Optimisons la relation annonceur-agence

Par Xuoan D. le 10/11/2016

Temps de lecture : 11 min

Piloter sa stratégie de communication est un enjeu majeur pour tout annonceur. Celui-ci implique un arbitrage des moyens, l’équilibre entre investissements image, réputation et business.

En découle la gestion d’un portefeuille d’agences très différentes à manager, dont les périmètres d’intervention respectifs sont de plus en plus flous. Époque oblige, l’annonceur devenu chef d’orchestre doit aussi tout mesurer, et être garant du ROI de ses actions.

Afin d’y voir plus clair, nous sommes allés à la rencontre d’annonceurs.

Intervenants

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Niccoló Ragazzoni
‎International Marketing Director
Dom Pérignon / LVMH

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François Fouasson
Co-dirigeant
Groupe VT Scan

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Béatrice Godineau
Directrice de la communication
Ouibus

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Hugo Charousset
‎Central Product Category Manager
Post-it® – 3M

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Jérôme Deligne
Directeur Marketing Communication & Digital – Saint Maclou

Qui veut la peau de l’agence lead ?

Le « lead » historique de l’agence de communication 360 est plus que jamais défié par 2 tendances fortes :

L’internalisation et le mode projet

Avec le digital, les annonceurs ont largement internalisé des métiers qui étaient jusqu’alors réservés aux agences. Que ce soit sur la data, l’achat média (cf l’internationalisation globale de l’achat programmatique chez Air France) ou sur le branded content Lacoste ou Menlook, la montée en compétence des annonceurs en interne ne favorise pas le recourt à une agence lead. Si bien que les entreprises qui ont beaucoup internalisé sollicitent les agences uniquement en mode projet, pour des compétences qu’ils n’ont pas (encore ?). Tel est par exemple le fonctionnement de LVMH pour la marque Dom Pérignon, comme nous l’explique Niccoló Ragazzoni, International Marketing Director : « nous travaillons énormément en interne sur la stratégie de marque et le positionnement. Les agences nous accompagnent sur des sujets ponctuels. Ceux-ci peuvent cependant s’avérer stratégiques et nous aider à aller sur de nouveaux territoires. Aucune agence n’a le lead, mais nous avons un pool de 2-3 agences conseil que nous pouvons activer chaque année. » Ce qui marque un changement car auparavant la marque « avait plutôt tendance à solliciter une agence pour la plateforme globale, et à lui confier ensuite l’ensemble du mix marketing ». Dom Pérignon fait également « beaucoup appel à des artistes en direct. Ceux-ci n’étaient auparavant pas atteignables, pour des questions de budget ou d’intermédiation avec l’agence ».

 

Le client-centric annonce la fin des silos

Les annonceurs adoptent une approche client-centric, qui matérialise – enfin ! – l’explosion des silos au sein des entreprises. Les décideurs raisonnent de moins en moins en termes de techniques et de supports de communication, mais partent désormais de la data clients, prospects, et social media pour mieux se concentrer sur l’expérience client. Ce qui compte est aujourd’hui de proposer une qualité de service constante et sans rupture tout au long du parcours client. Ainsi, chaque point de contact devient clé, et s’inscrit dans une réflexion globale. Il ne peut y avoir de la part d’une marque une grande disparité de tonalité et d’écoute d’un support à un autre, ce qui pouvait autrefois s’expliquer par des moyens / interlocuteurs très différents selon les canaux. Cette approche s’oppose à la superposition des enjeux de communication, qui ne permet qu’une optimisation à la marge.

Cet état d’esprit client-centric a accéléré l’émergence ces dernières années de plateformes technologiques comme les DMP, qui contribuent à remodéliser les systèmes de communication. Au sein de ce nouvel écosystème, la question de l’agence lead reste ouverte : une agence peut-elle réellement maîtriser l’ensemble du parcours client ? Un point de contact est-il plus important qu’un autre, au point que l’agence qui en est à l’origine doit influer sur l’ensemble des prises de parole ?

Côté annonceurs, l’hybridation est de mise. Les directions marketing et communication se rapprochent, quand elles ne fusionnent tout simplement pas ! La communication converge avec le marketing, historiquement plus proche du cœur d’activité et de la création de valeur. Les e-commerçants se sont développés pour la plupart sur ce modèle, avec le succès qu’on leur connaît. Et même au sein de la branche communication, l’ère est au rapprochement, notamment entre le corporate et la com produits. C’est ce qu’a par exemple pu faire Fleury Michon avec sa campagne #VenezVérifier qui est une campagne corporate sur la qualité, la RSE, mais traitée de façon publicitaire. Avec à la clé, des parts de marché en hausse !

Ces deux mouvements du marché ont-il de quoi mettre à mal le modèle agence ? Non, bien au contraire ! Ils contribuent simplement à une passionnante redistribution du lead agence, qui revient à l’agence qui sera le plus en phase avec les problématiques actuelles de chaque annonceur.

 

La redistribution du lead agence

Si historiquement, le lead revenait à la publicité et donc à l’agence généraliste, il n’y a plus de réponse unique : toutes les agences ont renforcé leur planning et leur capacité d’accompagnement des marques. Un annonceur porté sur l’investissement publicitaire pourra par exemple confier le lead à son agence média, si celle-ci propose aussi un conseil adéquat voire du contenu comme c’est souvent le cas.

Fréquemment, un bouleversement de lead agence bénéficie à l’agence digitale. C’est notamment le choix qu’a pu faire la marque Post-it® de 3M lors d’une réorganisation globale de son approche marketing / communication comme l’explique Hugo Charousset, Central Product Category Manager : « traditionnellement nous partions de la publicité. Désormais nous avons changé le prisme en partant du digital comme pivot de nos activités, celui ayant connu une forte montée au niveau transactionnel. » Isobar a été retenue comme agence lead au niveau de l’Europe de l’Ouest lors d’une compétition organisée par VTscan.

 

L’agence 360 fait de la résistance

Si le leadership des agences 360 est attaqué, cela n’empêche pas celles-ci de remporter de nouvelles positions ! En atteste par exemple dans le cadre de sélections VTscan, le choix de Proximity BBDO par Saint Maclou ou de Buzzman par Ouibus. On remarquera dans ces 2 cas une forte composante digitale de ces agences dites généralistes, ce qui ne doit cependant rien au hasard tant le digital est clé pour ces 2 acteurs.

Comme l’explique Béatrice Godineau, directrice de la communication de Ouibus, « la construction de la marque est un projet structurant pour Ouibus, ce qui revient à Buzzman, en charge de la marque et du social media. L’agence a ainsi le lead sur la marque, car à notre stade, c’est le sujet le plus important. C’est celui qui reste. »

Ouibus fait également appel à Elan-Edelman pour la réputation, les crises et les relations média. Ce qui n’est pas neutre en termes de marque et de social media. De plus, Saint Maclou travaille en parallèle avec 5ème gauche pour le digital en plus de Proximity BBDO, qui pourrait très bien être en charge de cette partie. Ce qui pose la question du « travailler ensemble » au sein du portefeuille agences.

 

Mieux qu’une agence lead : un business partner

Au-delà de l’impact du digital transactionnel sur son marché, 3M a connu une mutation organisationnelle forte. La communication publicitaire de 3M et de ses marques telles que Post-it® était précédemment gérée pays par pays, avec un lead créatif européen confié à Grey UK. L’entreprise a revu son système de communication, en centralisant celui-ci région par région, ce qui a remis en compétition le lead agence de l’ensemble.

Comme l’explique Hugo Charousset de 3M, « cette double transition organisationnelle et de réattribution des priorités des canaux de communication a favorisé une forte montée du digital, à la fois en termes d’investissement média qu’au niveau du poids transactionnel du digital. Pour nous, le digital s’est imposé comme un accélérateur de la transformation de notre organisation et de notre façon de vendre. Nous avons ainsi recherché un partenaire stratégique pour aller bien plus loin qu’un simple plan de communication annuelle, avec une véritable compréhension de la révolution en cours au sein de l’organisation de 3M.”

Face à ces enjeux majeurs pour l’entreprise et ses marques, 3M a été convaincu par la capacité d’accompagnement d’Isobar, avec comme s’en rappelle Hugo Charousset « une interpénétration quasi quotidienne avec l’agence lors des 6 premiers mois de collaboration. Nous avons partagé énormément de données parfois très confidentielles avec Isobar, en mode open book. Nous allons beaucoup plus loin dans le partage et la transparence qu’auparavant, et sommes co-propriétaires avec eux de toutes les problématiques. Il était ainsi clé pour nous ne pas nous tromper à l’issue du processus de sélection ! » L’annonceur ne fait actuellement appel à aucune autre agence, ce qui est une belle victoire pour Isobar, qui se positionne ainsi comme un « agent de changement » selon Hugo Charousset, et non comme une simple agence digitale.

 

Comment gérer les overlaps d’agences ?

Tous les annonceurs interrogés s’accordent sur un point : les overlaps entre agences sont fréquents. Mais ils ne semblent pas être une fatalité, ni même un désagrément.

Au-delà du digital ou du social media, proposés par tous les types d’agences ou presque depuis quelques années, un des facteurs d’accélération de cette tendance est l’hybridation d’offres d’agences qui mêlent des techniques qui ne se croisaient pas jusqu’alors. Comme par exemple l’achat média qui vient soutenir la diffusion d’earned media obtenu grâce aux RP, ou encore des dispositifs social media orientés business et performance.

Face à ces fluctuations des périmètres d’intervention, Béatrice Godineau de Ouibus précise que « c’est à la charge de l’annonceur de clarifier le domaine d’intervention de chaque agence ». Si auparavant l’animation générale revenait à l’agence lead, celle-ci incombe de nos jours à l’annonceur.

Jérôme Deligne, directeur marketing communication & digital chez Saint Maclou abonde dans ce sens, et « prône la transparence ». Celle-ci est cependant une opportunité « pour l’annonceur d’ouvrir les portes et de laisser une agence jouer sur le territoire de ses confrères. Pas pour mettre en compétition les agences dans leurs dos, mais plutôt pour profiter aux idées créatives et aux opportunités créées par les agences pour la marque ».

Béatrice Godineau a de son côté pour habitude de travailler de façon transversale avec les agences en charge de Ouibus, « qui fonctionne comme une startup où tout le monde contribue à l’écosystème de la marque ». Si bien que le transporteur réunit chaque mois toutes ses agences pour favoriser les échanges et les impulsions stratégiques.

François Fouasson, co-dirigeant de Groupe VTscan observe “le développement d’approches plus ouvertes au sein de sélections où des agences d’horizons variés bénéficient d’un brief commun. Le champ est ouvert. Toutes les agences en présence peuvent avoir LA bonne idée. Une idée qui sera ensuite développée par chaque agence dans son domaine de compétence. À l’annonceur ensuite de mettre en place un système d’incentive qui récompense les agences qui contribuent au système et donc au pool d’agences.”

 

KPI et ROI : vers une mesure de l’efficacité en open source ?

Avec la démocratisation de la mesure de la performance, le ROI est une préoccupation majeure des marques et entreprises. Toutes les organisations cherchent de nos jours à évaluer le niveau de contribution de chaque canal de communication, pour ainsi sortir de la seule valorisation du dernier clic avant transformation.

Mais ces informations sont-elles partagées avec les agences ? 2 tendances cohabitent, sans que l’une semble prendre le dessus sur l’autre :

Les systèmes ouverts

Où l’annonceur partage les données liées à la performance des actions de communication mises en place par les agences. C’est l’approche P&G, celle des marques de la VAD orientées performance ou des couples agences / annonceurs en Allemagne.

Les systèmes fermés

Notamment pour les annonceurs qui font appel aux agences en mode projet. Et dans ce cas qui n’ouvrent pas leurs dashboards.

Or dans une époque où le client-centric tend à se généraliser, le partage des datas liées à l’efficacité de la communication et du marketing est capital pour les agences, pour que celles-ci aient le rôle de véritables partenaires au service de la réussite business de leurs clients.

Jérôme Deligne de Saint Maclou « partage énormément de données avec les agences pour que celles-ci puissent mesurer pleinement l’impact de leurs actions sur les ventes, le CA, la conversion, le trafic… » Comme ce directeur marketing communication & digital s’en amuse, Saint Maclou « préfère un partenaire qui fait gagner des points de croissance plutôt qu’une agence qui fait gagner des lions à Cannes ! »

Même orientation business chez 3M pour qui la notion « d’integrated marketing existe depuis toujours » selon Hugo Charousset. « La communication et le marketing sont totalement intégrés, avec des campagnes qui doivent toucher le consommateur final tout en générant des ventes. Si cela peut paraître évident, nombre d’annonceurs connaissent encore une telle dichotomie. L’impact sur la relation avec la marque est mesurée mais la dimension transactionnelle est clé, et permet d’évaluer le succès de la collaboration avec Isobar ».

Pour Ouibus, l’enjeu est similaire avec « une approche très drive to web… et drive to bus ! Avec un objectif de faire monter les gens dans nos bus, tout en développant évidemment la notoriété », celle-ci étant clé pour ce nouveau service de bus longue distance.

Au-delà du ROI, quels autres KPI peuvent-ils permettre d’évaluer le succès d’un partenariat agence / annonce ? À l’ère du social thinking, l’engagement est très recherché avec l’obligation pour toute communication de résonner sur les médias sociaux, de créer un lien profond avec la cible, et d’induire un changement de comportement.

Le suivi de la « satisfaction annonceur » se structure également avec des initiatives comme celle de Havas Media, citée par Jérôme Deligne de Saint Maclou : « un questionnaire est adressé chaque année à l’annonceur et permet de faire remonter aussi bien des détails que des éléments de fond ». De quoi inciter ici l’annonceur à proposer à terme son propre système d’évaluation des agences.

À noter que X-PRIME expérimente un envoi automatisé d’un questionnaire très simple (5 critères, 5 étoiles) chaque mois, couplé à un suivi dédié par un responsable qualité. Avec comme objectif de réinventer l’expérience client de l’agence, en en renforçant la composante digitale.

 

Perspectives

Comme nous venons de le voir, la relation annonceur-agence est en pleine mutation. Il n’y a plus un modèle à suivre, mais comme avec la data, une extrême personnalisation des solutions selon le contexte, la marque et ses partenaires. Face à la potentielle redistribution des cartes en cours, les agences se doivent de réinventer leurs modèles pour plus d’agilité. Ainsi que leur façon de gérer la relation client qui gagnerait elle aussi à faire sa révolution digitale !

 


Crédits photo : Fotolia

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