Comment Goodeed relie communication RSE et dons.
Rendre la publicité plus généreuse et utile à la société, c’est le pari de Vincent Touboul Flachaire, président fondateur de Goodeed qui s’est lancé dans l’aventure en 2014 du haut de ses 17 ans. À l’époque, inspiré par Muhammad Yunus (le fondateur de la première banque de microcrédit), son ambition est de démocratiser le don sur Internet grâce à la publicité : Goodeed était née !
L’entreprise accompagne aujourd’hui plus d’une centaine de marques à améliorer leur image de marque, tout en amplifiant leur impact social. La RSE est devenue un sujet prioritaire pour les marques qui n’hésitent plus à s’engager dans une société confrontée à d’importants enjeux environnementaux et sociétaux. Toutefois, même “tendance”, la communication for good en est à ses balbutiements et son efficacité reste déterminante pour des annonceurs, déjà confrontés aux retours potentiellement négatifs de consommateurs en attente de preuves derrière les grands discours. Comme l’illustrait justement la première étude d’opinion de Goodeed et The Good Company intitulée « L’Observatoire du Goodvertising ».
Toutes les marques ont-elles vocation à annoncer chez Goodeed ? Comment convaincre le public de se mettre à la publicité solidaire ? Quels résultats les annonceurs peuvent-ils attendre d’une telle campagne ? Réponses avec Vincent Touboul Flachaire dans cette nouvelle interview Jeunes Loups.
Comment avez-vous eu l’idée de créer Goodeed ?
Vincent Touboul Flachaire : C’est à la lecture du livre Pour une économie plus humaine de Muhammad Yunus offert par ma grand-mère que l’idée de créer Goodeed m’est venue. Cet économiste bangladais, prix Nobel de la paix, a fondé des entreprises sociales dont l’objectif n’est pas lucratif. Elles ont en effet vocation à créer de l’impact environnemental, écologique ou sociétal. J’ai trouvé ça très cool qu’une entreprise puisse avoir un objectif commun, collectif et veuille accomplir quelque chose pour la société. Je ne vois pas l’entreprise comme une simple machine à cash, mais comme un outil pour faire avancer les choses dans le bon sens. Quelque part, la publicité est la quintessence de notre modèle de société actuelle : produire, vendre et consommer. Elle permet aussi d’accéder à plein de services gratuitement, comme Facebook, YouTube, Spotify, etc. Je me suis dit : pourquoi ne pas utiliser la publicité à des fins vertueuses en faisant des dons à des associations sans dépenser un centime ?
Lorsque j’ai commencé, Goodeed était une association, j’étais accompagné de bénévoles, puis j’ai rencontré mes futurs associés, Tristan (CTO) et Thomas (CPO). Nous sommes aujourd’hui une quinzaine de personnes à Paris. La plateforme Goodeed a été officiellement lancée en 2014.
Votre âge a-t-il été un frein ou au contraire un moteur ?
VTF : Il a pu être un frein dans certaines circonstances, et il s’est révélé assez positif dans d’autres, notamment grâce à la presse qui communique pas mal autour de l’entrepreneuriat et surtout des jeunes entrepreneurs. J’avais 18 ans lorsque j’ai arrêté mes études pour lancer la boîte, j’ai donc préféré utiliser mon âge comme une force plutôt qu’une faiblesse.
Après, effectivement, à certains moments, j’ai pu manquer de crédit ou d’expérience. Mais en étant jeune, je n’avais aucun a priori sur un tas de choses, j’étais un peu naïf et assez peu conscient de certaines problématiques, des choses qui paraissaient impossibles me semblaient complètement réalisables car je n’avais aucune expérience de ces sujets. Nous avons réussi à accomplir une chose que des personnes avec de l’expérience dans le secteur de la publicité auraient sans doute considéré irréalisable. Aujourd’hui, notre coût par vue vidéo est plus cher que la moyenne du marché et quelqu’un qui se lance dans la publicité ne ferait jamais ça.
Quelles ont été les réactions des annonceurs face à ce concept ?
VTF : Lorsque nous avons commencé il y a 5 ans, notre objectif était d’associer leur campagne à des valeurs plus positives (le financement d’associations) grâce à un format publicitaire solidaire. À cette époque, quelques marques essayaient de s’engager, on parlait beaucoup de RSE en interne, mais la RSE dans les achats média était alors très loin d’être un sujet prioritaire.
Aujourd’hui, la RSE dans les achats média est devenue un vrai sujet. Nous étions sur une petite vague à l’époque, avec quelques annonceurs engagés, aujourd’hui nous travaillons avec une centaine de marques comme La Banque Postale, Sarenza ou Groupama. Désormais, l’engagement des marques est visible partout : c’est une attente grandissante en interne, que ce soit de la part des collaborateurs ou des futurs employés, des consommateurs ou des associations qui multiplient les actions de boycott.
La RSE est un sujet très abordé par la société civile, les marques sont attendues pour leurs engagements, cela crée de la différenciation et de la préférence de marque.
Notre vision est de dire : la RSE est présente dans la production, le management des ressources, dans la création et le sourcing des produits, mais pas dans la communication en général, et encore moins dans les achats média qui représentent un peu la face cachée de l’iceberg. Nous militons pour que les agences incluent Goodeed dans les plans média proposés aux annonceurs.
Vous rappelez-vous de votre tout premier annonceur ?
VTF : C’était Brice, la marque du groupe Happychic (qui réunit les enseignes Jules, Bizzbee et Brice donc), et aussi l’Établissement Français du Sang, avec Agence 79. Cette agence est d’ailleurs l’un de nos plus gros clients aujourd’hui. Même si le marché évolue beaucoup, nous travaillons toujours avec les mêmes personnes qu’il y a 5 ans, qu’elles aient changé d’agence ou non.
La RSE était un non-sujet il y a 5 ans, aujourd’hui beaucoup plus, avez-vous senti une bascule s’opérer ? A-t-elle seulement eu lieu ?
VTF : Avec Goodeed, nous sommes au centre d’un carrefour réunissant 150 associations partenaires de toute taille (Les Restos du coeur, le Secours Populaire, Handicap International, etc.), plus de 300 000 donateurs / ambassadeurs – c’est la première communauté de donateurs en France (entre 15 et 35 ans environ), et les marques.
Depuis deux ans, nous sentons clairement une tendance de fond (à l’échelle de Goodeed) sur les sujets de la solidarité, mais pour moi, il n’y a pas encore eu de bascule. Comme je vous le disais précédemment, nous nous trouvons sur une sorte de vague actuellement, nous tentons d’évangéliser le marché sur ces sujets-là avec quelques agences et acteurs, mais cela reste une vague. Demain ce sera sans doute un tsunami, mais nous n’y sommes pas encore arrivés.
Le secteur est encore un peu frileux concernant la communication liée à la RSE, même si l’audience est en attente de ça, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons mené une première étude avec The Good Company et ViaVoice pour parler de la communication for good, puis avec YouGov autour de la positivité de la marque que la communication for good engendre.
Comment convaincre le public de se mettre à la publicité solidaire ? Le fait de se décider à regarder volontairement de la publicité n’est pas forcément intuitif… quand bien même les Français se disent prêts à le faire (d’après votre récente étude en partenariat avec YouGov)
VTF : Nous avons deux modèles “utilisateurs” :
– Notre site et notre appli :
Les gens sont inscrits, ils peuvent venir jusqu’à trois fois par jour pour faire des dons à des associations en regardant volontairement les publicités. Ils sont alors dans une démarche proactive. Comment nous les convainquons ? Grâce aux projets que Goodeed propose. Ce sont des gens qui veulent faire des dons, mais n’ont pas forcément une connaissance du secteur associatif et veulent aussi savoir où va leur argent. Lorsqu’ils donnent de l’argent à une association, ils ne savent pas forcément quel projet cela va financer.
– Notre réseau :
Au lieu de voir une publicité quelconque sur un média, nous leur proposons une publicité solidaire qu’ils peuvent ou non regarder. Il est important pour eux de se dire qu’au lieu de regarder une publicité sans but précis, ici elle financera une association. La marque me rend ainsi service en me permettant d’effectuer un don, j’aurais ainsi une meilleure perception de cette marque et de sa démarche solidaire.
Quels résultats les annonceurs peuvent-ils attendre d’une campagne sur Goodeed ?
VTF : Je vais reprendre les statistiques de notre récente étude avec YouGov, car elles étaient particulièrement intéressantes. Pour une publicité de banque classique par exemple, sans message solidaire, en contenu off, nous atteignons +7 points d’agrément à la marque sur le grand public. Ensuite, 14% disent que la vidéo leur plaît beaucoup sans notre format solidaire et 21% l’aiment beaucoup avec. C’est assez parlant. Il y a des différences encore plus radicales sur certaines cibles. Sur les cibles citoyennes, c’est à dire qui font régulièrement des dons à des associations, nous sommes à +9 points d’agrément. Concernant les personnes qui ont des enfants, nous atteignons +11 points d’appréciation.
C’est tout l’objet de ce que l’on propose : si je m’engage dans une communication plus responsable dans mes achats média, le public me le rend bien et ma marque sera perçue de manière plus positive.
Votre modèle pourrait-il s’exporter sur d’autres médias ? D’autres acteurs du marché publicitaire vous ont-ils rejoint, ou complètent-ils ce concept de publicité solidaire ?
VTF : Complètement ! Nous travaillons avec différentes régies digitales, les plus grandes chaînes télé possèdent notre format et peuvent le commercialiser. Sur le site d’une grande chaîne de télévision, en catch-up, je peux voir des publicités solidaires en pré-roll. En plus de notre site et de notre application, nous touchons chaque semaine plus de deux millions de personnes sur sur d’autres médias comme Les Échos, L’Express… Les gens qui ne faisaient pas de dons auparavant ou qui consommaient de la publicité sans en avoir véritablement conscience pourront s’engager en faisant un don.
2020 semble être placée sous le signe de la communication « for good ». Ne craignez-vous un risque de saturation de ce type de messages ? D’autant que les Français se disent plutôt rétifs, du moins voient la communication responsable comme un levier marketing pour vendre plus de produits, améliorer l’image de marque des entreprises, etc. (études Edelman & The Good Company)
VTF : La meilleure communication for good se fera quand nous n’en aurons plus besoin. Cela doit devenir évident pour une marque de vendre des produits / services respectueux pour la planète et bons pour les consommateurs. Donc s’il faut passer par là, nous le ferons. Ce sujet-là doit devenir mainstream. Si les marques ne s’engagent pas dans leur production et dans leur communication, nous n’aurons plus trop le choix. Les entreprises créent énormément d’externalités négatives, elles doivent s’engager sur toute la chaîne, de la production à la diffusion de leur publicité en passant par le recyclage de leurs produits.
Comment voyez-vous la publicité solidaire évoluer dans les 5 ans à venir ?
VTF : Nous sommes un des rares acteurs du secteur à être agnostique des régies : les annonceurs viennent, nous diffusons leurs campagnes sur notre réseau interne (site et appli), mais nous pouvons diffuser n’importe où, sur différents médias. Notre prétention est de dire qu’aujourd’hui près de 640 milliards de dollars sont dépensés en publicité dans le monde en une année. Nous voulons aller chercher une partie de cette dépense et créer une sorte de norme, une autre force que les GAFA pour la publicité responsable.
Aujourd’hui, nous avons financé plus de 200 projets associatifs avec plus de 1,2 million d’euros. L’objectif dans 5 ans est de financer 10 000 projets avec 50 à 100 millions d’euros grâce à la publicité solidaire.