Jean Allary (Artefact 3000) est « l’Antécrise » de la semaine

Par Xuoan D. le 02/11/2020

Temps de lecture : 7 min

"La mission des communicants est d’aider les gens à mieux vivre ensemble."

Alors que la France vient d’entrer dans son 2e confinement de l’année, la Réclame compte résister à la morosité ambiante avec une nouvelle rubrique : L’Antécrise.

Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole à des dirigeant(es) confiné(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech. Le but ? Impulser une énergie positive pendant cette période complexe. Nous nous interrogerons sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi). On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique.

Pour ouvrir le bal, nous interviewons Jean Allary, partner et directeur stratégie d’Artefact 3000. Cet agitateur du planning stratégique ne cesse de mêler fulgurance et bienveillance sur son blog. Un parfait Antécrise, en somme.
 

Comment gardez-vous le moral en ce moment ? Est-ce que cela vous arrive d’être découragé ?

Jean Allary : Il est impossible de nier que l’on est dans un état bizarre, sur la brèche, à vif. Cela m’arrive d’avoir des coups de cafard et des moments d’excitation.

Alors que l’on vit une époque très libérale, très individualiste, je m’accroche beaucoup à l’élan de solidarité qu’on observe. Dans des moments d’égarement, il m’est arrivé de penser que c’était fou de bloquer tout un pays pour quelques lits de réanimation. Mais en même temps, si l’on n’est pas capable de se dire que les bien portants doivent défendre les mal portants, on ne fait plus société.

J’aime les moments où l’État est présent dans la vie des gens. On lui doit beaucoup de choses. On a pourtant tendance à l’oublier.

Cette situation nous rappelle que l’une des missions des communicants est aussi d’aider les gens à mieux vivre ensemble.

Essayez-vous de transmettre cette énergie à votre équipe en tant que manager ?

J.A. : C’est un moment où il faut être très présent en termes de management. D’autant plus au sein d’une équipe où l’âge médian des collaborateurs est autour de 30 ans. Chez eux, la frontière entre le travail et le personnel n’est pas forcément très nette.

Or, l’essentiel des interrogations et du stress liés au Covid vient davantage de la situation personnelle que professionnelle. En tant que manager, il faut savoir prendre la température sur des sujets personnels pour pouvoir prendre les bonnes décisions professionnelles.

Un exemple précis : un collaborateur dont les proches travaillent dans la restauration ou l’hospitalité fera son travail mais ne sera pas serein en plein confinement. Si je ne sais pas cela, je ne peux pas faire preuve d’une empathie adaptée à son égard. Plus que jamais, il faut être capable d’apporter son soutien à distance et de façon distanciée.

On pourrait se contenter de compter sur la responsabilité et l’indépendance des équipes. Mais je crois qu’il faut aller un peu plus loin. Tel un papa poule, je me dois de passer une tête “dans la chambre” (en ayant préalablement toqué bien entendu) et vérifier que tout va bien.


Jean en mode “papa poule passant une tête dans la chambre”

Un client majeur de l’agence vous appelle aujourd’hui. Suite au reconfinement, il veut couper toutes ses communications jusqu’à la fin de l’année. Que lui répondez-vous ?

J.A. : On va d’abord chercher à comprendre ce qui motive ce souhait. L’annonceur pense qu’il est indécent de communiquer alors que les gens se serrent les coudes ? Pour quelles raisons ? Des raisons morales (solidarité avec les commerces non-essentiels) ? Des raisons business (rencontre-t-il des problèmes d’approvisionnement de ses magasins ?) ? Des raisons de ressources (équipes affaiblies par les cas contacts) ?

Toutefois, je ne peux pas nier qu’il y a une punchline que l’on aime chez Artefact : “Don’t waste a crisis.” Et celle-ci se confirme : la plupart de nos clients qui ont continué à communiquer en cette période trouble ont marqué des points. La part de voix coûte beaucoup moins cher. Dans certaines catégories, elle a même été divisée par deux. Et en règle générale, le gain de parts de voix se traduit par le gain de parts de marché.

Comme dans un col du Tour de France, les crises économiques offrent l’opportunité de s’échapper du peloton. Je suis plutôt du genre à motiver les coureurs. Il y a des maillots à pois et des positions sur le classement général à aller chercher.

Autrement, si la marque ne peut / veut plus communiquer pour les raisons énoncées plus haut, nous pouvons profiter de ce repos forcé pour mener des réflexions de temps long : positionnement, segmentation, architecture de communication Et plus prosaïquement se parler. Actuellement, nous organisons des workshops avec nos clients pour se remettre à niveau, se déstresser, se dire les choses, et se serrer les coudes. La solidarité en cours au niveau national se retrouve aussi dans les relations annonceurs-agences. La période resserre les liens.
 

La communication a-t-elle un rôle à jouer face à la crise sanitaire ?

J.A. : Oui, forcément. D’un point de vue institutionnel, nous sommes pendus aux lèvres des dirigeants pour savoir comment agir face à l’épidémie. Il n’y a qu’à voir les records d’audience des interventions du président de la République ou du gouvernement.

Lors de la 1re vague, les marques ont réussi à dire des choses qu’elles n’avaient jamais dites auparavant. LVMH s’est mis à fabriquer du gel. Accor a sanctuarisé 25 % de ses dividendes pour créer un fonds d’urgence pour ses employés et ses partenaires, notamment dans les pays où il n’y a pas de sécurité sociale et d’assurance chômage.

Ne perdons pas de vue néanmoins que la communication est un outil à double tranchant. Positif quand les intentions sont bonnes. Négatif quand elles sont mauvaises.

Le XXIe siècle va être un siècle de changements massifs dans nos modes de vie. C’est par la communication que l’on va apprendre à recycler, à moins prendre la voiture, et à opter pour des produits et services plus vertueux.
 

Et face à la crise économique ? On parle beaucoup des Français qui remplissent leurs livrets A en ayant peur d’une récession durable, qui ne dépensent pas… ce qui va provoquer, in fine, le mal dont ils veulent se protéger.

J.A. : On ne peut reprocher aux Français d’être passés en mode écureuil. Il n’y a rien de plus mobilisateur que la peur. C’est l’émotion la plus difficile à combattre. Personne ne sait quand il y aura un traitement ni un vaccin. Alors on thésaurise en attendant des jours meilleurs.

La consommation intérieure des ménages représente près d’un tiers du PIB de la France. Je comprends pourtant que Bruno Le Maire incite les Français à consommer (notamment pour soutenir leurs commerçants), bien que les tentations manquent en plein confinement.

En revanche, est-ce que les gens qui épargnent affaiblissent la France ? Cette hypothèse remettrait la responsabilité de la crise sur les citoyens. Ce n’est ni juste ni sympa. Et cela oppose l’individuel et le collectif, ce qui est mal venu en ce moment. Je préfère que les gens gardent le moral et se rendent service, quitte à consommer un peu moins.

La France est bien notée sur les marchés, il est possible de lever de la dette à bas prix. Je suis favorable à de l’emprunt que l’on rembourse pendant 10 ans si cela permet de renforcer l’effort de solidarité pour passer cette épreuve tous ensemble.
 

Avez-vous déjà écrit des scénarios de sortie de crise avec les marques que vous accompagnez ?

J.A. : La perception du temps présent est étonnante. Si l’on remonte à début octobre, cela me semble déjà être l’année dernière : le couvre-feu n’était pas encore au programme, et le reconfinement était une projection très pessimiste. Ainsi, on ne peut nier que l’on navigue un peu à vue.

Fin avril, on avait élaboré des scénarios de sortie de crise avec nos clients. On va renouveler l’exercice dès que les courbes sanitaires redescendront, ne serait-ce que parce que cela fait du bien de voir le bout du tunnel. C’est important.

En revanche, lors du déconfinement à venir, il faudra vite changer de braquet. Les gens auront envie d’autre chose, surtout dans la période des fêtes de fin d’année. Les marques doivent faciliter les retrouvailles. Même s’il faut garder nos masques.

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