Face aux enjeux climat et digital, le sport business est contraint de se réinventer.
À deux mois de la Coupe du Monde et à deux ans des JO 2024, le sport est dans les têtes de nombreux annonceurs. Pourtant, ses acteurs traditionnels font face à de sérieux enjeux d’attractivité. La RSE et le digital, notamment les sujets web3 liés aux NFTs, semblent deux axes de transformation majeurs pour y remédier…
Et si la responsabilité semble le sujet le plus médiatique auprès du grand public, nombreux sont les professionnels interrogés à nous avoir cité, à chaud, le web3 et plus globalement le digital comme un sujet tout aussi essentiel. “Le potentiel des innovations liées au web3 est énorme, que ce soit pour diversifier le modèle économique des détenteurs de droits, créer de la fan expérience ou engager de nouvelles audiences”, explique Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora, l’organisation qui rassemble les principaux acteurs du sport business que sont les organisateurs de compétitions et les clubs, les sponsors et les agences de marketing sportif.
Bruno Martini, président de la Ligue Nationale de Handball, distingue lui aussi le sujet du web3, “soumis aux soubresauts du marché des crypto-monnaies, mais qui, en tant que tendance technologique de fond, mérite qu’on s’y attarde aujourd’hui, afin d’être prêt le jour où elles toucheront un public plus large”, du sujet plus visible des “partenariats à mission” mis en place dans le cadre de la stratégie RSE des entreprises.
Le sport à la recherche de la performance RSE
“Tous ces sujets mettent en exergue la professionnalisation du marketing sportif ces dernières années. Le secteur répond maintenant à de nombreuses problématiques marketing, avec au départ une recherche de visibilité qui s’est transformée ces dernières années en recherche d’activations communautaires à mener auprès des fans ou des partenaires BtoB, quand désormais, il s’agit aussi de s’approprier des valeurs, soutenir des causes et mener des actions RSE”, analyse Anthony Alyce, journaliste fondateur du site Ecofoot.fr, citant en exemple Veolia, sponsor de la plateforme de covoiturage mise en place par le RC Toulon pour ses fans.
Mais à l’approche de la Coupe du Monde de football au Qatar, difficile pour les sponsors de se positionner sur des valeurs, l’organisation de la compétition, aberration environnementale et sociale, ayant déjà coûté la vie à plusieurs milliers d’ouvriers. Les appels au boycott qui touchent la deuxième compétition sportive la plus suivie au monde ont de quoi inquiéter organisateurs et annonceurs, même si rares sont ceux à s’être publiquement positionnés sur le sujet, beaucoup se contentant, à l’image des sponsors de la fédération belge, de ne pas bénéficier des hospitalités prévues sur place.
Et ce n’est pas une blague sur les chars à voiles qui permettra de détourner l’attention : les compétitions sportives doivent évoluer pour être plus durables, au risque de voir les polémiques devenir récurrentes.
“Le sujet de la sobriété énergétique nous concerne également, et nous nous concertons afin de trouver des mesures plus responsables, comme la diminution de l’éclairage dans les stades”, indique Magali Tézenas du Montcel, évoquant également la sécheresse qui a frappé la France cet été, accouchant de critiques autour de l’arrosage des golfs ou encore des routes avant le passage des cyclistes du Tour de France. “Il faut faire bouger les lignes pour aller vers plus de responsabilité, et cela concerne aussi le sponsoring. Chaque crise nous fait avancer. Notre visibilité nous contraint à être irréprochable.”
Mais au volet écologique s’ajoute également un volet sociétal : accusée d’avoir fermé les yeux sur des pratiques de harcèlement sexuel et de violences pédophiles au sein de son organisation et de la filière, la FFF traverse actuellement l’une des pires crises de son histoire… À l’heure où la question de la santé des athlètes, tant mentale que physique, se pose de plus en plus, les institutions du sport voient leur fonctionnement, et même leur raison d’être, remis en question sur tous les tableaux. On y reviendra.
Le monde amateur, terrain d’engagement favori des marques
« La RSE est de plus en plus au cœur des stratégies des sponsors. L’enjeu est de réussir à raconter des histoires positives, là où le sujet est encore abordé de manière très négative, en pointant du doigt ce qui ne va pas. Les marques ont l’occasion de mettre en avant les actions menées dans une démarche d’exemplarité”, estime Augustin Pénicaud, vice-président de Havas Play (ex-Havas Sports & Entertainment).
Dans ce cadre, les actions menées en direction du monde amateur semblent se multiplier. “Le sport est riche en valeurs et permet d’adresser de nombreuses problématiques RSE.
Dans ces conditions, la tendance qui va se développer à l’approche des JO est selon moi celle du « sport santé », qui est notamment appréciée par les entreprises cherchant à développer leur marque employeur”, avance Jean-François Royer, directeur général de WeTeam Group, qui estime qu’on ne voyait pas autant de dispositifs ciblant le sport amateur il y a cinq ans.
Il évoque également l’intérêt des sports professionnels et semi-professionnels moins en vue : “Plus que jamais, il y a un intérêt à accompagner un athlète peu médiatisé en temps normal, mais dont l’exposition va croître à l’approche des jeux. Pour quelques dizaines de milliers d’euros, vous aidez un potentiel champion olympique, dans des disciplines comme le kayak ou le triathlon dont la pratique est en hausse ces dernières années.”
Une analyse qui vaut également pour le sport féminin, qui a bénéficié ces dernières années d’une meilleure mise en avant selon Augustin Pénicaud : “Les détenteurs de droits ont commencé à séparer les hommes des femmes dans les packages proposés aux annonceurs, ce qui permet à des marques de ne sponsoriser que les équipes féminines, contribuant à renforcer la valeur de ces droits. Le montant mondial des investissements dans le sport féminin a ainsi augmenté de 146 % selon Nielsen entre 2021 et 2022, contre +27 % entre 2020 et 2021.”
Mais au-delà des considérations financières, la relative accessibilité de ces disciplines s’accompagne également d’une certaine “sécurité”, loin des strass et des polémiques de sports plus médiatiques. D’où le succès de cette approche ? “Le sport amateur ne doit pas être opposé au sport professionnel. Les deux sont complémentaires. Je pense qu’il permet surtout de mettre en avant concrètement les engagements et le savoir-faire des sponsors, avec des actions qui laissent un héritage”, indique Augustin Pénicaud, citant l’exemple d’Orange qui accompagne, en tant que partenaire de la FFF, plusieurs milliers de clubs amateurs au travers l’organisation d’ateliers d’éducation au numérique. “Dans le cadre de son opération « Gagner du terrain », la FDJ finance l’aménagement d’espaces urbains afin d’y faciliter la pratique sportive. Ce ne sont pas des opérations très visibles, mais ce sont des actions qui prouvent l’engagement concret du sponsor”, détaille le vice-président d’Havas.
Un plan de jeu “grass roots”, permettant aux sponsors de s’enraciner en alliant des actions concrètes auprès de clubs amateurs et des dispositifs plus visibles montés avec le monde professionnel, le tout offrant des opportunités d’engagement des fans à plus ou moins grande échelle.
Le web3, nouveau laboratoire de la fan expérience
Pour les mêmes raisons, le sujet du web3 a pris une envergure aussi importante qu’inattendue dans les réflexions des acteurs du sport business. “Le sujet du web3 ne concerne pas que le sport, mais il est particulièrement présent aujourd’hui pour deux raisons : c’est un moyen de donner une image dynamique du secteur, mais aussi d’étudier de nouvelles opportunités pour engager, créer du lien avec les fans, et surtout développer de nouveaux revenus”, résume Céline Jobert, CEO de l’agence LAFOURMI.
Les initiatives en la matière sont nombreuses : de manière non exhaustive, on citera par exemple la vente de sneakers associées à des NFTs par Decathlon, ces derniers donnant accès à des expériences partagées avec Séan Garnier, le champion du monde français de football freestyle ; la mise en vente par Roland Garros de NFTs ouvrant les portes d’un club de fans privilégiés, qui bénéficieront d’avantages dans le cadre des prochains tournois du Grand Chelem ; l’arrivée de clubs comme le RC Toulon ou Manchester City dans des métavers, en collaboration avec, respectivement, The Sandbox et Sony ; ou encore les partenariats réalisés par les clubs avec Socios.com afin de créer des “fans tokens” offrant aux possesseurs l’accès à des expériences et produits exclusifs, et ceux, inévitables, avec Sorare, la plateforme française qui a ringardisé les cartes Panini et qui, après avoir réalisé une levée de fonds de 680 millions de dollars en 2021, un record pour la French Tech, s’est attaqué au basket et au baseball via des accords avec la NBA et la MLB.
Néanmoins, les projets web3 ne sont pas “une fin en soi” selon Bruno Martini, mais un moyen de rassembler une communauté autour d’une pratique réelle. C’est l’enjeu : lier le virtuel au réel, pour favoriser la venue au stade ou la participation à l’activité sportive, plutôt que la spéculation et le profit.” Or, tous les projets ne sont pas encore alignés sur cette vision regrette Céline Jobert : “au même titre que les actions RSE, le grand public est de plus en plus attentif et exigeant. Il ne veut pas d’opportunisme de la part des ayants droit ou des sponsors. Il faut offrir des services concrets, et c’est ce qui manque encore souvent aujourd’hui. Je fais le parallèle avec l’époque du développement des applications mobiles : tout le monde voulait en être, sans savoir exactement quoi en faire. Inévitablement, cela peut vous mener à des expériences déceptives.”
Crise d’attractivité et nouveaux modes de consommation
Ne pas décevoir. Malgré les dynamiques à l’œuvre dans le secteur du sport business, celui-ci fait face à un réel enjeu d’attractivité, et doit se réinventer, tant pour s’adapter aux nouvelles réalités sociétales et environnementales que pour correspondre aux nouvelles attentes des jeunes générations.
Une nécessité qui s’illustre ces dernières années par des phénomènes significatifs : « On observe l’arrivée des GAFAM dans l’écosystème, avec les rachats des droits de compétitions comme la Ligue 1 pour Amazon, la Coupe du Monde de rugby 2023 pour Meta, ou encore l’Euro ou les 6 nations pour TikTok. Les fans regardent de moins en moins les lives en entier, et de plus en plus des extraits sur les réseaux. Ils recherchent aussi de nouvelles expériences. Pour la Coupe du Monde de rugby, Meta a par exemple dévoilé des expériences en AR / VR pour visiter les stades, les vestiaires et vivre les matchs”, remarque Augustin Pénicaud. “Cela offre de nouvelles opportunités aux ayants droit, qui peuvent aussi capitaliser sur les coulisses de l’équipe, ou plus généralement tout ce qui touche de près ou de loin à la vie des athlètes”, confirme Magali Tézenas du Montcel.
D’autant que la multiplication des canaux et l’arrivée des “walled garden” que sont les GAFAM bouleversent le fonctionnement classique du sponsoring, les audiences étant difficilement accessibles ou mesurables. “Cela pousse aussi les annonceurs à innover, et à ne pas se contenter de la simple visibilité du terrain et de la diffusion. Il faut activer au maximum l’ensemble des assets, et faire vivre les partenariats au-delà de l’écosystème du diffuseur”, indique le vice-président d’Havas Play.
« Les investissements réalisés par les plateformes restent relativement timides. Amazon a récupéré les droits de Mediapro à prix cassé, ce qui lui permet de tester la rentabilité et l’intérêt de ces contenus pour son écosystème. Il y aura un nouvel appel d’offres l’an prochain, on verra si l’e-commerçant se repositionnera”, tempère Anthony Alyce, remarquant ironiquement que les plateformes cherchent elles aussi à renouveler leurs offres et à se distinguer d’une concurrence accrue en misant sur le sport.
Le succès du sportainment à l’heure de la révolution numérique
Mais la crise d’attractivité que connaît le sport en général ne se résume pas aux bouleversements qui touchent ses canaux de diffusion, comme l’explique François Bellanger, prospectiviste du sport : “Le sport organisé des clubs, des ligues et des fédérations, est un héritage de la révolution industrielle du XIXe siècle. Cet écosystème ne représente plus qu’une minorité de la pratique sportive, impactée aujourd’hui par la révolution numérique. On valorise bien moins la compétition et le fait d’être un winner que la pratique, l’amusement et le fait d’être un finisher. On remarque d’ailleurs que pour attirer à nouveau, les Jeux vont chercher des pratiques comme le breakdance, le surf ou l’escalade, qui se sont développées en dehors de l’olympisme, et même en opposition avec ce monde. Et même en s’inspirant des sports libres, seulement un quart des Français se disent véritablement intéressés par les JO ! Pour autant, il n’y a pas un désamour pour le sport : de plus en plus de personnes le pratiquent simplement en dehors des cadres traditionnels”, avance le spécialiste. “Aujourd’hui, pour de nombreux jeunes, le football ce n’est pas qu’un match classique, c’est aussi une partie de futsal entre amis, un match sur console ou une ligue sur Mon Petit Gazon.”
Pour séduire à nouveau, les ayants droit s’inspirent ainsi des pratiques émergentes pour proposer des activités plus accessibles et divertissantes : padel, futsal, 3×3 au basket… l’innovation bat son plein. “Le handball est assez significatif de cette évolution : malgré les médailles de l’équipe de France et la qualité du championnat, le sport n’arrive pas à quitter les gymnases pour susciter des pratiques divertissantes. Ce n’est pas à la portée de tous les sports, notamment d’un point de vue matériel”, analyse François Bellanger.
Un constat qui n’a pas échappé à Bruno Martini : “C’est un gros sujet pour la Fédération, qui doit lancer de nouvelles pratiques, comme par exemple le hand de rue ou le beach hand. Les pratiques alternatives qui font le show sont très convoitées.” Passé par l’équipe e-sportfrançaise Team Vitality, l’ancien gardien de l’Équipe de France de handball reconnaît également l’intérêt des documentaires comme “Drive to survive” sur la Formule 1 ou des Fantasy Leagues pour superposer de nouvelles pratiques et modes de consommation aux compétitions existantes.
De son côté, si l’e-sportn’est plus une tendance naissante, le secteur continue de se structurer pour offrir de nouvelles possibilités aux annonceurs, séduits par ses audiences massives. En 2021, 9,5 millions d’internautes ont suivi des compétitions en France, soit 1,6 million de plus qu’un an auparavant selon France eSports. “On observe une “nationalisation” des compétitions eSportives. Auparavant, les sponsors ne pouvaient accompagner que des compétitions internationales, ce qui ne convenait pas à tous les acteurs. L’alternative était de collaborer avec un média national qui diffusait la compétition, ou à la limite, une équipe nationale qui participait à la compétition. Mais désormais, il y a une plus grande granularité, avec le développement de ligues nationales et de ligues étudiantes qui font office de “seconde division”, ce qui accélère d’autant plus la croissance de l’écosystème”, constate ainsi Mathieu Lacrouts, CEO de l’agence Hurrah, spécialisée dans le gaming et l’eSport.
“Au-delà de l’eSport, il est frappant de voir que les disciplines et les compétitions évoluent pour répondre à ces nouvelles formes de consommation. Regardez le golf par exemple, avec le LIV Series, financé par l’Arabie saoudite, et qui propose de nouvelles règles. Il y a aussi la Tech-Infused Golf League, lancée par Tiger Woods et Rory McIlroy, qui se veut autant un show qu’une compétition avec, dans un stade et sur deux heures, des équipes s’affrontent sur des concours d’approches par exemple, le tout avec un public bien plus proche et une ambiance loin de ce qu’on connaît…”, évoque de son côté Augustin Pénicaud.
Remise en cause des institutions et sportifs influenceurs
Le golf n’est pas le seul sport dont les institutions sont mises en compétition par des challengers : le tennis fait par exemple face à une tentative originale portée par Patrick Mouratoglou et nommée Ultimate Tennis Showdown. Intégrant des mécaniques web3, l’UTS veut limiter la durée des matchs et offrir l’opportunité aux possesseurs de ses NFTs d’influencer en direct le cours d’une partie, en avantageant par exemple momentanément leur joueur préféré.
Autre exemple avec le projet Immortal Games, qui vient de lever 15,5 millions d’euros pour révolutionner les échecs grâce au web3. Et si, comme le remarque Céline Jobert, ces nouvelles ligues nécessitent de lourds investissements et n’ont pas encore prouvé leur rentabilité, il faut constater qu’elles bénéficient du soutien de certains athlètes, désireux de sortir des carcans imposés par leur discipline.
Une évolution rendue possible par les réseaux sociaux, qui leur offre des revenus autres que ceux issus de leur performance en compétition. “Les joueurs sont eux-mêmes devenus des médias et peuvent signer leurs propres accords de sponsoring”, note Anthony Alyce. Quitte à entrer en conflit avec leur club ou leur fédération quand il estime que l’exploitation de leur image collective nuit à leur valorisation personnelle, à l’instar du conflit qui a récemment opposé Kylian Mbappé et la FFF, le premier réussissant à contraindre la seconde de négocier.
Un exemple supplémentaire du rééquilibrage à l’œuvre actuellement en matière de sport business, qui pourrait profiter aux annonceurs… “Les premiers sponsors de l’e-sportont véritablement co-construit des formats publicitaires ou des activations pour qu’elles correspondent plus à leurs besoins” indique Mathieu Lacrouts. “Les marques ont une opportunité à saisir en accompagnant et même favorisant les nouvelles pratiques qui émergent en dehors des institutions”, conclut François Bellanger. Des applications comme Strava, Freeletics ou Kunto ont de quoi inspirer, alors que des acteurs comme Nike ou Decathlon ont déjà lancé leur plateforme pour favoriser les pratiques personnelles. “Qui regarde encore de l’athlétisme à la télévision ? Pour autant, vous n’avez jamais vu autant de runners…”
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