombia qui transformait les cabines téléphoniques à pièces pour favoriser le micro crédit. C’était une très belle réponse à un problème de société fort colombien, avec des millions de personnes qui n’ont pas accès aux banques.
Je pourrais également citer les campagnes de TBWA pour AIDES, fortes et touchantes. Lacoste qui a su récemment détourner son logo avec des polos en série limitée dont les bénéfices ont été reversés à l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). FF et le Libé des réfugiés. Ou encore TBWA à nouveau, pour Burns and Smiles, qui œuvre pour les grands brûlés, une cause dont on parle peu… et qui est désormais un peu plus dans nos esprits grâce à la campagne Halloween notamment.
Comment distinguer une communication d’agence sincère pour une cause, et une autre qui ne serait qu’un pro-bono conçu surtout pour être envoyé en festival ?
MD : Les vraies campagnes pour des causes vivent en général sur plusieurs supports. Il y a un film fort, des prints ou une action marquante. Ensuite, on retrouve des newsletters / emailings, des partages sur les réseaux sociaux, une landing page, une actualité sur le site web de l’association, etc.
Un « ghost » caritatif envoyé à Cannes avec un beau case study de deux minutes ne connaît pas de telles déclinaisons. Il faut gratter un peu !
As-tu eu un retour de la part du Don du Sang suite à ton print « Omar m’a sauver » primé en 2012 aux Chatons d’or ?
MD : Avant d’être contactée par le Don du Sang, j’ai eu un retour assez drôle. Si la plupart des personnes m’ont félicité, une personne m’a dit qu’il était scandaleux de remporter un prix avec une telle faute ! (sic)
Plus tard, j’ai eu un retour du Don du Sang qui me félicitait pour le prix obtenu. Cependant, une telle campagne ne pourrait jamais sortir, le sujet étant trop politique, potentiellement choquant, et non relié à la cause. La provocation peut servir une cause, mais il faut que ce soit légitime que celle-ci soit utilisée. Ici ce n’était pas le cas. Mais je n’en attendais pas davantage pour ce qui était avait tout un exercice en cours à l’époque !
Peux-tu nous parler de ton engagement auprès d’ERCI ?
MD : J’ai été volontaire dans un camp de réfugiés sur une île grecque pendant deux semaines. J’y faisais de tout… sauf de la communication ! Comme quasiment tous les bénévoles présents sur place nous apportions avant tout un soutien logistique et moral, afin de faire en sorte que la situation vécue par les réfugiés soit un peu moins un drame.
Je voulais me confronter au terrain. À mon retour, je me suis engagée avec le Secours Populaire pour donner des cours de soutien aux enfants de réfugiés à Paris.
Je suis portée par le caritatif depuis longtemps, que j’alterne ou mène en parallèle de mon métier de conceptrice-rédactrice. La vie en agence ne me permet pas de contribuer à autant de sujets engagés que je le souhaiterais. Car comme me l’a dit un jour un directeur de création « le caritatif c’est bien mais ça ne rapporte pas ! » Or les agences sont des structures économiques qui ont besoin de « tourner ».
Justement, qu’est-ce qui manque actuellement aux agences et annonceurs selon vous pour avoir un rôle plus important dans les causes de notre monde ?
MD : Il faudrait que la communication aille davantage dans la direction de la société qui recherche plus de sens, avec des marques qui s’engagent chaque jour un peu plus.
Le monde des agences évolue néanmoins favorablement avec – on le voit dans les prix créatifs – de plus en plus de campagnes pour des causes qui sont primées. Il reste aux agences à travailler davantage en proactif pour des causes, ce qui est d’autant plus stimulant pour les équipes.