Une digital detox nous rendrait-elle plus créatifs ?

Par Élodie C. le 11/02/2019

Temps de lecture : 10 min

L’interview Jeunes Loups de Boris Lavergne et Thomas Brouchon (Dare.Win).

Avez-vous déjà tenté une digital detox, cette tendance censée nous reconnecter avec nous-mêmes, l’humain en général et la nature en particulier ? C’est peu ou prou ce à quoi ont été confrontés Boris Lavergne et Thomas Brouchon, respectivement DA et CR au sein de l’agence [tag]Dare.Win[/tag]. Lorsque l’agence milanaise Le Balene leur a proposé cette expérience unique – le premier pitch international réunissant deux équipes, l’une exclusivement digitale et l’autre privée de technologie – nos deux jeunes créatifs pensaient évidemment faire partie des dignes représentants de l’ère numérique. Ils se retrouvèrent alors dans l’équipe analogique. Cette première surprise s’est accompagnée d’autres découvertes qu’ils nous racontent dans cette nouvelle interview Jeunes Loups.

Expliquez-nous en quoi consistait cette expérience de trois jours ?

Thomas Brouchon : Tout a commencé avant novembre dernier lorsque Irene Bruni est venu chez nous dans le cadre de la Dare.Win Residency, en août 2017. Pendant cette semaine à l’agence, elle nous a raconté comment ils travaillaient chez Le Balene. Plusieurs mois plus tard, l’agence nous a proposé de participer à une expérience inédite : passer trois jours sur les berges du Rubicon, en Italie, au cours d’une expérience qui verra s’opposer deux équipes dont l’une devra se contraindre à n’utiliser que des outils digitaux et l’autre uniquement des outils analogiques. Le but étant de travailler autour d’un même brief et de confronter les idées des deux équipes.

Boris Lavergne : Tout cela part d’une belle histoire, d’une relation ami-ami entre Dare.Win et cette agence italienne avec qui nous avions passé une semaine à Paris et qui nous ont rendu la pareille en nous invitant dans cette sorte d’Erasmus créatif.
 

D’où est venue cette idée de pitch international ?

TB : C’est une opération à part entière qui visait à mettre en avant les deux agences, mais surtout Le Balene. Chaque année, elle a pour habitude de faire son autopromotion en surfant sur un sujet d’actualité. Il y a deux ans par exemple, l’agence est allée pitcher un client à pied qui se trouvait à 200 km de Milan. L’année dernière, leur brief ciblait les ménagères, ils sont donc allés vivre chez l’une d’entre elles pendant une semaine pour concevoir et présenter leur idée. Et en 2018, c’était la confrontation supposée entre le digital et l’analogique : l’agence est arrivée avec un nouveau concept, celui de remettre en question ses méthodes de travail avec deux équipes, l’une digitale et l’autre analogique. C’est à ce moment-là qu’ils ont eu l’idée de nous inviter. Ils ont produit une grande vidéo promotionnelle pour expliquer leurs intentions – c’est d’ailleurs de cette manière qu’ils nous ont présenté le projet.

Il y avait vraiment cette volonté de confronter ces deux écoles-là et de consolider une réponse créative à un brief qui allait rassembler le meilleur des deux mondes.
 

Quel été le brief du client justement ? Sur quoi avez-vous dû travailler ? Comme s’est opéré le choix des équipes ?

TB : Pour trouver le client et le brief de cette expérience, Le Balene a diffusé un communiqué de presse avec la fameuse vidéo auprès de ses propres clients. Parmi ceux qui ont répondu, celui qui a été sélectionné pour le travail à faire autour de sa marque et de son brief était la marque italienne d’électroménager Smeg, connue pour ses frigos très colorés. Le brief en soi était de travailler sur le futur de la couleur pour Smeg : comment continuer à storyteller cette histoire de couleur qui fait vraiment partie intégrante de la marque depuis sa création.

BL : C’est concrètement ce que l’on a fait pour la marque sur les bords du Rubicon pendant trois jours. Sur place, nous travaillions séparément, avec d’un côté une team digitale qui avait un camp équipé : borne wifi, ordinateur et toutes les technologies à disposition, mais n’avait pas le droit d’en sortir. Et nous de l’autre, dans la team analogique, sans smartphones, seulement pourvus du duo papier/crayon, mais avec le droit de sortir hors du camp pour nous balader et aller à la rencontre des riverains. Tous les soirs, les deux équipes se retrouvaient pour partager, échanger et mettre leurs idées en commun.

Ce qui est drôle, c’est que lorsque Le Balene est venu nous chercher chez Dare.Win, nous pensions faire partie de la team numérique pour apporter un “vent frais” dans le projet, si je puis dire. Et finalement, on nous a placés directement dans la team analogique. C’est-à-dire amputés de nos ordinateurs, d’internet et de tous ces outils avec lesquels on a commencé à travailler. Nous nous sommes donc complètement remis en question pendant trois jours, que ce soit nos habitudes ou notre façon de travailler. Nous nous sommes rendu compte à quel point c’était bénéfique : nous sommes formatés à travailler de telle manière, avec tels outils et processus au quotidien. Être mis à nu comme ça nous a forcés à trouver l’inspiration, à parler entre nous, à réfléchir avant de rechercher l’information immédiatement sur internet, à parler avec des gens au lieu d’aller chercher des insights sur Twitter ou Facebook. Ce qui peut paraître bête dit comme ça, mais c’est ce que la majorité des gens font sans doute en agence.

Concernant les équipes, il y avait neuf participants en tout. Quatre dans l’équipe digitale (1 DC, 1 DA et 2 CR) et cinq dans notre équipe : nous deux et trois de chez Le Balene (Marco le fondateur, Irene Bruni l’account manager et un graphique designer illustration).
 

La campagne présentée au client réunissait donc le meilleur des deux mondes, quelle a été la part technologie et la part analogique. Quelle campagne avez-vous présentée au client ?

TB : Nous ne pouvons pas tout révéler, car certaines choses sont toujours en cours. Le Balene a fait une première présentation auprès de la marque. L’agence retravaille le projet d’après les retours de SMEG. Nous suivons ça de loin, même s’ils nous tiennent évidemment au courant des avancées. Nous ne pouvons donc rien révéler tant que ce n’est pas signé. Cependant, je peux vous dire qu’il y avait une réelle volonté de garder une parité technologique et analogique, ce fut véritablement 50/50 des idées de chaque équipe. Il y avait à la fois une notion événementielle très analogique et une amplification digitale. Les deux équipes ont fourni à peu près la même quantité de travail dans la présentation finale.

BL : La différence ne se ressent pas forcément dans la campagne finale, mais plus dans la façon de travailler et dans ce qui se passait chaque jour. L’équipe digitale n’avait pas le droit de sortir de la tente, quand nous avons pu prendre le train avec l’équipe analogique pour nous rendre dans la ville de Saviano. Le but était de valider des insights observés chez les riverains. Nous sommes donc allés les interviewer dans la rue, caméra sur l’épaule, pour leur demander quel était leur rapport à la couleur, à la marque SMEG, etc. Ensuite , nous sommes allés interviewer une universitaire, historienne de la mode sur la symbolique des couleurs. À travers le prisme de la mode, elle a pu nous renseigner sur toutes ces notions-là. Il y avait une véritable volonté de sortir de notre zone de confort.

Enfin, concernant la campagne à proprement parler, dès le départ, le client n’avait aucune obligation d’accepter le projet si la campagne ne lui plaisait pas, et donc aucune obligation de production non plus. Maintenant, étant donné qu’il y a eu des retours, j’espère que la campagne va se faire.
 

Nous vivons dans un monde ultra connecté, faisant de nous des assistés, du moins des dépendants à la technologie. Comment avez-vous abordé cette detox en intégrant la team analogique ?

BL : Je ne pense pas que l’on vive dans un monde d’assistés ou que la technologie nous desserve. Pour les créatifs, elle nous enferme surtout dans des schémas de pensées et des processus créatifs et de travail qui sont peut-être trop redondants. Ce qu’on nous demande dans notre travail de créatif justement c’est d’aller chercher quelque chose qui n’a pas été fait, de nouvelles choses, de voir la vie d’un nouvel angle. À ce titre, l’expérience a vraiment été positive en ce qu’elle nous a démontré qu’il existait d’autres moyens de travailler.

TB : Pour tout dire, nous étions contents de faire cette expérience. Nous n’avons pas trop paniqué et cela s’est révélé vraiment enrichissant. Nous nous sommes rendu compte que nous étions capables de travailler sans ordinateur, d’avoir des idées cool sans écran. Le digital impose une sorte de barrière : c’est un outil et un environnement froid. Avec cette expérience, sortir, aller s’inspirer de l’extérieur, partir voir des expositions qui sont en rapport avec notre campagne a été très salvateur. Pour nous, c’était d’ores et déjà assuré que nous l’appliquerions désormais plus souvent pour nos futures campagnes.

BL : Cette expérience nous a également permis de confirmer une chose : nous travaillons dans la pub, dans un microcosme parisien. Là, Le Balene nous a placé en pleine campagne italienne, entourés d’Italiens, et non de publicitaires milanais. Cela nous a permis d’élargir le cercle de personnes rencontrées. Et c’est encore un rappel que beaucoup de personnes font de la pub pour les pubards, mais il ne faut pas oublier qu’on fait de la publicité pour le consommateur final. C’est plus intéressant finalement d’aller dialoguer avec une universitaire que de consulter une page Wikipedia. On ne discute pas avec une page Wikipédia.

TB : Solliciter des experts, des spécialistes qui ont passé des années à bosser sur un sujet permet aussi de trouver des angles auxquels nous n’aurions pas pensé.

BL : L’inspiration est partout. On peut tout trouver sur Internet, mais ce n’est pas forcément la marche à suivre. On va juste trouver ce qu’on est allé chercher, le hasard n’est pas vraiment de mise. On se retrouve alors enfermé dans une bulle de filtre.

Finalement l’absence de technologie ne pousse-t-elle pas à être plus créatif justement d’une certaine manière ? À se recentrer sur la création et l’imagination. Pour beaucoup, l’époque des Mad Men dans les années 60 est l’âge d’or de la publicité et on ne peut pas dire qu’ils étaient étouffés par la technologie.

TB : La technologie est dépendante de l’utilité qu’on lui donne et de ce qu’on en fait. Cette expérience nous a montré ce que l’on pouvait faire en mélangeant les deux. C’est bien de varier, de challenger sa propre manière de travailler. La seule chose négative, c’est l’habitude. Nous encourageons d’ailleurs les créatifs à renouveler leurs propres idées, à remettre en question leurs propres habitudes et les dépasser en faisant des choses jamais entreprises jusque là.

BL : C’est briser la routine. Cela peut être de commander un CBO au lieu du Big Mac qu’on mange tous les jours ! L’important, c’est de se renouveler quotidiennement.
 

Est-ce que vous travaillez différemment depuis ?

TB : Aujourd’hui, cela nous arrive de faire des sessions sans ordinateur. D’éteindre les écrans et de simplement discuter de ce que le projet nous évoque. On fait le tour du pâté de maisons, pour s’aérer, discuter avec des gens, chercher l’inspiration ailleurs.
 

Quel est le principal enseignement de cette expérience ?

BL : Il y en a plusieurs à retenir :
1. Sans cesse se remettre en question et renouveler sa façon de travailler.
2. Se rappeler encore une fois que notre meilleur client c’est nous-mêmes, notre agence. Cette agence italienne acquiert une bonne visibilité grâce à ces campagnes depuis trois ans maintenant. Et parfois même plus de visibilité par ces campagnes-là que par les traditionnelles. Mettre son agence en avant, comme nous avons pu le faire avec avec la Fornite Job Interview ou ce projet-là, c’est « tout bénéf ». Dans ces moments-là, on peut vraiment se faire plaisir, car il n’y a pas de barrière client entre notre créativité et ce que l’on peut réaliser.

TB : Nous mettons notre savoir au service de notre agence.

BL : Même si la finalité était de faire une campagne pour Smeg, cette expérience a permis de mettre en avant Dare.Win. Créatifs, faites des opérations pour promouvoir vos agences. Ce sont les projets où vous aurez le plus de libertés ! Autre enseignement, toutes les agences ne travaillent pas comme nous : nous avons découvert le monde du travail en démarrant chez Dare.Win, nous n’avions jamais connu d’autre façon de travailler. Chaque agence a sa manière de fonctionner, ses moyens de produire, de trouver des idées, de pitcher un client. Il faut repérer ce qui marche et voir si on peut se l’appliquer à soi-même.

TB : Cette expérience nous a aussi montré que des collaborations inter-agences étaient possibles. Ce n’est pas fréquent, c’est peut-être un manque de culture, mais je n’ai pas d’exemple en tête.

BL : Il ne faut pas hésiter à entretenir de bonnes relations avec le milieu.

TB : Une dernière leçon : bien manger, cela stimule la créativité. Les Italiens se défendent vraiment à ce niveau !

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