Quand le virtuel vient en aide au réel.
Les deux dernières années de pandémie et de confinements successifs ont entraîné d’importants bouleversements au sein de la société : sur notre consommation, nos habitudes et usages, notre psyché, de nos rêves à notre mémoire, mais aussi notre santé mentale. Isolement, anxiété, peur ou ennui ont un peu plus fragilisé les personnes déjà vulnérables.
Toutes les formes d’addictions se sont aggravées sous l’effet de la crise sanitaire, comme le dévoilait une enquête réalisée par l’institut BVA pour l’Association Addictions France en avril 2021 : plus d’un tiers des usagers déclaraient alors avoir augmenté leur consommation sur les douze derniers mois. Que ce soit le tabac, l’alcool, le cannabis, mais aussi les médicaments (dont les psychotropes). Comment aider ces personnes au moment où les mesures sanitaires et de distanciation sociale empêchent les organismes d’entraide de se réunir et que les réunions en visioconférence montrent leur limite ?
C’est le défi qu’a dû relever l’association Narcotiques Anonymes et auquel a répondu l’agence Socialyse (l’agence de content marketing du pôle media de Havas) avec une initiative inédite : la première réunion organisée dans le metaverse. Émilie Cabanié, head of Influence, et Emmanuel Quéré, planneur stratégique senior chez Socialyse Paris, reviennent sur cette expérience d’un autre monde.
Le brief
En septembre dernier, Socialyse Paris entre en contact avec l’association Narcotiques Anonymes par le biais d’une connaissance d’Émilie Cabanié faisant partie des professionnels de l’organisation. Cette dernière fait face à une problématique : leur méthode est éprouvée et efficace, mais elle n’est pas identifiée dans le paysage public comme l’une des solutions permettant de mettre fin aux addictions. « Cette personne, connaissant mon métier et l’agence pour laquelle je travaillais, est venue à ma rencontre pour avancer et les accompagner sur cette problématique », se souvient-elle.
Particularité propre à l’association (partout dans le monde) et non des moindres : elle peut prendre la parole, mais n’a pas le droit de faire du « prosélytisme » pour « recruter » (via des tribunes dans la presse par exemple) et doit — évidemment — respecter l’anonymat de ses membres. Les Narcotiques Anonymes sont organisés horizontalement de telle sorte qu’il n’y a pas de président ou de porte-parole. Sur le moment, l’agence n’a pas de solution à proposer. « Si outre-Manche les Narcotiques Anonymes est une association très connue et utilisée par les pouvoirs publics, la justice et le système de santé, en France, ce n’est pas un réflexe lorsqu’il s’agit de soigner les addictions. Les gens sont plutôt envoyés vers des médecins qui les traitent avec des psychanalyses ou des médicaments quand ils ne sont pas envoyés en centre de désintoxication », poursuit Emilie Cabanié.
En outre, contrairement à ce que beaucoup de personnes peuvent penser, « les NA ce n’est pas Requiem for a Dream, l’association traite tout type de drogues : les premières causes sont les médicaments, l’alcool, ou le cannabis », précise Emmanuel Quéré, planneur stratégique senior chez Socialyse Paris.
Au moment où l’association et l’agence se rencontrent, les NA réalisent toutes les réunions sur Zoom depuis deux ans : « Ils perdaient cet aspect de présence humaine, de fraternité et de chaleur derrière l’écran, rappelle encore Emmanuel Quéré. De la même manière, les nouveaux membres qui poussaient une porte pour rentrer avaient cet obstacle supplémentaire de devoir trouver une réunion en ligne, se mettre à nu sans possibilité de venir ‘pour voir’ ». En effet, l’association permet également d’accueillir des « observateurs », des gens qui viennent voir comment une réunion se déroule, mais aussi des scénaristes et réalisateurs désireux d’imprégner leur œuvre de réalisme.
L’idée
C’est par le truchement d’une invitation de Facebook en novembre dernier que le duo de Socialyse Paris va voir apparaître la solution. Tout juste rebaptisé Meta, le groupe invite quelques partenaires à faire découvrir le metaverse maison en avant-première à leurs clients. Emmanuel Quéré y voit le parfait coup de projecteur pour les Narcotiques Anonymes : « C’est en retirant nos casques VR après notre présentation qu’on s’est dit que ce procédé serait intéressant pour placer l’association dans l’espace médiatique ». En effet, quoi de mieux que LA tendance du moment pour braquer les projecteurs sur elle ? La première réunion des Narcotiques anonymes dans le metaverse était née. Du moins son idée. « Deux slides » plus tard, le concept est proposé au client. Alors qu’Emmanuel Quéré est persuadé de « faire un four de l’espace », le responsable de l’association sort son propre casque VR en pleine présentation. Validé.
Maintenant il faut faire vivre cette réunion, l’adapter au concept proposé : elle doit tenir sur 40 minutes et évoquer toutes les thématiques abordées lors d’une réunion classique par des membres – nouveaux et anciens — avec des parcours et témoignages hétéroclites. Les membres ayant accepté de participer à l’expérience ont ensuite été formés individuellement et anonymement par la VR Académie, prestataire sur l’opération. La première réunion des Narcotiques Anonymes pouvait avoir lieu.
Comment a été choisi et conçu l’environnement dans lequel s’est déroulée la réunion en réalité virtuelle ? En partenariat avec VR Académie, Socialyse a conçu un monde sur mesure à partir de plusieurs mondes existants avec le représentant de l’association. Pas de plage, comme imaginée dans un premier temps par Emmanuel Quéré, mais un environnement plus « réaliste », pas trop bling-bling, avec une table ronde autour de laquelle les membres pouvaient se réunir et se faire face.
La campagne
Elle s’est déroulée en 2 parties :
– inviter des journalistes à assister à la réunion en tant que spectateurs sachant que le nombre de places était limité. Huit médias ont été sollicités. Tous ont répondu présents, dont la Réclame.
– À l’issue de la réunion, l’ensemble des assets ont été récupérés, une vidéo a été montée dans la foulée pour être envoyée à un listing élargi de médias généralistes et BtoB et des verbatim délivrant leur ressenti à chaud des membres ont été intégrés au communiqué de presse.
De l’aveu d’Émilie Cabanié, qui a déjà participé à une réunion en physique et a recueilli les réactions à chaud des membres, cette réunion avait tout d’une réunion IRL, malgré les premiers freins technologiques. Et même quelques atouts supplémentaires : le casque VR permet une réelle immersion, une écoute et une concentration que n’offre pas une réunion sur Zoom où l’environnement extérieur peut jouer les agents perturbateurs (téléphone, personne(s) avec qui l’on vit, etc.).
« Cela ne remplacera pas une réunion physique, mais procure un moyen additionnel de briser le plafond de verre de l’anonymat, des possibles réticences de la première réunion, estime Emilie Cabanié. Il y a un sentiment de concentration ultime puisqu’on se retrouve plongé dans un univers dont on ne sort qu’en retirant son casque VR. »
« Tous les membres ont été séduits et ont eu l’impression de vivre une vraie réunion, confirme Emmanuel Quéré. C’est ce qu’on attend du metaverse, briser le plafond de verre du virtuel, ressentir de l’émotion, du “contact”. À la fin de la réunion, quelqu’un a dit : “C’est vraiment magique”. J’ai été ému par cette réunion et bluffé par les réactions des membres. Comme s’ils donnaient des éléments de langage que dans mes rêves les plus fous je leur aurais donné. »
Les résultats
– D’importantes retombées presse : « Nous avons invité des médias dans l’espoir qu’ils fassent la réclame de l’association, ce qu’elle ne peut pas faire elle-même, rappelle Emmanuel Quéré. L’objectif était de toucher un public large, médecins, politiques, des gens qui pourront rediriger vers les NA. » Mission accomplie dans Libération, Brut, Ouest-France ou encore France Info.
– Une portée dépassant les 77 millions de vues en earned média grâce aux retombées presse.
– La vidéo réalisée par Brut et diffusée sur Instagram a généré 70k vues vs une vidéo de Jean-Luc Mélenchon sortie juste avant et affichait 30k vues.
« Nous faisions 3x fois plus de vues sur notre vidéo que toutes les autres présentes sur la plateforme Brut. »
– Les Narcotiques Anonymes sont ravis, « ils n’ont jamais eu autant de presse depuis leur création en France ».
« Contrairement à beaucoup d’associations qui communiquent sur le nombre de leurs membres, les NA connaissent uniquement le nombre de réunions qui ont lieu chaque jour en France. Cela fait partie de leur règle, le nombre de membres n’est pas comptabilisé », explique Emilie Cabanié.
Les clés de succès
– Le timing
« Les planètes se sont alignées, se réjouit encore Emmanuel Quéré. Le sujet tech à la mode, la problématique des addictions qui explosaient et le fait que les réunions se tenaient alors toujours à distance. Ces trois dynamiques combinées ont permis le projet. »
« Toute l’opération reposait sur ce moment, se souvient-il encore : nous avions une heure pour pas se louper, faire que tout fonctionne techniquement, que tout le monde soit en forme, et non malade, que les témoignages soient un minimum intéressants, car si on “appâtait” avec une technologie à la mode, il fallait néanmoins “cueillir par l’émotion” les personnes invitées. Nous ne maîtrisions pas du tout ce qui était raconté, je devais me pincer tellement tout fonctionnait. Quand la sauce prend comme ça, qu’on aide les gens et qu’ils sont satisfaits, on se réjouit de faire son métier. »
– Une relation de confiance
« Une relation agence/ »annonceur » comme ça est assez rare », souligne Emmanuel Quéré.
Emilie Cabanié se dit « surprise » que tout le monde ait adhéré. « Ils avaient certes donné leur accord en amont pour participer à l’expérience, mais tous étaient vraiment unanimes et nous ont fait confiance pour parler d’eux aux journalistes. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils ont dit au cours de la réunion et à son issue tellement c’était parfait et portait vraiment l’expérience. »
– La tendance du moment
Pas un jour sans qu’un média généraliste ou spécialisé ne parle metaverse. Son utilisation a forcément joué un rôle dans la médiatisation de l’opération. Ce fut même « clé » pour Emilie Cabanié : « Nous avons su utiliser une nouvelle technologie à bon escient et qui répondait parfaitement à la problématique de l’association. »
« Le metaverse permettait de cocher toutes les cases malgré les règles propres à l’association, confirme Emmanuel Quéré : on a pu capturer une réunion (donc respecter l’anonymat des membres) et mettre les NA en avant dans l’espace médiatique. Pour la première fois, nous avons pu obtenir, sous une forme originale, un vrai rendu de réunion. (…) Chaque personne atteinte par la vidéo est vraiment touchée par ce message, il n’y a rien de superficiel même si la forme peut le sembler. L’impact du message sur la cible est important. (…) On travaille d’ailleurs sur la production d’asset qui serviront d’objet de communication à l’association. »