Comment rendre la publicité moins sexiste ?

Par Xuoan D. le 05/03/2018

Temps de lecture : 6 min

L'interview ''Jeunes loups'' de Virgile Brodziak, J.Walter Thompson Paris.

Malgré la percée des campagnes de « femvertising » d’Always, de Dove ou de la fameuse Fearless Girl, le constat est accablant. La représentation des femmes dans la publicité a peu progressé en 10 ans selon l’étude « Gender Bias in Advertising » : elles y sont deux fois moins présentes que les hommes, rarement suffisantes (5% des spots se contentent d’une femme seule, contre 25% d’un homme en solo), et les dirigeantes à la création sont beaucoup trop rares (3% aux USA il y a peu). Comment y remédier, en éliminant pour de bon les stéréotypes genrés et les biais inconscients ? Virgile Brodziak, co-DG de J.Walter Thompson Paris, va tenter d’y répondre dans cette nouvelle interview Jeunes Loups !

Qu’est-ce qui ne va pas actuellement dans la représentation des genres dans la publicité ?

Virgile Brodziak : Notre étude Gender Bias in Advertising, démontre que la publicité continue, dans sa grande majorité, de véhiculer des stéréotypes genrés et de sous-représenter les femmes. Si de grandes campagnes cannoises type This Girl Can ou Like A Girl animent l’entre-soi publicitaire, la communication des marques n’a que peu évolué en 10 ans dès lors que l’on se penche sur les pubs « du quotidien ».

Nous avons analysé 10 ans de films publicitaires en utilisant GD-IQ (ndlr : le Geena Davis Inclusion Quotient), l’algorithme du Geena Davis Institute et de Google, pour arriver à ce constat : rien ne change. En 2006, 33,9% des personnages d’un spot de pub sont des femmes, en 2016 c’est 36,9%. Et si 25% des films représentent un homme seul, 5% seulement mettent en scène une femme seule.
 

La publicité est-elle ici en phase avec la société et la culture ?

VB : La publicité est en retard. Pour faire passer un message rapidement et au plus grand nombre, elle s’impose d’utiliser encore et toujours les mêmes clichés. Les industries culturelles, elles, évoluent plus vite. À Hollywood, les héroïnes féminines s’imposent et sont des succès commerciaux sans précédent. Après 19 super-héros masculins, Wonder Woman a explosé le box-office US. Au sein de la grille Netflix, elles côtoient à égalité leurs homologues masculins : Claire Underwood, Jessica Jones, les filles d’Orange Is The New Black ou de Glow…
 

Pourquoi est-il clé que ce sujet progresse ? Une vision cynique pourrait être que ce déséquilibre a été jusqu’alors relativement efficace d’un point de vue économique.

VB : Ce déséquilibre a existé mais cette époque est révolue. La société se transforme et les attentes des citoyens consommateurs avec. Les marques prennent désormais le risque de se faire distancer, voire d’être rejetées, si elles ne prennent pas le train en marche. 66% des femmes ont déjà zappé une pub ou un programme TV dans lequel elles se sentaient stéréotypées. Et combien refusent déjà d’acheter une marque perçue comme conservatrice ?
 

Les générations Y et Z ont-elles des attentes différentes vis-à-vis de la représentation des genres ?

VB : Les millennials ont changé la donne. Ils cherchent de l’authentique, du réel, que ce soit dans les représentations de beauté, de genre, de diversité. Ils ne veulent pas imposer de nouvelles normes, juste rendre possible la différence, l’expression des individualités. Maternité, paternité, genres, sexualités… ils attendent que la publicité reflète au plus proche les évolutions sociétales.

Alors oui, quand Audi compare des femmes à des voitures d’occasion en Chine, ou quand Jimmy Choo rend « cool » le harcèlement de rue, les millennials s’élèvent et Twitter s’enflamme. Quant aux campagnes françaises de GiFi, c’est à pleurer
 

N’est-ce pas au fond la société dans son ensemble qui attend davantage d’engagement de la part des marques ? (environnement, inclusion, bien-être animal…)

VB : Tout cela participe en effet à un mouvement plus global, celui des missions d’entreprise. Le temps de la « compensation » à travers quelques actions de RSE est finie, les consommateurs veulent des marques engagées qui ont un impact positif sur l’environnement et les communautés. À l’image de Patagonia, Ben & Jerry’s ou Warby Parker, les entreprises vont devoir conjuguer leur rôle sociétal avec leur proposition commerciale. C’est une très bonne nouvelle pour tout le monde.
 

Quid de la représentation des autres genres ? Puisque l’ensemble de la population ne se définit pas de façon binaire entre homme et femme.

VB : Quelques exemples très marginaux existent… Nike, Diesel ou Google ont pris les devants avec des campagnes qui représentent des acteurs, mannequins ou athlètes transgenres. Si la publicité a pris du retard sur le féminisme, espérons qu’elle se tourne désormais vers des représentations les plus diversifiées possible de notre société.
 

Après les grandes campagnes de « femvertising » à la Dove, Always ou fearless girl, l’heure n’est-elle pas venue pour un changement plus profond, subtil et efficace de la représentation des genres dans la publicité ? Notamment dans des campagnes courantes, moins spectaculaires ?

VB : Les grandes campagnes de femvertising restent nécessaires pour faire bouger les lignes. L’enjeu est que les campagnes de moindre envergure abandonnent les clichés sexistes.

Lorsque nous créons la nouvelle identité de la marque de lingerie Simone Pérèle, chez J. Walter Thompson, nous tentons de déconstruire les clichés du genre. Exit les visuels ultra-érotisés, les allusions sexuelles ou la séduction comme seule finalité. Les campagnes présentent les « Simones », des femmes inspirantes et qui personnifient la valeur centrale de la marque : l’estime de soi.

Lorsque nous imaginons le nouveau film de marque de Diadora, les femmes y sont traitées à égalité avec les hommes. Elles sont de fières athlètes, championnes de BMX ou de football.

Quel conseil donneriez-vous aux marques qui souhaiteraient progresser sur ce sujet ?

VB : D’écouter les plus jeunes dans les organisations, de s’entourer de collaborateurs qui incarnent la diversité dans son ensemble. L’entre-soi conduit toujours à des erreurs d’appréciation et les vieux réflexes reviennent en force. Acceptez de ne pas connaitre, de ne pas maitriser un sujet et d’être critiqué. Votre comex d’hommes blancs hétérosexuels de plus de 45 ans trouve votre campagne superbe ? Mais qu’en dit une jeune femme issue de la diversité ? Que décrypte-t-elle de vos intentions ?
 

Que peuvent mettre en place les agences de leur côté ? On pense au recrutement et à la promotion interne : peu de femmes sont par exemple aux postes de création, et seules 3% sont des directeurs de créations étaient des femmes aux Etats-Unis il y a encore peu de temps.

VB : Le recrutement en début de carrière n’est pas tant le problème dans les agences car à l’entrée dans l’entreprise une certaine parité existe. Les agences doivent se battre, à travers des systèmes de mentoring par exemple, pour briser ce plafond de verre qui conduit à seulement 3% de femmes directrices de création. L’égalité des chances et l’égalité salariale doivent être un combat quotidien. Il existe des initiatives, comme la 3% Conference ou WhereAreTheBossLadies qui font avancer les choses, soutenons-les.

J. Walter Thompson Paris a la chance d’appartenir à un réseau dirigé par une femme, Tamara Ingram, qui œuvre depuis son arrivée en faveur de l’inclusion et de la diversité sous toutes ses formes. Nous menons des initiatives, comme Female Tribes, qui aident aussi nos clients à mieux appréhender le sujet.
 

Comment voyez-vous le sujet évoluer dans les années à venir ?

VB : L’UDA a lancé l’initiative FAIRe, Getty Images travaille avec la fondation Sheryl Sandberg ou Land Rover pour créer des visuels luttant contre les représentations sexistes… je suis optimiste. Étant papa de deux petites filles, je n’ose imaginer qu’elles aient à subir les clichés sexistes qu’ont connu les générations précédentes. N’oublions pas que ce problème relève de notre responsabilité collective, en tant que communiquant nous sommes des « créateurs de symboles », à nous de choisir ceux que nous transmettons.

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