Laurent Habib (AACC) réagit aux propositions de régulation de la publicité.
Différentes propositions d’associations – Big Corpo des Amis de la Terre, la Loi Evin Climat de Greenpeace – et de la Convention Citoyenne ont convergé à la fin du semestre vers un encadrement de la communication sous le prisme des enjeux climatiques. Même le gouvernement avait anticipé le sujet, avec Brune Poirson confiant à Géraud Guibert et Thierry Libaert la rédaction d’un rapport nommé Publicité et transition écologique, lui aussi rendu public en juin.
La Réclame a tenté de contribuer à ce débat en y dédiant une émission spéciale Les enjeux – la Réclame, et en donnant la parole à David Garbous, un ancien annonceur favorable à un bonus-malus écologique pour les marques.
Nous n’avions cependant pas encore interrogé l’interprofession des agences de communication à ce sujet. C’est désormais chose faite avec Laurent Habib.
Le président de l’AACC et fondateur de l’agence Babel voit au contraire le rôle de la publicité comme largement favorable à la transition écologique. Opposé à une interdiction des publicités pour les produits polluants, combatif au moment de défendre l’apport de son secteur pour le bien commun, Laurent Habib appelle à un véritable dialogue entre les publicitaires et les écologistes, qu’il considère « comme des alliés et non des ennemis ». Entre fermeté et ouverture, le ton de cette interview est donné.
Depuis un mois, le rapport Big Corpo des Amis de la Terre, la proposition d’une Loi Evin Climat par Greenpeace et le travail des 150 membres de la Convention Citoyenne vont tous dans le sens d’une régulation de la publicité face aux enjeux climatiques. Comment avez-vous accueilli cette séquence ?
Laurent Habib : Je fais partie de ceux qui considèrent qu’il y a une urgence climatique majeure. Pas un secteur, pas un domaine d’activité, pas une présence de l’Homme sur les territoires et dans son activité économique ne doit être à l’écart d’une réflexion sur la transition écologique.
L’épidémie de Covid-19 constitue une nouvelle alerte, même si elle est indirecte. Cette crise sanitaire n’est pas une crise climatique. Mais elle questionne nos modes de vie et conceptions du monde.
Pour en revenir aux différentes propositions associatives et citoyennes de juin, j’ai l’impression que la publicité sert de bouc émissaire, sans réflexion approfondie, sans vision globale, et sans concertation véritable. Mon rôle aujourd’hui est de rendre plus clair le point de vue de la filière et de rendre possible un débat avec des gens que je considère comme des alliés et non des ennemis.
Que pensez-vous de la proposition d’interdire la publicité pour les produits et services maritimes, aériens, automobiles et pour les énergies fossiles ? Le premier ministre Jean Castex l’a reprise dans son discours de politique générale, sans viser de secteur en particulier.
L.H. : L’interdiction sectorielle est pour nous la pire de toutes. Cela génère tous les défauts. Il y aura des effets de seuil et de contournement : les investissements publicitaires pour des voitures à moteur essence pourraient être reportés pour des modèles équivalents à la motorisation tout juste hybride ou pour des modèles électriques pas forcément bien produits.
De plus, l’aérien et l’automobile sont actuellement deux secteurs aidés par l’État. Les empêcher de communiquer, et donc de générer du chiffre d’affaires à un moment critique pour eux, reviendrait à ponctionner davantage d’argent aux contribuables pour les sauver.
Que proposez-vous en retour ?
L.H. : Tout d’abord, je recommande la lecture du rapport Publicité et transition écologique de Géraud Guibert et Thierry Libaert.
Ce rapport montre entre autres qu’il faut en finir avec les mentions obligatoires, il y en a déjà aujourd’hui plus de 1 000 et cela ne favorise pas l’information des consommateurs qui les rejettent. À la place, il nous faut des référents de consommation clairs et simples. Dans la plupart des secteurs, il n’y en a pas. De temps en temps un NutriScore, ailleurs les émissions de CO2… À titre d’exemple, les cosmétiques prônent d’un produit à l’autre l’éthique, le bio, le 98 % de produits naturels, le sans paraben ou allergène sans référent évident. Tout cela apporte de la confusion.
Ensuite, nous devons faire évoluer notre secteur, comme chaque secteur doit le faire face à l’urgence climatique. Nous nous sommes intéressés au bilan carbone de notre activité, avec des réflexions sur les modèles de production, via le développement de l’écoconception, le label RSE Agences Actives de l’AACC, et l’intégration d’une notation écologique dans les appels d’offres publics et de nombreux grands groupes. La transition écologique a été pleinement prise en compte par la profession. Mais ce n’est certainement pas assez.
Nous souhaitons tous des tournages émettant moins de carbone. Mais pour cela il faut rendre équivalent le coût d’un tournage en France avec celui d’un tournage en Pologne ou en Slovénie. Or, ce sont les annonceurs qui choisissent la solution la moins coûteuse à chaque fois.
Enfin, face aux enjeux colossaux de la transition écologique, nous devons nous donner une feuille de route commune. Nous en débattrons pendant les États Généraux de la filière communication le 27 novembre, pour une remise au printemps d’un livre blanc et d’une charte d’engagement auprès du président de la République.
Que pensez-vous du lien entre la publicité et la surconsommation climaticide que pointent les différentes propositions d’associations ou de citoyens ?
L.H. : Les écologistes nous associent aux excès et aux aberrations de la société de consommation. Ils nous donnent un rôle de grand Satan. C’est une erreur majeure de leur part.
Le rôle de la publicité n’a jamais été autant favorable à la transition écologique. Nous avons contribué à développer les préoccupations :
– Du bio dans l’alimentation ;
– Du sain et du non-toxique dans la beauté ;
– Du moins de CO2 dans l’automobile ;
– Et de la moindre consommation de l’énergie.
La publicité est en train d’accélérer la transition énergétique. Pourquoi ? Car elle a toujours été en avance des modes de consommation.
Aujourd’hui et demain, la publicité va défendre un modèle de consommation raisonnable et raisonné, conscient et informé. C’est-à-dire un modèle qui intègre à la chose, le sens de la chose, les valeurs de la chose, les modes de production de la chose, et le rapport au monde de la chose.
Ce modèle s’oppose à la consommation débridée, non réfléchie, non consciente et non informée de son impact climatique. Où trouve-t-on ce modèle d’hyper consommation ? Sur les plateformes digitales qui poussent à la consommation irraisonnée via des algorithmes, à tout prix mais surtout à bas prix ! Le Black Friday et son Cyber Monday (e-commerce) renvoient à une consommation compulsive qui est l’antithèse de la consommation que défend la publicité.
Peut-on lutter contre les GAFA ? Leurs moyens juridiques et de lobbying sont colossaux. Apple vient d’ailleurs de remporter une manche juridique face à l’UE concernant son amende de 13 milliards d’euros…
L.H. : Le risque est très grand. Et je vous dis cela en tant que juriste de formation. Je suis persuadé que le droit de la concurrence est assez peu adapté à la lutte contre les plateformes. Le droit de la concurrence régit les verticales, mais n’a pas pu anticiper qu’un acteur comme Google puisse faire circuler ses datas clients entre le search, la mobilité ou encore la santé.
Nous nous évertuons à édicter des règles d’autorégulation. Or les plateformes ne cessent de récuser leurs responsabilités d’éditeurs pour les contenus présents sur leurs supports. Elles diffusent même des publicités interdites, comme en matière de santé ou de finance personnelle, en permettant à beaucoup d’acteurs d’éviter les mentions obligatoires, pourtant présentes dans les publicités TV, print et affichage.
Nous devons lutter contre les plateformes avec toutes les armes juridiques possibles et avec l’Union Européenne. Si Trump n’est pas réélu, cela laissera de la place pour ce sujet. Et si ce travail n’est pas fait aujourd’hui face aux GAFA américaines, cela laissera demain un boulevard pour les plateformes chinoises.
Quel message souhaitez-vous adresser aux associations écologiques ?
L.H. : J’invite les écologistes à se mettre au travail avec les publicitaires, pour améliorer l’information du consommateur et concevoir des campagnes qui influent favorablement sur les comportements. Trouvons un moyen de se réunir et de se parler dans le calme. Cela permettra d’arriver à un projet global qui fasse sens dans une société de consommation en phase avec la transition écologique.
Pensez-vous que ce débat comporte un risque important pour la communication ?
L.H. : Oui. Fragiliser le secteur de la publicité, aujourd’hui, serait grave d’un point de vue social et économique. Et je pense en particulier aux milliers de PME et d’indépendants qui sont liés à notre secteur.
Mais c’est aussi quelque chose qui fragiliserait l’identité culturelle française à travers notamment la production artistique et audiovisuelle, et le monde des médias qui reste économiquement dépendant de la publicité pour pouvoir jouer son rôle d’information et de divertissement.