L'interview Jeunes Loups de Nicolas Rieul, S4M.
Du pionnier John Wanamaker au mobile-to-store, les annonceurs ont toujours cherché à diriger les consommateurs vers leurs magasins. Campagne promo, affichage, message radio, spot TV, quel que soit le support privilégié, la performance d’une campagne reste le plus souvent complexe à déterminer. Comment différencier un habitué d’un nouveau client ? Quel message ou création l’a incité à franchir le pas d’une boutique ? L’arrivée du mobile a rebattu les cartes du drive-to-store par l’apport d’une mesure plus fine, en temps réel, mais aussi locale, via la géolocalisation notamment. Pour Nicolas Rieul, Global Chief Strategy & Marketing Officer de S4M, cette nouvelle mesure révolutionne les campagnes drive-to-store, comme il nous le dévoile dans cette nouvelle interview Jeunes Loups.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement les concepts de drive-to-store et de mobile-to-store ?
Nicolas Rieul : Le drive-to-store concerne les actions marketing et de communication dont le but est d’amener quelqu’un en magasin. Voilà pour le concept au sens large. Ensuite, lorsque l’on parle de mobile-to-store (de digital-to-store en réalité), on évoque le fait de pouvoir mesurer l’impact d’une campagne sur le trafic en magasin.
Le drive-to-store est un objectif de campagne assez classique des retailers depuis des années, depuis des siècles même, si on se réfère à John Wanamaker (1838-1922). Ce pionnier du marketing américain, à qui l’on doit cette célèbre formule: “La moitié des investissements publicitaires que je dépense ne servent à rien, le problème c’est que je ne sais pas quelle moitié”, a créé les premiers big department stores. Devenus Macy’s par la suite. Il avait notamment acheté les premières pages de publicité dans les journaux locaux de l’époque, avec des promotions pour ces magasins. Ses campagnes n’avaient qu’un seul but : amener les gens en magasin.
Plus de 100 ans après, nous avons toujours la même problématique dans le marketing : on a un mix média entre l’affichage, le digital, la radio et la télévision, mais nous ne savons toujours pas exactement quelle action rapporte quoi et je sais que je peux optimiser en temps réel.
Quelle est la principale évolution observée sur ce type de campagne ?
NR : C’est la mesure en temps réel. Les études marketing de fin de campagnes existent depuis longtemps, mais il était alors impossible de déterminer précisément quelle création publicitaire, quel message, quelle promotion ou quel ciblage publicitaire avait le mieux fonctionné. Il y a 4 ans encore, le drive-to-store consistait à tester un magasin sur 50 000 à 100 000 personnes. Les mesures en temps réel sont arrivées il y a deux ans seulement, et cela a tout changé : les acteurs de la data se sont connectées aux plateformes publicitaires pour pouvoir optimiser les campagnes en temps réel. Aujourd’hui, nous avons cette possibilité sur un reach et une couverture très importante.
On l’a vu avec Subway notamment, ou encore avec PepsiCo France et Waze, le mobile rebat les cartes du drive-to-store, comment bouleverse-t-il son approche ?
NR : Avec la géolocalisation des smartphones, le mobile bouleverse le drive-to-store parce qu’il rend possible la mesure en temps réel, le calcul du ROI et l’apport quotidien en clients additionnels.
Ensuite, ce qui change profondément dans la stratégie digitale des annonceurs, c’est le temps long. Historiquement, les campagnes de branding pour faire connaître de nouveaux produits étaient liées à des temps forts, avec des campagnes TV de deux à trois semaines, un plan d’affichage et un plan radio simultanés, etc.
De l’autre côté, nous avons des e-commerçants qui ont une approche différente, en fil rouge, avec l’achat de mots-clés sur Google Adwords. Les mots-clés qui fonctionnent “tournent” tout au long de l’année, des nouveaux sont parfois testés, et les marques se retrouvent avec des campagnes en permanence. Aucun e-commerçant ne se dit, une fois le temps fort calendaire passé, “on coupe tout”. La baisse du trafic généré diminuerait immédiatement ses revenus.
Les mesures de performances en temps réel apportées par le mobile sont devenues indispensables pour baisser au maximum le coût d’une visite incrémentale (coût par client additionnel). Il se passe environ 5 jours en moyenne entre le temps de l’exposition publicitaire et la visite en magasin, tous secteurs confondus. Avec une campagne d’une semaine, rien ne peut être optimisé, le temps long est nécessaire. Nous sommes donc passés à des campagnes branding en fil rouge et cela a tout changé dans l’approche mobile-to-store. Les annonceurs sont plus sereins dans leur approche, ils n’ont pas à organiser plusieurs vagues tout au long de la saison.
Parlez-nous de l’outil développé par S4M pour calculer le ROI des campagnes drive-to-store ?
NR : Cet outil se définit via deux critères. Premièrement, il s’appuie sur des mesureurs tiers indépendants et qui se sont spécialisés dans la mesure de la visite en magasin, comme Kairos avec la technologie beacon, ou Adsquare qui se base sur la position GPS des visiteurs. S4M n’est pas juge et partie, c’est ce qui fait notre valeur ajoutée. Nous sommes intégrés à ces acteurs-là – les données transitent de nos serveurs à leurs serveurs – et ils nous envoient les visites en temps réel.
Nous créons ensuite un groupe de contrôle dynamique de personnes non exposées à nos publicités, et le comparons à un autre groupe de personnes exposées cette fois-ci à nos annonces, toujours en temps réel. Cela nous permet de calculer les visites incrémentales et d’optimiser la campagne avec un délai de 5 minutes.
Pourquoi souhaitez-vous faire de la visite incrémentale l’indicateur de référence des marques pour mesurer l’impact d’une campagne drive-to-store ?
NR : Nous pensons que la visite incrémentale est le KPI ultime puisqu’on parle de clients additionnels, que toutes les marques et enseignes recherchent. Nous nous concentrons ainsi sur le vrai impact de la publicité.
Aujourd’hui, Google et Facebook proposent une mesure des visites in-store, ils comptent l’organique sans considérer l’incrémental. Certainement parce que cela les arrange de procéder ainsi. L’annonceur pourra dire que le coût à la visite est faible, ce qui n’est pas tout à fait exact. C’est aussi une question de technologie : nous créons des groupes de contrôle dynamique, et ces acteurs y viendront certainement à un moment donné sous l’impulsion des annonceurs.
Ensuite, si les annonceurs veulent aller plus loin, ils peuvent acheter des visiteurs garantis à un prix garanti. Avec notre expérience, S4M peut notamment assurer un certain nombre de visites incrémentales en fonction d’un budget défini à l’avance. C’est un risque, mais comme nous sommes certains du modèle, nous souhaitons offrir cette garantie aux retailers.
Comment récoltez-vous les datas dont vous avez besoin pour vos outils ? Comment vous assurez-vous qu’elles sont RGPD compatible (anonymisation et consentement) ?
NR : Il y a deux catégories de data qui nous intéressent : les identifiants publicitaires (IDFA), qui sont une suite de chiffres et de lettres pseudonymes, et la géolocalisation. Je ne dis pas “anonymes” pour l’ID car au sens juridique du terme l’identifiant est considéré comme une donnée personnelle. C’est le cookie du mobile tout simplement.
La géolocalisation en revanche est considérée par les autorités comme une donnée personnelle parce qu’elle est issue d’un téléphone. Ce qui pourrait être contesté puisqu’une coordonnée de localisation n’est pas identifiable en soi. Rattachée à un mobile, elle devient une donnée personnelle, mais pas une donnée sensible (comme les opinions politiques, l’orientation sexuelle…) Pourquoi ? Parce que le téléphone est une extension de soi : avec une géolocalisation, une heure et une date précise, on peut remonter à une personne.
Ce type de données nécessite une base légale au sens du RGPD : l’intérêt légitime ou le consentement. Aujourd’hui, toutes les données utilisées par S4M sont issues de l’IAB Transparency & Consent Framework, un protocole utilisé dans le programmatique pour faire passer le consentement de l’utilisateur dans les bid request (la formulation d’une demande d’enchère en temps réel). Le protocole est récent, il a été lancé juste avant le RGPD et tous les éditeurs ont dû le mettre en place.
Ce que cela change ? Je peux tracer le consentement et m’assurer que sur chacun des IDFA, la géolocalisation est prévue. Avec S4M, nous nous assurons ainsi d’être dans la zone blanche.
Pour cibler les consommateurs dans une zone de chalandise donnée, cela nécessite que leurs téléphones soient allumés, avec le Bluetooth (beacon) et/ou avec la géolocalisation activée. N’est-ce pas l’une des principales limites à ce type de campagne ? Les mobinautes sont de plus en plus attentifs au respect de leur vie privée.
NR : Nous savons que 60% des Français ne resteront jamais connectés en permanence. Nous avons compris que la donnée ne pouvait pas être exhaustive, nous avons donc trouvé la parade en quelque sorte : nous nous basons sur des panels représentatifs, comme Médiamétrie avec les mesures d’audience de la télévision. Ici, les panels représentent un ou deux millions de personnes. Kairos, Adsquare, chacun de nos mesureurs indépendants a son propre panel. Des acteurs américains comme Facebook, Googl, Foursquare ou Placed, racheté par Snapchat, ont également le leur.
Comment voyez-vous le drive-to-store évoluer dans les années à venir ?
NR : Par l’évolution et la multiplicité des formats. Le mobile-to-store se dirige vers tout type de diffusion. Aujourd’hui, l’audio est disponible sur notre plateforme, avec du display et des bannières. L’audio, c’est juste la digitalisation de la radio. D’ailleurs, ce format est majoritairement investi par les acteurs de la radio, dont les retailers sont les principaux acheteurs. Dans un objectif drive-to-store notamment, car la radio peut avoir une portée locale.
La 2e évolution du drive-to-store, c’est le drive-to-purchase. Nous en sommes encore au début de l’histoire de cette discipline. Si le drive-to-store est l’arme des retailers, le drive-to-purchase va convaincre les acteurs du CPG (biens de grande consommation). Ces derniers ne sont pas intéressés par le drive to store : un consommateur ne se rend pas en magasin pour acheter une marque en particulier. Ils veulent connaître l’impact d’une campagne sur leurs ventes. Une telle mesure nécessite des partenariats locaux, ce n’est pas scalable, ce pour quoi les GAFA n’ont pas encore de telles fonctionnalités… a contrario de S4M ! Nous le faisons en France avec RelevanC, la data du groupe Casino (Monoprix, Franprix, Casino, Géant, Naturalia, Cdiscount, etc.). Ces données permettent de faire le lien entre une campagne et les achats effectués en magasin, grâce aux cartes de fidélité : nous pouvons ainsi déterminer exactement combien de chiffres d’affaires incrémentalux une publicité a générés.
Enfin, la complémentarité avec les autres médias est une autre évolution possible du drive-to-store. L’OOH (Out of Home), l’affichage extérieur, est quant à lui très complémentaire du mobile, justement par sa portée locale : avec les données de géolocalisation des panneaux d’affichage, il est possible de coordonner des campagnes mobiles avec des campagnes du monde dit “réel”. Le mobile est ainsi le parfait prolongement de l’OOH.