Quand les emojis cachent le harcèlement : pourquoi Allianz a sonné l’alerte

Par Élodie C. le 26/06/2025 - Agence : Ogilvy Paris

Temps de lecture : 11 min

Les codes du cyberharcèlement adolescent en ligne de mire.

KYS, PNJ, 🦧, 🌳… Ces sigles et émojis n’ont rien d’innocent. Derrière ce langage codé que s’échangent les adolescents en ligne peut se cacher un cyberharcèlement invisible aux yeux des adultes. Pour lutter contre ce fléau, Allianz France lance avec Ogilvy Paris une nouvelle campagne de sensibilisation, à destination des parents, éducateurs et grands-parents. Un dispositif national, mêlant affichage, social media et plateforme pédagogique, qui vise à ouvrir le dialogue entre générations.

Constance Wiblé, directrice marque et communication d’Allianz France, revient sur les ambitions de cette campagne, la posture de la marque face à ce sujet sensible, et les leviers activés pour accompagner les familles.

La campagne d’Allianz France intervient peu après la cérémonie de remise des prix « Non au Harcèlement » à l’Élysée, où de nouvelles mesures ont été annoncées pour lutter contre le cyberharcèlement. Ce contexte a-t-il influencé le lancement de votre campagne ? Plus largement, quels constats ou événements récents ont motivé cette prise de parole cette année, après l’opération « Le Revers de la Médaille » en 2024 ?

Constance Wiblé : Je dirais que cette campagne s’inscrit dans la continuité de ce que nous avons déjà engagé chez Allianz. Ce n’est pas une réaction ponctuelle, mais plutôt une démarche de fond. Cela fait longtemps que nous travaillons sur les sujets liés au cyberharcèlement. On a commencé à travers nos produits, en intégrant par exemple une garantie spécifique dans notre offre de protection juridique avec la garantie « vie numérique renforcée ». On avait déjà identifié qu’il y avait un vrai besoin sur ce terrain.

Notre prise de parole à l’occasion des Jeux Olympiques, avec la campagne « Le Revers de la Médaille » intervenait à un paroxysme de cyberharcèlement, avec une violence verbale énorme, notamment dirigée contre des athlètes. En tant que partenaire des athlètes avec la Team Allianz, on s’est sentis concernés. Il fallait agir, et cette première campagne a vraiment trouvé un écho. Malheureusement favorable, car ça voulait dire que le sujet était bien réel et préoccupait énormément de monde.

Ce deuxième opus est une forme de continuité. Mais il y a aussi un contexte qui nous a poussés à prendre la parole maintenant. Dans notre stratégie de communication, on travaille beaucoup la notion de proximité. On l’a mise en avant en début d’année avec une grande campagne de publicité axée sur la proximité géographique de notre réseau. Mais la proximité, ce n’est pas seulement une question de territoire. C’est aussi une proximité relationnelle, émotionnelle. Et on s’est demandé comment incarner cette proximité à travers nos prises de parole plus engagées. Ce sujet du cyberharcèlement nous est apparu comme une évidence, parce qu’il concerne directement la vie intime des jeunes, souvent en dehors du champ des adultes.

C’est un vrai sujet de société. Et on a voulu le traiter avec une campagne d’utilité publique, qui permette aux adultes de mieux comprendre ce qui se passe parfois dans les téléphones de leurs enfants, loin de leurs regards.

Cette campagne met en lumière un langage codé souvent incompris des adultes. Comment avez-vous travaillé avec Ogilvy Paris pour rendre ce langage accessible sans le trahir ?

C.W. : On a créé cette campagne avec des adolescents et on l’a fait valider par des adolescents. C’était vraiment fondamental. Il fallait absolument que ce soit crédible, légitime, et surtout à jour. Parce que ces langages évoluent très vite. Un emoji qui a du sens aujourd’hui peut être complètement dépassé dans six mois. Donc si on voulait être justes, il fallait travailler avec ceux qui utilisent ces codes au quotidien.

Les ados ont passé le glossaire au crible de leur regard. Ils nous ont dit ce qui faisait sens ou pas, ce qui était encore utilisé ou plus du tout. Et derrière, ça a été un gros travail de l’équipe pour rédiger ce glossaire. Il ne suffisait pas de donner une traduction brute. Il fallait que chaque définition soit nuancée, subtile, pour traduire toutes les petites variations qui peuvent exister selon le contexte, le ton, ou même la personne qui l’utilise. Par exemple, le pouce levé, qui peut paraître anodin, peut être très passif-agressif.

Donc le travail avec Ogilvy a été très fin, très rigoureux. On a veillé à ne pas tomber dans la caricature, à ne pas trahir le langage des jeunes, mais à le rendre accessible aux adultes. C’était tout l’enjeu : rester fidèles à la réalité tout en ouvrant un dialogue entre les générations.

L’étude IFOP/Allianz révèle que seuls 1,3 % des adultes comprennent vraiment ces codes. Comment Allianz France envisage-t-elle d’accompagner les familles face à ce fossé (d’interprétation) générationnel ?

C.W. : En tant qu’assureur, on a bien sûr un rôle de réparation. C’est notre métier, c’est notre responsabilité. Mais avant la réparation, il y a la prévention. Et pour nous, le meilleur sinistre, c’est celui qui n’arrive pas. Pas seulement pour nous en tant qu’entreprise, mais surtout pour la victime. Parce qu’un drame lié au cyberharcèlement ne se répare jamais complètement. Même avec toutes les garanties mises en place – de l’accompagnement psychologique, de l’aide juridique – cela ne suffit jamais totalement. Le traumatisme reste.

Cette campagne est un acte de prévention : il fallait lever le voile sur ce langage caché qui est dangereux, justement parce qu’il est caché. Le fait de le rendre visible, de l’expliquer, ça en réduit la charge, la portée toxique. Mais surtout, ce qu’on a voulu faire avec cette campagne, c’est inciter à l’échange. Ce n’est pas simplement « Voilà ce que tel emoji veut dire ». C’est : « Allez parler à un/votre adolescent ». C’est ça, le message. Parce que derrière les codes, il y a des contextes, des émotions, des souffrances parfois.

Et puis, on voulait aussi que les ados eux-mêmes puissent prendre conscience de ce que ces mots peuvent engendrer. Comprendre qu’écrire « KYS », par exemple, c’est dire « kill yourself », ce n’est pas rien. Il faut mesurer la portée de ces propos. C’est vraiment dans cet aller-retour entre adultes et adolescents qu’on peut retisser quelque chose et combler ce fossé d’interprétation que vous évoquez. Et pour nous, c’est pleinement notre rôle en tant qu’assureur : prévenir autant que protéger.

Votre dispositif s’appuie sur plusieurs canaux : affichage, presse, réseaux sociaux, influence… Comment avez-vous articulé cette stratégie média pour toucher à la fois les parents et les ados ?

C.W. : On a pensé cette campagne avec une vraie logique de double cible. D’un côté, les adultes, et notamment les adultes référents – pas seulement les parents, mais aussi les enseignants, les éducateurs, les grands-parents. De l’autre, les adolescents eux-mêmes, qui sont au cœur du sujet.

On a donc activé plusieurs leviers. Il y a eu une première vague d’affichage, notamment dans le métro, et on en prépare une deuxième. L’idée, c’était de capter l’attention dans l’espace public, avec un message fort, lisible et une invitation à en savoir plus via un QR code. Et ce QR code fut une vraie surprise : habituellement, on est contents si on atteint 100 ou 200 connexions via un QR Code sur ce type de campagne. Là, avec seulement 29 faces affichées, on a obtenu 4 000 connexions. C’est énorme ! C’est un vrai signe que le message a touché, qu’il a interpellé.

En parallèle, on a aussi déployé une présence sur les réseaux sociaux, avec une campagne dédiée. Et on finalise actuellement un partenariat avec un influenceur pour s’adresser plus directement aux ados sur leurs propres canaux. Ce n’est pas simple, il faut trouver le bon ton, le bon relais, mais c’est indispensable si on veut être crédibles.

J’ai d’ailleurs eu un retour très personnel qui m’a marquée. J’ai fait valider la campagne par ma fille ado. On en a discuté pendant une bonne heure et quelques temps après, elle m’a simplement envoyé un SMS : « C’est vachement bien votre truc« . Pour moi, c’était le signe que ça avait fait mouche, que ça l’avait touchée et qu’elle avait compris que ce n’était pas juste une campagne de com’.

Chaque affiche renvoie à une plateforme pédagogique dédiée : avez-vous des premiers retours sur cet outil ? Avez-vous pu mesurer son impact en termes d’usage ou d’engagement ?

C.W. : Cette campagne, on l’a vraiment construite par étapes, avec Ogilvy. D’abord, on s’est dit qu’il fallait parler de ce langage emoji. Puis on a compris qu’il fallait créer un lien entre les adultes et les ados, un point de contact. Ensuite, on a eu besoin de proposer un livrable concret, d’où le glossaire. Et assez vite, on s’est dit qu’on ne pouvait pas s’arrêter là. Une fois qu’on avait attiré l’attention, on ne pouvait pas laisser les gens seuls avec ces informations. Il fallait les accompagner, leur offrir des ressources utiles et pratiques.

C’est dans cette logique qu’on a conçu la plateforme. L’idée, ce n’était pas de créer un service parallèle, mais d’orienter vers les bons outils, vers ce que l’État propose déjà, vers les bons numéros, les bons réflexes. Évidemment, on y retrouve aussi le glossaire, mais ce qu’on veut, c’est continuer à enrichir cette plateforme, y ajouter des briques au fur et à mesure pour qu’elle soit toujours plus utile.

Les premiers indicateurs sont très encourageants. Je vous parlais du QR code : on a eu un débat en interne, certains pensaient que ce n’était plus un réflexe, que ça ne servait à rien. Mais je me suis dit, “ça ne coûte rien de le mettre”. Et en fait, ça a dépassé toutes nos attentes. Sur une première vague dans le métro, avec seulement 29 affiches, on a enregistré 4 000 connexions via le QR code. C’est colossal ! À titre de comparaison, sur d’autres campagnes avec des incitations à jouer ou des dotations, on plafonne à 200 interactions. Là, ça montre clairement un intérêt, une envie d’aller plus loin, de comprendre. C’est très encourageant.

Le soutien psychologique renforcé est un engagement fort, à un moment où la santé mentale est un sujet de préoccupation majeur. Comment s’inscrit-il dans votre positionnement de marque ? Et quelle place prend-il dans votre offre d’assurance ?

C.W. : On a renforcé ce soutien psychologique parce qu’on n’a pas eu le choix, la société l’impose, c’est malheureusement utile. En tant qu’assureur, on travaille toujours en fonction des besoins de la société. Donc très simplement, quand on constate qu’un besoin devient plus important, on adapte nos garanties pour qu’elles soient au plus près des attentes de nos clients.

Alors oui, on pourrait dire que ce n’est pas un bon signal. Mais en même temps, je préfère voir les choses autrement. La santé mentale a toujours existé, sauf qu’on n’en parlait pas. C’était plus caché, plus honteux peut-être. Aujourd’hui, on en parle, et c’est déjà un progrès. C’est devenu un vrai sujet de société auquel il faut répondre.

Dans notre positionnement de marque, qui repose beaucoup sur la proximité, ça prend tout son sens. Être proche, ce n’est pas seulement être présent sur le terrain ou dans les agences, c’est aussi accompagner nos assurés dans leur vie, dans leurs fragilités, dans leurs moments de doute. Le soutien psychologique s’intègre donc naturellement dans notre offre. Il prend une place croissante, parce qu’il répond à une attente très forte. Et je pense que ça montre aussi qu’on n’est pas juste un assureur qui intervient après coup. On est là pour prévenir, pour écouter, pour soutenir.

L’assurance est souvent perçue comme technique, voire volontairement complexe. En quoi ce type de campagne vous permet-il de faire évoluer l’image d’Allianz France auprès du grand public ?

C.W. : C’est vrai que l’assurance est souvent perçue comme quelque chose de très technique. Et ce n’est pas toujours faux. C’est un des rares produits que vous achetez un peu contraints et espérez ne jamais avoir à utiliser. Ce n’est pas un produit plaisir. Donc forcément, cela a un impact sur l’image qu’on peut avoir du secteur.

Cela dit, ce n’est pas uniquement à travers cette campagne qu’on essaie de faire évoluer notre image. C’est vraiment une démarche plus globale, une stratégie de communication de fond. Et cette campagne s’inscrit dans cette logique-là. On travaille beaucoup sur la notion de proximité. Quand on parle de proximité, ce n’est pas seulement géographique. C’est aussi une proximité émotionnelle, relationnelle, une façon d’être plus proche des préoccupations réelles des gens.

Avec une campagne comme celle-ci, on est justement sur un terrain très humain, très concret. On parle d’un sujet qui touche les familles, les adolescents, les éducateurs. Ce n’est pas une promesse abstraite. On donne des outils, on accompagne, on agit en prévention. Et je pense que ça contribue à faire évoluer notre image. Ça montre qu’on est là, pas seulement pour réparer après coup, mais aussi pour être utiles avant, pour prendre notre part dans des sujets de société.

Question traditionnelle de la rubrique : quel est, selon vous, le secret d’une relation agence-annonceur réussie ?

C.W. : Je ne vais pas être très originale dans ma réponse : le secret d’une relation réussie entre une agence et un annonceur, c’est la confiance. Et sur un sujet comme celui qu’on a traité avec cette campagne, c’était encore plus essentiel. On était vraiment sur une ligne de crête. On parle de drames, d’enfants qui peuvent aller jusqu’au suicide. C’est extrêmement lourd. Donc chaque mot, chaque visuel, chaque intention devait être pensé avec une grande justesse.

On a passé des heures à peser chaque virgule, à se demander : est-ce qu’on est au bon endroit ? Est-ce qu’on est légitimes à dire ça ? Est-ce que le ton est le bon ? Est-ce qu’on va trop loin ou pas assez ? Et là, il faut pouvoir s’appeler à n’importe quel moment pour dire : « Attends, j’ai un doute. Est-ce que tu penses qu’on est justes ? On en reparle ? » Il faut pouvoir se remettre en question, se challenger mutuellement. C’est ça, une vraie relation de confiance.

Ce que j’ai vraiment apprécié, c’est que chacun a pu exprimer ses doutes. L’agence aussi. Personne ne s’est posé en sachant absolu. On a construit ensemble. Moi, j’ai fait confiance à Mathieu (Elkaim, directeur de la création et coprésident de l’agence Ogilvy Paris, NLDR) à ses équipes. Et lui nous a fait confiance aussi. On a vraiment dialogué, parfois longuement, pour trouver le ton juste, la forme juste. Et je pense que c’est cette capacité à s’écouter, à douter ensemble, qui nous a permis d’aboutir à une campagne à la fois pertinente et respectueuse.

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