Avec TikTok, les influenceurs sont-ils en train de disrupter les marques ?

Par Élodie C. le 17/06/2024

Temps de lecture : 7 min

C’est la plateforme de tous les records et disruptions, en quelques années le paysage marketing a été confronté à une évolution rapide sous l’influence de TikTok, mettant en avant la nécessité pour les marques de s’adapter à des contenus plus organiques et moins contrôlés. Les marques n’ont d’autres choix qu’accepter de devenir commentateurs des contenus produits par les utilisateurs plutôt que de contrôler leur image, et de saisir les opportunités offertes par l’IA.

Nous avons échangé avec Marion Breuleux, membre du FrenchCrew au festival South by Southwest, qui estime que cette dynamique impose aux équipes marketing de se concentrer sur leurs véritables fans et de choisir entre un contenu éducatif ou divertissant. La fragmentation des marques est inévitable, nécessitant une réévaluation des stratégies de communication.

Avez-vous observé des cas où des influenceurs ont réussi à créer une grande marque grâce à TikTok ? Pouvez-vous donner des exemples ?

Marion Breuleux : Ce n’est pas tellement ce que j’ai pu observer. En revanche, j’ai pu voir des influenceurs qui, sans se considérer comme tels, ont fait la démonstration de l’utilisation d’un produit sur TikTok, créant un précédent pour une marque et deviennent des égéries totalement improbables. Par exemple, une vieille dame a utilisé un produit cosmétique appelé Instant FirmX Eye sur TikTok, et la vidéo est devenue hyper virale. 

@onlynishaa_

fyp chickensalad clevelandsalads 81stdeli onlynishaa__

♬ original sound – Onlynishaa

Cette femme est devenue l’argument marketing numéro un de la marque. Un autre exemple est une vidéo récupérée par Weight Watchers. Une femme décrit une salade au poulet commandée dans un dinner de façon décalée. La formule ‘chicken salad, superior’ est devenue un standard sur TikTok. Weight Watchers a utilisé cette vidéo comme un élément clé de sa communication. Ainsi, ce n’est pas forcément des influenceurs qui créent des marques, mais plutôt des marques qui se font disrupter par des créateurs de contenu. Les rôles se renversent, et les marques doivent s’adapter à ces influenceurs organiques, devenant des commentateurs plutôt que des drivers de leur communication.

@weightwatchers

Guys, we did a THING… Y’all better come up here and get @onlynishaa_’s chicken salad on the WW App!!!! #chickensalad #itsachickensalad #ww #wwrecipe #yallbettercomeuphereandgetoneofthese

♬ original sound – ATL TAYH 😈

Une grande marque a-t-elle émergé grâce aux collaborations avec des influenceurs sur TikTok ? Si oui, pouvez-vous nous en parler ?

M.B. : Je n’ai pas d’exemple de grande marque qui aurait émergé grâce aux collaborations avec des influenceurs sur TikTok. Ce que j’observe, c’est plutôt la façon dont les marques se font disrupter par les créateurs de contenu, et comment les rôles s’inversent. Les marques avaient l’habitude de vouloir contrôler le discours des influenceurs pour qu’ils disent des choses positives sur elles. Aujourd’hui, ce sont souvent des créateurs de contenu, qui ne se considèrent pas forcément comme des influenceurs – cela peut être votre belle-mère ou ma cousine – qui parlent d’un produit en tant qu’utilisateurs. Ils s’adressent ainsi à une communauté de ‘believers’, c’est-à-dire des gens qui croient réellement en ton produit, plutôt qu’à des fans. Cette logique de dépenser énormément pour créer de belles vidéos et des contenus soignés, que l’on fait ensuite utiliser par des influenceurs référencés pour contrôler la communication, devient de moins en moins payante, surtout pour les marques en B2C ou mass market.

Pensez-vous que la montée en puissance des influenceurs sur TikTok pourrait réduire l’importance des agences de publicité traditionnelles ?

M.B. : Il y a clairement une redéfinition des rôles. On peut aujourd’hui créer du contenu à grande échelle avec des outils d’intelligence artificielle, créant une forme de désintermédiation. La collaboration avec les agences est durablement modifiée. Il ne suffit plus d’animer ou d’envoyer des contenus à sa communauté, ça ne fonctionne plus. Les agences doivent réinventer leur rôle, en intégrant la créativité et la stratégie, mais en étant beaucoup plus en lien direct avec les créateurs de contenu. À South by Southwest, plusieurs agences ont mis en avant la fin des réseaux sociaux traditionnels et social media, mais aussi la fin du funnel et du follower. On observe une nécessité de réinventer les stratégies et le stack marketing.

Comment les tendances virales sur TikTok influencent-elles les campagnes de marketing des marques ?

M.B. : Les tendances virales sur TikTok influencent les campagnes marketing, mais cela nécessite un lâcher-prise de la part des marques. Si on a une culture Instagram ou même LinkedIn, ça ne sert à rien d’essayer de faire la même chose sur TikTok. Ça ne fonctionnera pas, voire, cela sera peut-être contre-productif. Les contenus léchés ne fonctionnent pas, et il faut adopter une culture du remix, commenter et utiliser ce qui se produit sur la plateforme. Ce sont parfois les contenus les moins travaillés, les plus drôles et les plus puissants au bout du compte.

Duolingo, par exemple, utilise une mascotte dansant sur des musiques et des vidéos un peu débiles. Il n’y a pas grand contenu, mais c’est très viral. Il y a une dichotomie entre être educator ou entertainer, les marques doivent choisir. Cette situation est très déstabilisante pour les équipes marketing et les agences : les marques doivent s’inscrire dans des contenus produits par des utilisateurs sur les réseaux sociaux, ce qui les interpelle et crée des conversations, souvent malgré elles.

L’autre exemple, c’est cette jeune femme proposant de refaire les logos des grandes marques de manière ridicule. McDonald’s et Windows ont joué le jeu, rendant ces vidéos extrêmement virales. Le premier a changé sa PP sur toutes ses plateformes sociales avec le logo créé par la jeune femme, et ce, pendant toute une journée. Cela démontre un renversement de la manière dont les marques pensent leur communication, acceptant de ne plus être les drivers, mais les commentateurs des contenus.

Cette situation entraîne une fragmentation considérable des marques. Certains responsables marketing ont même évoqué la fin de la destination dot-com comme pilier unique d’une stratégie marketing. Nous sommes dans une ère où le marketing est dirigé par les créateurs et les créateurs de contenu. C’est très déstabilisant et cela oblige à identifier les ‘true fans’, comme les appelle Jack Conte, le fondateur de Patreon, ceux avec qui les marques peuvent créer une communauté, et quelles sont les personnes qui parlent de la marque. Il ne s’agit pas de les utiliser, mais de se placer derrière eux ou de suivre leur sillage pour en tirer quelque chose. 

Comme évoqué plus haut, il est crucial de décider si le contenu doit être éducatif ou divertissant : est-ce que ce contenu vise à éduquer, au sens large, ou à divertir ? Par exemple, Selena Gomez a réalisé une campagne éducative pour sa marque de cosmétiques, Rare Beauty, portant sur la santé mentale et l’impact des réseaux sociaux sur celle-ci, notamment chez les jeunes adolescentes. C’est un enjeu de société et donc un domaine d’éducation important. 

Il est essentiel de choisir une influenceuse crédible sur ces sujets, Selena Gomez a été diagnostiquée bipolaire en 2020. En matière d’éducation, on peut aussi aborder des questions plus politiques, comme Nike qui a soutenu Colin Kaepernick lors de ses prises de position contre les violences policières en marge du mouvement Black Lives Matter. Cela montre aussi le courage des marques et leur capacité à s’engager.

Quelle est la prochaine étape pour le marketing sur TikTok ?

M.B. : Les équipes marketing doivent réinterroger leurs fondamentaux et expérimenter davantage. L’IA est encore peu utilisée de manière intéressante en marketing. Dove a fait quelque chose d’intéressant avec l’IA en revanche, bien que parfois mal compris et pouvant sembler comme du ‘IA washing’. TED et Mailchimp ont créé des communications avec l’IA, explorant comment elle peut aider à créer de meilleurs clusters de clients. Cela reste encore principalement dans le domaine du produit. 

Nous passons d’un marketing omniprésent à un retour en force des équipes produits. Les directeurs marketing (CMO) se trouvent un peu en difficulté. La prochaine étape est de continuer à apprendre et de se plonger dans le concret. Emmanuelle Kleinmann, ancienne CMO d’Aircall, a parlé de croissance basée sur l’apprentissage (‘learning-led growth’). Pour moi, c’est crucial : expérimenter, apprendre, et mettre en œuvre. Avec la fin des cookies, des followers, des réseaux sociaux traditionnels et du funnel, il y a tout un nouveau chemin à créer.

À SXSW, Ian Beacraft a montré comment l’IA peut être intégrée dans nos processus de travail. En deux heures et demie de brainstorming avec l’IA, son équipe a pu créer 4 000 visuels et 12 landing pages, offrant ainsi différentes stratégies de communication. Ce n’est plus une question de se faire remplacer par l’IA, mais de l’intégrer pour aller plus vite et proposer des prototypes plus rapidement. C’est un outil de commercialisation très puissant.

Enfin, en ce qui concerne le marketing de contenu, on parle souvent de sa fin, car le contenu créé par les marques ne fonctionne plus. Un exemple intéressant sur Instagram est celui de la marque de bagagerie Away. Leurs vidéos les plus populaires sont celles créées en mode utilisateur, où des voyageurs montrent combien d’articles ils peuvent mettre dans un bagage, par opposition aux vidéos léchées de bagages en voyage. On voit très clairement que la stratégie de contenu a changé, avec des vidéos fabriquées par la marque en mode utilisateur obtenant des millions de vues, contre seulement des dizaines de milliers pour les vidéos plus soignées.

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