Après 2008, 2020… quelle communication en temps de crise ?

Par Élodie C. le 23/04/2020

Temps de lecture : 10 min

L'image, comme la notoriété, a horreur du vide.

Communiquer ou ne pas communiquer, telle est la question que se sont posée de nombreuses marques aux premiers jours du confinement. Pour certaines entreprises, la réponse s’est imposée d’elle-même face à l’effondrement de leurs activités (hôtellerie, transport aérien, restauration…) consécutivement à cette crise sanitaire. Pour d’autres, l’incertitude des mois à venir et la crise économique qui s’annonçait ont incité à la prudence et à l’arrêt de nombreuses campagnes publicitaires. Le spectre de la crise 2008-2009 est dans tous les esprits, sans que l’on puisse prédire les effets du Grand Confinement.

Rester muet peut-elle être une option adaptée quand les enjeux d’images et de notoriété ne se sont pas arrêtés et seront indispensables pour envisager l’après ? Qui plus est dans un secteur aussi stratégique que les énergies, où l’électricité est classée comme un produit de première nécessité. Comment communiquer en temps de crise et envisager l’après ? Quels enseignements tirer de la précédente crise économique qui a traversé le monde en 2008 ?

Rémy Companyo, cofondateur et CMO d’Ilek, fournisseur privé français d’énergie verte, et Paul Gillet, fondateur et associé de l’agence MilleSoixanteQuatre, répondent à nos questions dans cette nouvelle interview.

Le confinement a mis l’économie nationale et internationale à l’arrêt, tout comme la communication de nombreuses marques dont la prise de parole ne faisait plus sens. Quelle fut votre première réaction au début du confinement ?

Rémy Companyo : Une position de protection interne des équipes, avec pour objet de rassurer les salariés et les clients sur le maintien du service.

Nous sommes ensuite rapidement partis sur des sujets de solidarité : à la demande des clients, nous avons lancé une cagnotte en interne auprès de ces derniers, suivie d’une période de communication assez faible due à l’atmosphère anxiogène des premiers jours du confinement. Nous avons préféré réserver notre parole pour mieux nous exprimer par la suite.

Paul Gillet : Nous avons constaté, côté clients et agences, un véritable phénomène d’étapes. La première fut l’étonnement et la stupeur, avec cet arrêt sur image d’une dizaine de jours où tout le monde a pris la mesure de l’impact et de l’ampleur réels de l’événement, et a figé ses leviers de communication.

Ensuite pour certains, et notamment ceux opérant sur des activations sur les réseaux sociaux, nous avons observé une dynamique extrêmement forte et une volonté d’occuper le terrain et peut-être de sur-communiquer afin de démontrer que les entreprises étaient toujours présentes et qu’elles donnaient gage de leur fonctionnement et de leur activité.

Enfin, la troisième étape est ce que j’appelle “l’étape des gestionnaires” : les DAF et les directions des achats ont pris le contrôle et imposé, du moins pour les sociétés cotées, un certain contrôle de la communication, voire une volonté de réduire les leviers actifs. Ce que j’ai pu voir et n’ai pas observé en 2009, c’est une organisation des business units communication des entreprises quelle que soit leur taille pour faire « contre pouvoir », et dire : « On ne peut pas ne pas communiquer ».

Aujourd’hui, il s’agit de construire des communications transparentes avec du parler-vrai. La crise est un excellent révélateur sur l’ADN de chaque entreprise : elle se dévoile dans la façon dont elle prend la parole à travers ses discours.

Comment gère-t-on cette période pour un annonceur ?

R.C. : Chez Ilek, l’élément nouveau est qu’on ne travaille plus à l’échelle d’un trimestre ou d’un mois. Les vérités d’hier ne le sont plus forcément. Ce nouveau phénomène d’instabilité réduit le champs de vision et nous fait piloter à la semaine ou la quinzaine. Il y a eu un souci de vigilance et d’observation sur ce premier mois de confinement qui a été assez fort dans la mesure où nous avons maintenu les budgets.

En période de crise, la communication est généralement le premier budget à faire les frais de coupes ou d’ajustement du côté des annonceurs, les agences quant à elles estiment qu’il est préférable de ne pas couper toutes les prises de paroles, notamment pour des questions de notoriété. Le cabinet Kantar estime ainsi qu’« une absence de six mois en télévision entraînerait une réduction de 39 % de la notoriété totale de marque liée à la communication, ce qui pourrait retarder la reprise dans un monde post-pandémique. » En tant qu’agence, comment avez-vous géré ce moment incertain et complexe ?

P.G. : C’est une très bonne question. Concernant l’étude Kantar, c’est indéniable. La communication (achat d’espace, influence, ou réseaux sociaux) ne supporte pas le vide. On paye à + un trimestre, ce que l’on sème à l’instant T. Cette temporalité doit être prise en compte.

En revanche, Ilek est assez représentatif d’un phénomène plus général : le distinguo entre la crise de 2009 et celle d’aujourd’hui, c’est la prise de conscience que le fait de ne pas communiquer ou de se terrer en attendant que ça passe est un discours qui ne passe plus. L’explosion du social et la dynamique de l’information actuelle, dans sa forme instantanée, digitale et omniprésente, alliés à la question de l’image devenue une composante fondamentale de nos sociétés, font qu’on a pu voir des marques, annonceurs et entreprises, engager des plans de communication.

Quant à la question des enjeux budgétaires, elle se compose et se construit. Nous recommandions donc d’internaliser quand c’était possible, mais de maintenir les cellules-conseils nécessaires à la conduite d’une activité (« Réussir, c’est être bien accompagné).

Il y a beaucoup plus de maturité de la part des marques et des entreprises par rapport à la précédente crise, aussi parce que la nécessité est là. Il en ressort de très belles choses dans la manière dont tout cela se construit et s’organise : on se serre les coudes entre agences et annonceurs beaucoup plus que par le passé. Et c’est ce vers quoi on doit avancer, c’est une dynamique de visibilité.

Du côté d’Ilek, souhaitiez-vous communiquer davantage ou au contraire réserver votre prise de parole ? Avez-vous adapté votre discours ?

R.C. : Nous devions lancer une campagne télévisée début avril, mais nous avons décidé de la mettre en attente pour plusieurs raisons. Nous nous sommes demandés si c’était le bon moment et si le message était adapté.

Nous avons finalement décidé, au regard du contexte, de la lancer la semaine prochaine tout en conservant le ton initial de la campagne. Il ne condamne pas les gens, n’est pas moralisateur ou donneur de leçons. Au contraire, le ton est bienveillant sur les petits gestes du quotidien qui peuvent changer les choses.

Ilek a envie de prendre le contrepied du marché : c’est peut-être le meilleur moment pour communiquer sur un produit qui est par essence même vecteur de transition et de changement écologique. Ce contre-pied est un risque, mais aussi une opportunité.

Merci de m’offrir cette transition. Justement, la crise a remis les enjeux énergétiques au centre des discussions : énergies vertes, dépendance et transition énergétiques, la crise peut-elle être un terrain d’opportunités ? Plus généralement, est-ce que la crise est un moment où le public peut changer radicalement et durablement d’habitudes de consommation ?

R.C. : Ilek fait partie d’un secteur sur lequel peu de gens ont changé de fournisseur pour opter pour une énergie verte. La dynamique du changement a certes démarré, mais a faiblement pris.

Aujourd’hui, contrairement à la crise précédente, tous les individus sont directement touchés. Même sans impact financier dans son foyer ou son secteur d’activité, l’impact se fait par le confinement lui-même.

La durée du déconfinement va être très longue, et son impact incroyable au niveau social. Par définition, les opportunités seront incroyables également. Notre génération, les enfants et tous ceux qui sont aux fenêtres vont porter une perception différente, un œil nouveau. Il faut saisir les choses positives qui naîtront de ce contexte particulier. Son ampleur est importante et méconnue malgré toutes les hypothèses avancées. Nous consommerons et nous vivrons différemment demain, c’est une bonne nouvelle.

P.G. : Comme le notait Rémy tout à l’heure, il y a une notion de gage et de pouvoir démontrer qu’il n’y a « pas de bullshit ». De très bons élèves existent en pure player, ils sont natifs et par essence légitimes par rapport à ces enjeux-là, comme Ilek. Après, effectivement, les acteurs historiques, et ce dans de nombreux secteurs, n’ont pas réellement agi en faveur de l’environnement. La question aujourd’hui n’est pas de condamner ou de jeter la pierre, puisque ces entreprises vont avoir la nécessité d’effectuer une transition, qu’elle soit écologique ou RSE dans la production des ressources. Je pense notamment à la fast fashion qui est en déclin quand de nouveaux acteurs de la seconde main sont en croissance. Nous n’avons plus le choix.

« Le Grand Confinement », nom donné à la crise économique de 2020, devrait être similaire — si ce n’est pire — à la crise économique et financière (de 2008) qui a suivie celle des subprimes (en 2007). Quels enseignements peut-on tirer de la crise de 2009 pour préparer/anticiper celle de 2020 ?

P.G. : J’en vois deux.
1— Les entreprises ne sont pas seules, nous sommes dans l’ère de Roosevelt et du New Deal. Une grande partie des États accompagnent les entreprises. En 2009, tout le monde n’était pas touché, les financiers étaient loin de nous.

Aujourd’hui, ce sont nos frères, nos amis, nos voisins, et nous-mêmes qui sommes touchés. Il y a une volonté d’aider pour ne pas tomber dans pire. Cet enseignement-là doit aussi bien être développé de la part des entreprises qu’être appliqué dans leur propre stratégie. Elles doivent simplement reproduire ce qu’on leur a donné, c’est un principe vertueux.

2— Nous sommes dans des enjeux de sens, de valeurs extrêmement fortes. En 2009, la seule chose que l’on a pu voir, ce sont les États soutenir les banques et de l’aigreur naître au niveau des entreprises et des personnes qui n’ont pas été accompagnées pendant cette crise.

Aujourd’hui, le mouvement est beaucoup plus positif, même si l’on vit quelque chose d’inédit. Il y a une énergie redoutable. Cette énergie-là est un bienfait et un réel carburant pour les entreprises. Elles doivent plonger dedans et le pousser au maximum.

Comment voyez-vous chacun de vos secteurs évoluer dans les prochaines années à l’aune de cette crise actuelle et à venir ?

P.G. : C’est un peu tôt encore pour en déterminer l’impact. J’ai toutefois remarqué une concentration qui va se poursuivre. Le digital crée une unité transverse avec la création de deux polarités fortes.
– La fonction conseil avec la plateforme de marque qui deviendra plus importante. Les enjeux d’identité seront constitutifs, car la notion de sens sera primordiale.
– L’activation de contenu sur les canaux digitaux
Le besoin de contenu a été multiplié par dix ces dernières années.

L’avenir appartiendra à ceux qui sauront donner du sens. Nous avons grandi et vécu sur des modèles de sur consommation au sein de la société de consommation : à l’aube des années 2000, puis avec la période « Me Myself & I » via l’explosion des réseaux sociaux et du culte de l’individu. Désormais, un phénomène de sens et de cognitif revient de manière forte, notamment via une démarche d’engagement environnemental.

R.C. : Le secteur de l’énergie va repartir du fait de son caractère de première nécessité avec des concentrations/restructurations possibles pour certains acteurs.

L’avenir du secteur se fera autour de l’innovation. C’est un élément clé pour favoriser la transition énergétique et pour rester proche de ses clients. L’élément clé se fera sur les promesses formulées et tenues.

Plus globalement, les consommateurs vont se poser la question de la valeur de l’entreprise dans leur vie et la société. Le sujet de la transparence sera très important à mener par l’entreprise pour prouver aux consommateurs que cette phase de changement à venir sera accompagnée d’une obligation de résultat. Les entreprises devront participer à cette nouvelle façon de consommer.

Chez Ilek, nous sommes convaincus que le changement vers un fournisseur d’énergies renouvelables va croître grandement dans les mois à venir, car le contexte actuel incite les gens à consommer différemment.

Nous avons observé un retour assez fort de nos ventes ces dernières semaines. Nous sentons une reprise alors même que les gens sont toujours confinés. L’acte d’achat revient sur les produits qui ont un impact, et potentiellement un impact à plus grande échelle. C’est plutôt une bonne nouvelle, mais c’est à l’entreprise de prouver sa valeur et ce qu’elle peut apporter à la société.

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