Comment réagir, dès aujourd’hui, face à un nouveau risque d'intermédiation des marques.
Si demain, les IA ont réponse à tout, les internautes se rendront-ils encore sur des sites ? Si votre assistant personnel IA permet d’effectuer l’ensemble des réservations de vos prochaines vacances, irez-vous encore sur des sites ou apps transactionnelles ? Alors que l’IA générative permet à chacun de créer des visuels et vidéos qui matérialisent les fruits de son imagination, comment les marques peuvent-elles émerger avec des contenus distinctifs ? Les marques peuvent-elles lutter contre le courtage d’audience des IA, ou doivent-elles, au contraire, surfer sur ce tsunami ?
Voilà le type de questions passionnantes abordées par les experts du digital de Razorfish et les dirigeants marketing et digital du panel invité lors de l’événement à l’initiative de Sandrine Vissot-Kelemen, Présidente de Razorfish France le 9 octobre dernier sur la terrasse de Publicis France sur les Champs-Élysées. La Réclame était présente pour vous restituer aujourd’hui les grands enseignements de ce rassemblement.
Un nouveau paradigme pour les sites de marques ?
Google, grand pourvoyeur (et intermédiaire) d’audience depuis plus de 25 ans, n’apporte déjà plus le trafic que les sites web ont pu connaitre pendant des décennies. En effet, 60 % des recherches Google ne génèrent déjà aucun clic. Et cela ne va pas s’arranger avec le déploiement de l’IA générative dans les SERP (les pages de résultats Google) qui pourrait générer une baisse de -18% à -65% du trafic des sites selon Search Engine Land. D’autant que cela redistribue les cartes : les sites présents dans le top 10 d’une recherche Google ne le seront pas forcément avec une réponse générée par une IA. Et la concurrence n’est pas en reste, avec Microsoft qui a déjà intégré l’IA Copilot au sein de Bing. Ajoutez à cela la forte croissance de TikTok en tant que moteur de recherche, apportant des réponses sous forme de vidéos ou de visuels UGC, et non plus avec une liste de liens vers des sites web.
Voilà pour les moteurs de recherche. Quid des agents conversationnels comme ChatGPT ? 8 % des Français de plus de 35 ans utilisent l’IA de façon hebdomadaire, d’après une étude de l’université d’Oxford en 2024. C’est peu et beaucoup à la fois, et le potentiel de croissance de cet usage est important si on observe ce qui se passe aux États-Unis, souvent en avance de phase sur les questions numériques. 27 % des Américains entre 18 et 24 ans utilisent ChatGPT chaque semaine. Quel impact pour les marques ? 72 % des consommateurs sont intéressés par un service IA qui recherche les meilleurs produits et offres selon leurs propres critères, d’après une étude de Razorfish France et Opinion Way en mai dernier.
« Les marques doivent anticiper un futur où une grande partie des recherches se fera via l’IA, sans passer par leurs propres sites. Cela rappelle la “plateformisation” du e-commerce, où les marketplaces contrôlent la relation avec le consommateur. Les marques doivent se préparer à préserver leur lien direct avec les consommateurs, non seulement pendant la conversion, mais aussi durant la phase de découverte. », prévient Viken Darakdjian, directeur de la stratégie de Razorfish France. De quoi représenter un risque existentiel pour les marques ? Ce sera au cas par cas, mais la vigilance est de mise : « Certaines marques risquent d’être absorbées et commoditisées, tandis que d’autres, notamment les “love brands”, devront maintenir leur désirabilité et rester top of mind pour les consommateurs. Le défi pour ces marques est de continuer à incarner des objets de désir, pas seulement des besoins pratiques. », selon Viken Darakdjian.
Le cadre européen, très réglementé, empêche actuellement certaines solutions IA de se déployer sur le continent. Il n’est ainsi pas étonnant que Google ait réservé ses tests AI Overviews aux États-Unis pour le moment. D’autant que l’impact énergétique, financier et environnemental de l’IA générative est conséquent : une recherche Google avec IA serait 10 fois plus coûteuse que sans. Ces obstacles pour la grande marche de l’IA offrent un sursis aux marques européennes, leur permettant d’affiner leurs stratégies et dispositifs face à l’IA. Voyons maintenant comment les marques peuvent réagir dès aujourd’hui.
Les actions que les marques peuvent déjà mettre en place
1. Passer du SEO au LLMO
Contrairement à un média, une marque a davantage des objectifs de ventes, de notoriété, de présence à l’esprit et de bonne transmission de ses informations clés que de trafic. Si demain, son site web est moins fréquenté, mais que les IA conversationnelles apportent des réponses précises la concernant, et permettent même de la conversion, la marque aura-t-elle perdu au change ? Nul ne le sait aujourd’hui, mais ce sera très intéressant à observer dans les mois et années à venir.
Comme l’expliquait Razorfish lors de la conférence, une première stratégie à mettre en place pour les directions marketing et digital est de compléter son SEO par du LLMO. LLM pour Large Language Model, les grands modèles des IA génératives comme ChatGPT. Et O pour optimisation. Dans ce contexte, comment booster le référencement des marques dans les moteurs de recherche génératifs ?
« Il est essentiel que les marques fournissent des informations précises, dans un langage accessible, pour que les IA choisissent leurs contenus et les fassent émerger. L’objectif est de parler aux consommateurs comme ils parleraient à leurs proches, en utilisant des termes familiers plutôt que du jargon technique. », prévient Viken Darakdjian, en charge de la stratégie pour Razorfish France.
Il est donc recommandé aux marques de penser et de parler comme un humain, ce qui peut représenter un sacré changement de paradigme pour nombre de marques, habituées à des tonalités, aussi bien techniques que marketing, fort éloignés du discours des individus au quotidien. Tout en restant l’expert de sa catégorie, ayant réponse à tout et faisant autorité. Êtes-vous prêts à accepter le challenge ?
L’agence recommande également un usage plus systématique du rich media, afin d’aller au-delà des réponses textuelles, car les moteurs de recherche boostés à l’IA en sont friands, ainsi que l’ouverture à différentes API (interfaces de programmation pour partager des données de façon sécurisée), nous y reviendrons.
Une nouvelle question par ailleurs : que rendre disponible pour les IA et que garder pour son site uniquement ? La réponse est dans la future stratégie LLMO de chaque marque, et se matérialisera par des règles définies dans le fichier robots.txt bien connu des référenceurs.
2. Intégrer l’IA au sein d’une nouvelle UX
Demain, la plupart de vos achats se feront probablement en dialoguant avec votre agent IA qui, tel un personal shopper numérique, se connectera à différents services pour commander ou réserver ce dont vous avez besoin. Mécaniquement, le nombre d’interactions avec les sites de marque va diminuer. Mais les attentes des consommateurs vont augmenter.
En attendant l’interconnexion entre différents services, un agent IA qui s’occupe de tout pour vous relève encore de la science-fiction. On le sait cependant, l’innovation des IA avance actuellement au galop, et ce scénario prospectif pourrait se concrétiser prochainement.
Dès aujourd’hui, les marques peuvent travailler sur l’enrichissement de l’expérience de leurs sites. En intégrant l’IA dans le parcours d’achat tout d’abord. Si la phase d’exploration se fait via une IA tierce, les consommateurs se rendent alors sur les sites de marques au bout du funnel. Pour les marques, cela veut dire travailler particulièrement les fiches produits et moins leur page d’accueil, l’IA contournant cette dernière.
Autre approche : proposer des interfaces construites autour de la recherche. Jérémy Barré, UX Director chez Razorfish, a présenté en conférence le cas d’Uniqlo. Si aujourd’hui, il s’agit d’une recherche “classique”, demain, cela pourrait être une interface conversationnelle en lieu et place.
Vincent Gaubert, Director Customer Experience 2.0 AMIEO (Africa, Middle-East, India, Europe, Oceania) chez Nissan Motor Corporation, confirme la tendance : « Nous développons un moteur de recherche IA pour notre site, que nous allons déployer dans les prochains mois. »
Enfin, la personnalisation, rendue possible par la data ou les choix des utilisateurs, devrait se répandre sur les sites de marques. Une marque peut d’autre part adapter ses contenus en fonction du niveau d’expertise de chaque internaute. Un “mode expert” ou un “mode grand-mère” pour parler des caractéristiques d’une TV 4K par exemple. Simplifier la technicité est en effet un grand apport des technologies actuelles.
Au Royaume-Uni, Nissan a proposé un bot pour expliquer la technologie ePower mêlant moteurs électrique et thermique, mais avec une approche radicalement différente de celle de l’hybride conventionnel. « La technologie ePower est unique, , mais peut être difficile à comprendre de prime abord. Avant l’utilisation du bot, seuls 28 % des clients comprenaient la technologie ; après l’utilisation, ce chiffre est passé à 60 %, montrant une amélioration significative de la compréhension. », se réjouit Vincent Gaubert.
Avec les capacités conversationnelles des IA génératives, les internautes peuvent aussi exprimer leurs requêtes de façon très spécifique : « fais-moi une sélection d’hôtels ou Hemingway se rendrait aujourd’hui. »
Le déploiement de l’IA au sein des sites de marques impose quelques précautions : « Chez Nissan, nous avons défini une vision à trois ans avec Razorfish pour notre expérience digitale, avec l’IA comme pilier central, commente Vincent Gaubert. Toutefois, nous souhaitons adopter une IA utile et responsable, alignée avec notre objectif de neutralité carbone d’ici à 2050. Nous utilisons l’IA uniquement lorsqu’elle apporte une valeur ajoutée claire au client, par exemple pour aider dans le parcours d’achat ou pour expliquer des technologies complexes. Nous laissons le choix au client quant à l’utilisation de l’IA, en lui permettant de décider s’il souhaite partager ses données ou interagir avec l’IA. » Enfin, Nissan prévoit d’intégrer l’IA dans le parcours d’achat, mais aussi dans la relation client ensuite, que ce soit via son site, son app ou à bord des véhicules.
Ces enjeux concernent tous les secteurs – de l’automobile à la santé. Ainsi, Julie Regis Goitschel, Global Creative Excellence, Content & Partnership Lead Opella chez Sanofi, et Aurélie Mezbourian Fliedel, CMO d’Alan, ont évoqué les opportunités que représente l’IA dans les nouveaux parcours de soin, mais aussi rappelé le rôle central de l’humain et des véritables experts de la santé (médecins, pharmaciens) dans les différents services et expériences pour les utilisateurs.
3. Créer son propre deep content
Le social media a montré que tout le monde pouvait créer. L’IA ne fait qu’amplifier cette tendance, en montrant que tout est remplaçable, copiable, et potentiellement au niveau des contenus des marques. Lors de la conférence, l’assistance a été surprise par le degré de réalisme d’un faux set Lego représentant un sac Birkin de Hermès, généré par une IA :
Jean-Baptiste Burdin, Executive Creative Director de Razorfish France, y voit l’émergence d’une « high speed bootleg culture. Les fans s’emparent des marques, de leurs produits, pour recréer des nouvelles fictions qui paraissent suffisamment vraisemblables pour être vraies. » Cet à-peu-près va-t-il convenir aux marques les plus exigeantes ? C’est peu probable.
Quels contenus pour marquer les esprits quand les IA en génèrent à l’infini ? Place au deep content ! « Un contenu difficilement duplicable, qui se distingue des créations générées en masse sur les plateformes sociales. Dans un univers saturé de contenus, il s’agit de produire des créations plus profondes et intentionnelles, souvent en collaboration avec des artistes ou créateurs, pour offrir une valeur unique, supérieure à celle des contenus générés organiquement par les internautes », commente Jean-Baptiste Burdin.
Pour résumer, le deep content est un contenu que seule une marque peut produire, et qui donne une raison de se rendre sur un site de marque. Le deep content peut revêtir différentes formes :
– Des contenus brillamment mis en scène, façon Apple.
– Des contenus qui capitalisent sur l’antériorité de la marque, comme le site du musée Renault, The Originals Museum, réalisé par Razorfish.
– Des contenus intimes dans lesquels on se projette, subjectifs, émotionnels.
– Des collaborations artistiques fortes comme Yayoi Kusma x Louis Vuitton ou encore Moncler – The City of Genius.
– Des expériences de contenus plus personnalisés grâce à l’IA, comme une mise en scène du consommateur dans une vidéo générée par l’IA.
– Des contenus à protéger : tout n’est pas à donner aux IA pour leur entrainement. Ainsi certains contenus pourraient ne se retrouver que sur un site de marque, celui-ci devenant une destination exclusive.
« Le deep content, comme un concert en direct, montre la valeur de l’effort humain ou artistique, chose difficile à dupliquer pour un internaute standard, bien que cela puisse parfois se produire », prévient Jean-Baptiste Burdin. Le deep content est un contenu exceptionnel qui provient de marques qui le sont tout autant.
Est-ce que le deep content implique toujours un contrôle strict de la marque ? Pour Jean-Baptiste Burdin : « Pas nécessairement. De plus en plus, les marques ouvrent leur univers pour permettre aux créateurs d’interagir avec leurs codes de manière flexible. Par exemple, Coca-Cola a récemment mis en valeur des créations qui ne respectent pas entièrement les guidelines de la marque, mais qui enrichissent son territoire. »
Autre phénomène que l’IA en faveur du deep content, la hausse des coûts d’acquisition liée aux enchères de la publicité en ligne : « Après des années d’acquisition, on revient à davantage de contenus de marque », témoigne Anaïs Harmant, CMO du Groupe La Centrale, qui se réjouit d’avoir son propre média au sein du groupe, Caradisiac.
Prospective : qui l’emportera entre les IA et les sites de marques ?
Lors de l’événement, Arnaud Faure, Senior Strategist au sein de Razorfish France, a présenté deux scénarios prospectifs. Dans un cas, les sites l’emportent et maintiennent la relation client. Dans l’autre cas, les assistants IA dominent et les marques acceptent leur sort décentralisé.
1. Les sites gagnent et maintiennent la relation consommateur
Pour les médias, l’horizon est à l’ubérisation. Ils fournissent malgré tout des contenus pour les algorithmes, l’IA n’apportant que l’étape finale de l’intermédiation. Il ne serait pas étonnant de voir émerger des modèles de LLM en partenariat avec des grands médias à l’avenir.
Les marques n’auront potentiellement pas besoin de tels pactes faustiens. Celles-ci n’étant pas régies par des quêtes d’audience, mais par celle du consommateur. Cependant, les IA vont délivrer à terme l’essentiel de l’information, si bien que les sites et apps purement informatifs, en mode “catalogue”, n’auront que peu d’intérêt. Razorfish mise davantage sur des sites flagships agrégeant à la fois les contenus et les expériences : contenus immersifs à la croisée du gaming, du shopping et de l’entertainment ; navigation scénographiée et contenus subjectifs / personnalisés, surprenant l’internaute ; ouvertures à d’autres marques, consommateurs et artistes ; espaces semis privés à l’abri des IA. Telle une boutique flagship sur les Champs-Élysées, aussi bien lieu de vente que de culture ou de rencontres, le site de marque deviendra un lieu de connexion entre humains.
2. Les assistants IA l’emportent et les marques acceptent d’être intermédiées
Les IA ont gagné. Elles sont les principales interfaces de connexion entre les individus et le digital. Cela passe notamment par des devices ou wearables omniscients, recueillant aussi bien les signaux sonores que visuels, ou même ceux de la santé / de l’humeur de leurs hôtes. Ce sont des compagnons intimes, de tous les instants. 13 % des utilisateurs de ChatGPT lui disent déjà s’il te plait.
Et avec l’arrivée des agents IA, les assistent IA gagnent en autonomie pour rendre des services aux utilisateurs, sans “prompt” ni commande vocale.
Que restera-t-il aux marques dans un tel contexte ? Embrasser le changement. Leurs sites deviendront alors de véritables banques de données pour assistants IA en leur fournissant des données structurées, garantissant que les informations de marques seront exactes dans les données fournies. Plus les données seront enrichies, plus leurs réponses le seront aussi : photos, vidéos, “shop in shop” pour des commandes depuis l’IA. L’interopérabilité sera de mise avec des API et des webservices qui connecteront les assistants aux marques.
Que restera-t-il du site de marque, au-delà de son côté base de données / back-end ? Cela pourrait devenir un site “no-page / one-page” avec une unique URL, et un champ de recherche / de prompt IA comme principal élément d’interface.
Ainsi, les marques perdent le contrôle, mais gardent le lien avec l’internaute en travaillant pour les compagnons IA.
Quel scénario l’emportera ? Pour Vincent Gaubert (Nissan Motor Corporation) : « Les sites de marque ne vont pas disparaître. Bien qu’il soit important de s’interconnecter avec les plateformes de l’IA générative, les sites de marque continueront d’exister pour leur capacité à offrir une expérience subjective, personnalisée et émotionnelle. L’objectif est de trouver le bon équilibre entre ces deux approches. »
Travailler ces deux scénarios a sans conteste quelque chose de vertueux. Proposer des expériences différenciantes sur un site flagship permettra à nombre de marques d’aller encore plus loin dans la relation avec leurs publics. Quant à l’interconnexion avec l’IA, celle-ci est plus que nécessaire dans un contexte où les IA pourraient à termes devenir le point de départ de toute interaction homme-machine.
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Article en partenariat avec Razorfish France