L'interview de Sylvie Tarbouriech, directrice marque et communication marketing.
Que peut-on souhaiter à une compagnie aérienne, marque française emblématique, qui fête ses 90 ans, trois ans et demi après le coup d’arrêt mondial qu’a représenté la pandémie ? Après avoir fait du ciel le plus bel endroit de la terre, Air France a vu ce lockout redessiner les cartes du ciel et rendre impérieux des enjeux de durabilité peu associés au transport aérien.
Après 20 ans de collaboration fructueuse et iconique avec BETC, Air France s’est repositionné autour de ses fondamentaux et son ADN avec Aura by Omnicom. Comment la communication a-t-elle accompagné la reconstruction d’Air France ? Quid de la durabilité dans le cadre de cette reconstruction ? Entre flight shaming et record historique sur une journée pour l’aviation commerciale cet été, la communication de la compagnie peut-elle naviguer entre ces deux contradictions ?
Sylvie Tarbouriech, directrice marque et communication marketing Air France nous répond dans ce nouveau Parole d’annonceur.
Quels sont les défis de la marque Air France en termes de communication ?
Sylvie Tarbouriech : Ce sont ceux de l’entreprise tels qu’ils ont été fixés fin 2019 par le directeur général du groupe Air France-KLM, Benjamin Smith : positionner Air France comme une compagnie haut de gamme et premium et aller chercher la croissance là où elle est en s’adressant aux marchés étrangers, sans négliger notre marché naturel, la France.
Puis la pandémie est arrivée. Nous ne nous sommes pas arrêtés de travailler, au contraire, nous avons fait un appel d’offres, très large, nous nous sommes ainsi réinterrogés sur notre façon de travailler et sur nos problématiques. Le défi était de parvenir à concilier/réconcilier le brand building et le commerce marketing : construire tout l’univers de marque tout en étant efficaces dans nos campagnes commerciales. Nous avions alors tendance à dissocier les deux : la communication/publicité pour construire la marque et le digital/marketing pour les opérations commerciales récurrentes. Nous voulions construire cette cohérence en amont pour investir tous les niveaux du brand funnel, la notoriété, la considération et la conversion des ventes. Et ce, mondialement, Air France est une marque internationale, nous devions donc nous affirmer à cette échelle tout en tenant compte des spécificités des différents marchés, soit plus d’une centaine, et tout cela dans un budget contraint.
Cela nous a amené à faire des choix, à prioriser 9 marchés stratégiques — la France, avec une stratégie à part entière — pour lesquels nous ne mettons pas les mêmes moyens en termes de création et d’achat média. Tout cela a redéfini notre façon de travailler : avec une marque globale, nous sommes tenus de collaborer avec une agence présente à l’international et sur nos marchés stratégiques, tout en étant installée à Paris.
Vous fêtez cette année les 90 ans d’Air France en célébrant 9 décennies d’élégance. L’élégance est aussi la signature de votre dernière campagne de 2022 : pourquoi ce positionnement, quelle stratégie il recouvre ?
S.T. : Cet anniversaire intervient plus d’un an après notre reprise de parole en média pour lancer notre nouvelle signature de marque (en mai 2022). Ce nouveau positionnement coule de source : en me replongeant dans les archives de notre service Patrimoine, je me suis rendu compte que l’élégance avait déjà été la pierre angulaire de notre stratégie. Et c’est logique, puisque cela fait 90 ans que l’élégance est l’ADN de la compagnie.
C’est un positionnement naturel qui collait parfaitement avec la stratégie exprimée par Benjamin Smith et Anne Rigail (directrice générale d’Air France, NLDR) : faire venir le monde vers la France, pays le plus visité au monde, même après la pandémie, en embarquant cet imaginaire autour du pays de l’art de vivre, du plaisir, de l’élégance et du style. Et ce, tout en opérant une montée en gamme de l’expérience de marque et donc de la marque elle-même. Ce positionnement stratégique a été résumé en une phrase par Benjamin Smith, “Air France has to showcase the best of France”. Quelques mots qui furent la ligne directrice de ce qui a suivi. Au moment de nous demander, avec l’agence, “c’est quoi le meilleur de la France ?”, d’en extraire la quintessence et l’essentiel, c’est l’élégance qui est ressortie.
Comment la définissez-vous ?
S.T. : Cette élégance à la française est indéfinissable puisqu’on la résume souvent à un “je ne sais quoi” que le monde entier reconnait à la France. C’est l’addition de petits riens qui font presque tout. Ce que les Français font naturellement sans parvenir à le définir, d’où l’importance de travailler avec une équipe de communication/création française.
L’élégance est aussi ce qui vient à l’esprit de nos clients et de notre personnel quand on leur demande de définir la compagnie, et c’est ce que j’ai retrouvé en fouillant dans les réserves du patrimoine pour préparer les festivités : l’élégance du design et de l’architecture avec Raymond Loewy, Charlotte Perriand, ou cette grande dame du design, Andrée Putman, derrière le design intérieur du Concorde en 94, ainsi que des arts de la table (en mixant porcelaine de Limoges, couverts en métal argentés Christofle et set de table en lin et chanvre).
Notre objectif en communication était d’accompagner la stratégie d’Air France, de la rendre lisible et visible, de recharger en désir la marque. Mon travail consiste à gérer rationnellement une marque éminemment émotionnelle. L’élégance, dans tous ses détails, est ce qui rend la marque désirable.
Comment définiriez-vous l’identité de la marque Air France aujourd’hui, et comment cette identité a-t-elle évolué au fil du temps ?
S.T. : Son identité a évolué parce que Air France est ancré dans son époque. Mais l’élégance a toujours été la marque de fabrique de la compagnie, quand bien même l’élégance des années 50 n’aurait rien à voir avec celle de 2023. Celle d’aujourd’hui est surtout faite d’excellence, des produits et services, dans l’exigence et l’expertise des moindres détails et de tous nos métiers. Le film des 90 ans a d’ailleurs été tourné dans un endroit que personne ne voit habituellement, celui des ateliers de la direction de la maintenance (Air France Industries).
L’élégance, c’est aussi le respect, l’attention à l’autre, la façon dont on s’adresse à lui quel qu’il soit. Si je devais qualifier l’élégance d’Air France, ce serait une élégance bienveillante, chaleureuse, mais pas familière ni guindée. Surtout, l’aspect fondamental pour la marque, c’est le plaisir. Il ne peut pas y avoir de voyage, sans plaisir.
L’identité d’Air France, c’est aussi, de manière plus formelle, les codants :
– un logo très bleu-blanc-rouge ;
– Air France avec son accent rouge comme un rappel au drapeau français ;
– depuis 2022, avec Aura by Omnicom, la quasi-totalité de notre encrier coloriel visuel est en bleu-blanc-rouge ;
– une musique Les moulins de mon cœur, de Michel Legrand, chanté par Juliette Armanet dans le film de marque. C’est la réconciliation d’hier et d’aujourd’hui, avec un souffle de modernité.
Y a-t-il des moments ou des campagnes de communication qui, selon vous, ont particulièrement marqué l’histoire de la marque ?
S.T. : Toutes. Et c’est l’un des points forts d’Air France. Il suffit d’aller voir l’exposition pour admirer toute la période des affichistes qui sont de véritables œuvres d’art (les planisphères de Lucien Boucher, Jean-Michel Folon, René Gruau, George Matthieu, etc.).
Il y a eu :
– la campagne “L’art du voyage” où Air France faisait appel à des artistes pour peindre, sculpter, photographier un des atouts de la compagnie ;
– la campagne “billet” pour Air France vacances : un billet avec des stries tricolores venait habiller une selle d’éléphant pour l’Inde, une aile de moulin pour la Hollande, un tramway pour San Francisco, etc. En France, c’est devenu une véritable saga de saison en saison ;
– la campagne “Gagner le cœur du monde”, avec la voix inoubliable de Jeanne Moreau ;
– les campagnes mythiques “Faire du ciel le plus bel endroit de la terre” : je ne peux omettre de mentionner les films et visuels iconiques de ces campagnes. Cette signature a duré plus de 15 ans, avec les films de Michel Gondry ou “L’envol” avec Benjamin Millepied ;
– la pétillance de “France is in the air”, toujours avec BETC.
Toutes ces campagnes collaient à chacune des époques. Puis arrive la pandémie. On ne pouvait plus être dans la pétillance, l’époque avait changé et nous devions revenir à nos fondamentaux. Nous nous sommes recentrés sur cet ADN, avec cette élégance et nos codants, non pas pour faire “cocorico”, mais parce que c’est Air France et que cela parle aux gens du monde entier.
Y a-t-il eu des changements significatifs dans le message ou le ton de votre communication en réponse à la pandémie ? Comment la communication accompagne-t-elle la reconstruction d’Air France ?
S.T. : La pandémie a marqué l’arrêt de nos campagnes publicitaires et de tous nos avions. Pas complètement au début, puisque Air France a été l’une des rares compagnies aériennes à mettre un point d’honneur à rapatrier tous ses clients, où qu’ils soient à travers le monde, et parfois même ceux d’autres compagnies. À ce moment-là, il y a une vraie volonté de l’entreprise, et une volonté personnelle de notre DG, de ne pas les laisser tomber pour qu’ils puissent retrouver leur famille.
Après, nous n’avons jamais autant communiqué : ce que nous ne faisions pas en publicité, nous le faisions en communication directe avec nos clients. Pour leur dire comment nous agissions, les rassurer/accompagner dans leurs démarches — de reroutement, de remboursement -, etc. Ce fut une période de lockout publicitaire, mais aussi une période foisonnante de communication relationnelle. Une des qualités de la marque Air France a été d’être dans une démarche de transparence et de pédagogie. Ce qui a été très bien ressenti par nos clients, et je pense que cela a contribué à leur fidélité au moment de repartir.
Lors de cette phase de redémarrage, nous avons fait tout ce qu’on vous dit de ne pas faire en école de communication : au lieu d’installer le film de marque, les preuves, puis la vente des produits et services, nous avons pris fait le chemin inverse. Nous avons tout reconstruit, socle après socle, et c’est seulement après 2022 que nous avons repris la parole à tous les niveaux du brand funnel sur 6 marchés stratégiques (le Japon en 2023 et en toute fin d’année sur le marché chinois). Nous nous sommes adaptés avec agilité et pragmatisme.
La pandémie a mis l’accent sur l’importance de la durabilité. Comment votre communication aborde-t-elle les questions de responsabilité sociale et environnementale dans le cadre de la reconstruction de la marque ?
S.T. : Nous n’avons pas attendu la pandémie, même s’il y a eu un coup de projecteur évident. Cela fait plus de 20 ans, qu’année après année, ces sujets sont au cœur de nos stratégies et développement :
– le renouvellement de la flotte
C’est un des sujets majeurs pour parvenir à décarboner le transport aérien avec des avions plus modernes, moins lourds, consommant moins de carburant et donc émettant moins de CO2 dans l’atmosphère. Toutes ces décisions ont été prises avant la pandémie, avec la commande 60 A220 émettant -20% de CO2 que les avions des générations précédentes, celle pour les longs courriers de 41 A350 (-25% Co2) et récemment la commande de 50 nouveaux airbus A350 pour le groupe Air France-KLM. À horizon 2030, 70% de la flotte sera renouvelée. À cette même date, notre objectif est de diminuer de 30% nos émissions de Co2 par passager et par km vs 2019.
– l’utilisation de carburants d’avion plus durables (Sustainable Aviation Fuel – SAF)
Ils sont d’origine végétale, mais n’empiètent pas sur l’alimentation humaine ou animale. Monter une filière prend du temps, mais le groupe a sécurisé/acheté un stock important et accompagne ainsi toute la création de cette filière ;
– la quasi-disparition des plastiques à usage unique (en Business et La Première le service est en porcelaine) ;
– le sourcing de l’alimentaire au départ de Paris
La viande et les produits laitiers sont 100% français, les poissons issus de pêches durables, le bio pour les menus enfant). En 2023, Air France compte 17 chefs étoilés dans ses rangs pour préparer les repas servis à bords, un record ! À l’instar de Thierry Marx, ils sont tous engagés dans cette démarche de sourcing durable.
D’un point de vue bilan carbone, l’avion est décrié et est synonyme pour certains d’un déplacement interdit ou au mieux coupable. De l’autre, il n’y a jamais eu autant d’avions dans le ciel qu’un beau jour de juillet 2023 (record mondial). Comment la communication de votre compagnie se positionne entre ces deux contradictions ?
S.T. : La contradiction est humaine. Toutefois, nous avons pris de vrais engagements et nous le faisons savoir : nous avons arrêté tous nos vols domestiques en France lorsqu’il existe une alternative avec le train en deçà de 2h30. Nous avons également travaillé une offre intermodalité pour concilier un transport en train suivi d’un trajet en avion pour le long courrier.
Nous avons adhéré au programme FAIRe dans une démarche volontaire : notre film de marque a été tourné à la Tour Eiffel, on ne peut pas faire plus local. La mention de notre programme Air France ACT – “Agissons ensemble pour un transport aérien plus responsable” – est visible sur nos prints et renvoie sur le site du même nom où sont expliqués nos engagements et initiatives (avec bilans chiffrés). Nous restons dans une communication transparente et pédagogue.
Comment voyez-vous le secteur aérien évoluer dans les prochaines années ? comment Air France entend-elle s’inscrire dans ce futur ?
S.T. : La décarbonation de l’industrie du transport aérien est un enjeu fondamental. Air France a des objectifs clairs dans ce domaine.
Par ailleurs, on pourrait croire que luxe et durabilité sont antinomiques. Au contraire, la trajectoire d’Air France est de concilier le premium, l’art du voyage et le luxe dans le respect de l’environnement et de la durabilité. Nous pouvons être durable et désirable, c’est mon souhait pour la marque Air France.
Question traditionnelle de la rubrique : quel est, selon vous, le secret d’une relation agence-annonceur réussie ?
S.T. : La durée. J’ose l’analogie avec le couple : apprendre à se connaitre, s’écouter – l’un comme l’autre — et l’inscription dans le temps, puisqu’une marque se construit dans la durée. Nous évoquions précédemment la collaboration entre Air France et BETC, elle a duré longtemps. On ne peut pas faire grandir une marque sur de courtes durées de collaboration.
Par ailleurs, de plus en plus de choses sont spécifiques et spécialisées, ce n’est pas uniquement une relation entre l’agence et l’annonceur, l’agence doit accepter d’être le pivot d’une collaboration avec de multiples expertises et agences. C’est un partenariat à plusieurs, où la transparence et l’humilité sont essentielles. Le cliché de l’annonceur/agence dictatorial.e, est révolu. Une relation réussie se déploie dans la co-construction.