« Je veux remettre les agences à la place qui est la leur dans la société »

Par Élodie C. le 11/03/2024

Temps de lecture : 10 min

L’interview de Caroline Fontaine, déléguée générale de l’AACC.

Un profil 100% annonceur à la tête de l’Association des Agences-Conseils en Communication ? La nomination avait un petit air de défi. Et ils étaient nombreux à s’amonceler à l’arrivée de Caroline Fontaine à l’AACC dans un contexte de profondes mutations du secteur de la communication. 

Professionnelle de la communication et des marques, passée par Air France et la Mairie de Paris, elle aborde désormais les défis contemporains du monde publicitaire et créatif et délivre sans filtre sa vision stratégique pour l’avenir de l’industrie : valeur et rentabilité des agences, attractivité, arrivée de nouveaux membres remarquée (comme Accenture Song), valorisation de la créativité à l’ère de l’intelligence artificielle et nécessité de repenser la consommation dans un contexte de tensions économiques et sociétales. 

Échanges directs avec Caroline Fontaine, déléguée générale de l’AACC.

Cela fait six mois que vous êtes entrée en fonction, quelles ont été vos premières actions et priorités ?

Caroline Fontaine : À mon arrivée, la feuille de route de l’AACC était déjà très précise, Bertille Toledano (BETC) et David Leclabart (Australie.GAD) venaient d’être réélus pour un second mandat. Mon rôle est de dérouler opérationnellement la vision qu’ils portent autour de quatre chantiers prioritaires : 

– la valeur (et la rentabilité des agences) ;
– l’attractivité
Recruter et faire venir les talents au sein des agences. C’est l’outil de production numéro un, même à l’heure de l’IA, puisque sans talent, elle ne sert pas à grand-chose. C’est un sujet d’actualité car les journées agences ouvertes arrivent le 19 mars prochain ; 
– la RSE ;
– la relocalisation des productions.

Ces quatre chantiers/outils peuvent être réunis sous un grand chapeau, celui de la réputation des agences en général. 

Ensuite, le sujet des compétitions est important puisqu’il reste un point de tension pour les agences, en ce qu’il touche à leur rentabilité. Au-delà de ces chantiers externes, d’autres démarches internes ont été lancées pour redéfinir l’identité de la AACC (À quoi elle sert ? Quel est son rôle ?) et les services proposés aux agences. Nous avons donc entamé une refonte complète de notre site, ce qui n’a rien d’anecdotique.

Enfin, il était important de travailler le collectif au sein de l’AACC. Un collectif formidable à observer : les agences se livrent des combats très forts lors des appels d’offres, mais à l’AACC, elles déposent les armes et réfléchissent de manière collective à des sujets communs. Chacun apporte, de manière très ouverte et honnête, une vision sur ses enjeux. C’est un lieu de partage, cette camaraderie est très importante et nous souhaitons en tirer le meilleur et le proposer à tous nos adhérents.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le secteur de la communication doit faire face aujourd’hui ?

C.F. : Le défi numéro un, c’est la valeur, tout tourne autour de ça. Les agences sont confrontées à des enjeux de rentabilité extrêmement durs. L’arrivée de l’IA va-t-elle détériorer encore plus notre rentabilité ou, au contraire, nous permettre de faire (enfin) comprendre la valeur d’une idée, sa concrétisation physique ? Les agences créatives sont paradoxalement moins rémunérées que les cabinets de conseil, alors qu’elles ont une vision très stratégique des enjeux d’une entreprise. Elles s’engagent, au travers de la création, dans cette réalisation. 

L’IA est peut-être une opportunité de démontrer que la valeur, ce ne sont pas seulement les assets déployés, mais l’idée et la stratégie apportée en amont. L’IA n’est que l’extension d’une idée et d’une valeur créative. 

L’autre défi, c’est l’attractivité : les jeunes talents, et notamment les jeunes créatifs, sont nécessaires aux agences, car ils font bouger les lignes. Elles ont besoin de diversité puisqu’elles parlent à la société et se doivent d’en être le miroir. Nous avons différentes actions mises en places : 

– Le programme IIN, autour de la diversité et de l’inclusion, est réalisé en collaboration avec l’association Les Déterminés : 15 jeunes issus de quartiers prioritaires sont formés et intégrés en agence via un contrat de professionnalisation en alternance expérimentale de 6 mois (avec Oreegami) pour parachever leur formation.

– La journée Agence Ouverte dont l’objectif est de montrer les gens/profils derrière les publicités et les agences. C’est l’illustration de deux écueils : l’agence n’est pas un monde fermé auquel ils n’ont pas accès et elle n’est pas le porte-voix d’une société d’hyperconsommation. Ce n’est plus le cas. Les agences peuvent avoir un impact sur la transformation des comportements et donner envie d’une autre société.

La valeur est un point de tension de cette relation : les agences se plaignent de ne pas être reconnues à hauteur de la valeur créée. Comment appréhendez-vous ce sujet ?

C.F. : Déjà, en l’exprimant, sans peur de l’évoquer. J’ai un profil 100% annonceur, je n’ai jamais fait d’agence, d’où “l’intérêt” de mon profil. Je sais la valeur apportée par une agence : un point de vue, un angle, un recul, et in fine, une création qui va porter votre marque.

Il faut poser le débat et dire qu’il y a un sujet qui trouve son paroxysme au moment des compétitions. En revanche, il faut réfléchir à la globalité de la relation agence et marque, ce que nous faisons avec l’Union des marques par exemple. Nous travaillons également à l’élaboration d’un guide de relations agences et marques, car la pédagogie est indispensable. Il faut dire les choses lorsque des compétitions ne sont pas acceptables. On le dit en direct avec la marque concernée, mais on agit derrière.

Ce point de tension doit s’apaiser afin que chacun comprenne que ce sont ces types de partenariats qui permettent aux marques de se construire à long terme. On le voit, plus la relation est longue et solide, plus elle est efficace. C’est gagnant-gagnant.

Pouvez-vous nous détailler les grandes lignes de la stratégie que vous souhaitez mettre en place pour l’AACC ? 

C.F. : Nous identifions les sujets présents et à venir au sein de notre communauté. Tout le monde a parlé de l’IA par exemple, nous avons fait le choix d’emprunter une voie différente, comme lors de ce séminaire où les agences membres de l’AACC les plus avancées sur le sujet – dans la production, le planning, les ressources – ont fait profiter de leur expérience aux autres. 

Trois groupes de travail ont été créés autour d’enjeux opérationnels forts : 

– business, pour que l’IA soit valorisée auprès de nos clients. Ce n’est pas parce que l’IA offre un gain de temps que les annonceurs peuvent demander à payer moins d’honoraires : l’achat et la formation des équipes sur l’IA représente un investissement, de même que le recrutement de très bons profils ;
– RH pour accompagner les agences sur les sujets/enjeux de formation à ces outils ;
– juridique pour savoir précisément ce qu’il est possible de faire ou non.

Ma stratégie est simple à résumer : remettre les agences à la bonne place au sein de la société et dans les enjeux de réputation. Elles sont fortement attaquées, notamment par des visées réglementaires complètement délirantes parfois. Les espaces d’expression sont de plus en plus réduits, et la tentation de les limiter est permanente, soit au travers d’actions militantes, soit au travers des pouvoirs publics.

Nous faisons face à des enjeux d’influence pour expliquer que la suppression des possibilités d’expression nuit au débat public et à la faculté des gens d’adhérer à une nouvelle vision commune de la société, vers laquelle nous devons tendre. C’est dommageable puisque cela détruit une partie de la valeur des entreprises et des agences alors qu’elles sont de vrais acteurs du secteur culturel et créatif français. Elles font travailler des intermittents et elles révèlent des jeunes talents extraordinaires. L’industrie contribue à faire vivre ce terreau culturel et on s’en réclame, je n’ai pas honte à le dire.

On parle beaucoup de décroissance actuellement. Qu’en pensez-vous ?

C.F. : Nous avons deux ministères de tutelle, Bercy (économie) et Valois (culture) dont on se réclame complètement : il ne peut pas y avoir d’économie de croissance sans une communication pour accompagner les marques. C’est impossible, cela n’existe pas. Je crois que le patron de Coca-Cola disait « If you don’t believe in advertising, stop advertising ». Dans le contexte politique actuel, il n’est pas demandé de décroissance. 

En revanche, le choix d’une autre consommation est un autre sujet, en lien avec notre pilier RSE. Les agences ne sont pas assujetties aux fameux contrats climat, elles n’y ont pas moins contribué. Pourquoi ? Parce qu’elles doivent accompagner leurs clients pour qu’ils en aient une pleine connaissance. 

Évidemment, cette tendance de fond, « il faut consommer différemment », est pleinement intégrée par les agences. Cela ne signifie pas pour autant qu’on ne communique pas, au contraire, vous avez besoin de communiquer pour accompagner un mouvement sur lequel tout le monde n’est pas aligné. Quand vous faites face à des problématiques de pouvoir d’achat, ce qui est le cas, malheureusement, de la majorité des Français à l’heure actuelle, c’est compliqué à entendre et à appliquer. 

Sans transition : La déferlante Metoo et BTA a-t-elle été digérée par l’industrie ? Comment l’AACC gère-t-elle et prévient cela désormais ?

C.F. : Je n’étais pas là au moment où tout cela est arrivé. En revanche, de ce que j’en vois aujourd’hui, le travail a été fait et pourrait même servir d’exemple à pas mal de secteurs. Nul n’est parfait évidemment, on ne pourra prévenir tous les comportements individuels problématiques, condamnés et condamnables. L’AACC a mis en place un certain nombre de formations, des lignes ouvertes et une objectivation des choses au travers d’études menées à intervalles très réguliers pour rester dans une démarche d’amélioration perpétuelle. 

L’arrivée d’Accenture Song parmi les nouveaux membres de l’AACC a produit son petit effet, adoubant ainsi les ambitions et la normalisation d’Accenture en tant qu’agence de communication ou une nécessité ?

C.F. : Je suis très claire là-dessus : Accenture Song est un nouvel acteur majeur du secteur publicitaire et de la communication français. Je ne vois pas pourquoi on aurait refusé l’arrivée d’Accenture Song, dont je me félicite. C’est un mouvement très important et intéressant. L’AACC est ouverte à tous les métiers de la création, d’Accenture Song à Media.Monks en passant par l’agence 4uatre. 4uatre est une agence de branding, son entrée raconte aussi la stratégie que j’essaie de porter : l‘AACC est prête à accueillir l’industrie des métiers de la création. Tous ont pleinement leur place, ils sont là pour nous aider à avancer, à évoluer, à partager leur best practice. 

L’AACC a-t-elle vocation à intégrer d’autres types d’agences déjà représentées dans l’interprofession comme les agences design ou RP ?

C.F. : Nous en comptons quelques-unes déjà. Le lien assez ténu entre le corporate, la communication, l’influence, l’esprit d’ouverture est indispensable. Il y a quelques spécificités, mais nous devons être tous ensemble pour porter nos métiers et les défendre. Cela se fait sous l’égide de la filière communication.

Après, si une agence centrée sur les enjeux de création vient frapper à la porte, je ne vois pas au nom de quoi je la refuserais. Les nouvelles arrivées sont un apport considérable. 

C’est une ritournelle : le modèle agence serait attaqué. Force est de constater qu’il résiste. Qu’en pensez-vous ? 

C.F. : On en revient au sujet de la valeur. L’AACC mène des réflexions et accompagne ses membres sur les enjeux business. C’est tout le travail réalisé sur l’IA. Quelle est la vision derrière cet outil, comment cela se passe à l’international ? Nous échangeons beaucoup avec nos confrères européens, par exemple, pour étudier les adaptations et transformations business opérées.

Justement, au chapitre des menaces, l’IA, génératives notamment, fait beaucoup parler d’elle ces derniers mois, quel est le sentiment du secteur, comment appréhende-t-il le sujet ?

C.F. : L’AACC construit une réflexion commune et partagée sur la meilleure manière d’aborder ce mouvement pour préserver, voire améliorer la rentabilité des agences et pour s’assurer d’une adaptation RH appropriée. Les groupes de travail avec des livrables / best practices commencent à peine. À l’heure actuelle, l’IA est une extension des possibles. Elles nécessitent une acuité encore plus forte de la stratégie, de la vision et de la capacité à briefer. Nous devons devenir plus fort et encore plus exigeants, ce qui se matérialisera en réalisation et en production immédiate de résultats. C »est une révolution extraordinaire.

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