Comment la RATP a fait d’un désagrément – les travaux du RER A – une opportunité de storytelling

Par Élodie C. le 21/11/2019

Temps de lecture : 9 min

Anticipation, pédagogie, coulisses et retour d'expériences avec Datagif.

Comment s’adresse-t-on à ses 325 millions de voyageurs annuels lorsque l’on s’apprête à entamer pour la 5e année consécutive des travaux d’été qui vont entraîner la fermeture d’une des lignes les plus empruntées du réseau et la plus dense d’Europe ? C’est le défi auquel est confrontée la RATP depuis 2015, et le début des “travaux d’été” du RER A. À ceci près que cette année, la ligne n’était plus fermée qu’à certaines dates et horaires (contre 4 semaines consécutives précédemment) complexifiant d’autant plus les messages à adresser aux voyageurs, habitués, usagers quotidiens, touristes, français et étrangers. Gaëtan Duchateau, directeur des projets et co-fondateur de l’agence Datagif, revient pour nous sur cette campagne de contenu qui a su séduire et transmettre un peu de passion aux usagers.

Le brief

Depuis 2015, le RER A ferme en été dans le cadre des travaux de renouvellement des voies et du ballast (les petits cailloux sous les rails) dans Paris. “C’est un rendez-vous immanquable pour la RATP, un projet lancé sur plusieurs années, rappelle Gaëtan Duchateau. Il permet de renouveler du matériel vieux de plus de 40 ans.” À la rentrée, le résultat n’est pas nécessairement visible pour le voyageur du RER A qui a subi la fermeture de la ligne et cela peut être perçu de manière négative, poursuit-il. Depuis trois ans, la RATP souhaite donc communiquer davantage sur ces travaux qui, même invisibles, sont indispensables pour la sécurité des voyageurs et permettent d’éviter des perturbations futures. À la fin de ce chantier, en 2021, ce sont au total 24 kilomètres de voies et 28 aiguillages qui auront été changés.

Si lors des deux premières années de collaboration, la RATP avait la volonté de communiquer sur ces travaux, cette année, la société de transports “avait l’ambition de s’attarder sur leurs enjeux. Le brief était assez ouvert », se souvient Gaëtan Duchateau. La réponse fournie a plu à la RATP, car Datagif était “partisan d’être transparent et pédagogue sur ce chantier et son envergure : plusieurs milliers de personnes sont mobilisées, que ce soit dans les tunnels ou les bureaux de la RATP. Ce sont des travaux prévus des mois à l’avance et à réaliser dans un temps record avec des machines spécialement conçues pour eux. L’objectif de la RATP est de fermer le RER A le moins longtemps possible car c’est la ligne la plus empruntée”. Datagif avait donc plusieurs histoires à raconter autour de ces travaux. “L’enjeu est double : désamorcer les frictions en sensibilisant et informant les voyageurs habitués et occasionnels, dont les touristes ; et embarquer les partenaires et l’interne dans la valorisation de ce chantier hors normes”, précise Datagif dans un billet de blog.

La campagne

– Les outils
L’opération s’est déroulée en plusieurs étapes. La première étape fut de découper la campagne en 5 grandes phases, comme précisé sur Medium :
1- l’annonce des travaux, dès le mois d’avril ;
2- la pédagogie, en amont, pour expliciter la raison d’être des travaux et les bénéfices que les voyageurs en retireront ;
3- la valorisation, notamment du travail fourni par la RATP et ses partenaires, pour relever un défi d’organisation et d’agenda ;
4- les travaux réalisés concrètement et les efforts fournis pour respecter le planning ;
5- les remerciements lors de la réouverture, pour féliciter les équipes et remercier les voyageurs de leur patience et leur intérêt pour ces travaux.

Ces 5 phases répondant toutes à des objectifs de communication ainsi qu’à ses propres publics nous explique Gaëtan Duchateau : “Nous ne racontons pas la même chose, au même moment et aux mêmes personnes”.
Qui sont ces publics ?
– Les usagers quotidiens ;
– les voyageurs occasionnels ;
– les voyageurs de nuit et week-end : travail avec horaires décalés, noctambules, etc. ;
– les touristes (en règle générale les tours operator s’informent en amont et leur fournissent ce type d’information) pour lesquels a été mis en place une communication en anglais et des publications sur les réseaux sociaux avec des hashtag spécifiques ;
– l’interne, l’idée étant de valoriser le travail des équipes et générer du recrutement et développer la partie RH,
– les partenaires, un peu plus mis en avant cette année. En effet, si les travaux sont pilotés par la RATP ils sont en partie exécutés par l’entreprise de travaux publics Colas Rails (qui a gagné l’appel d’offres), la RATP conservant l’ingénierie. “En 2019, nous avons décidé de les valoriser davantage et communiquer sur la collaboration entre la RATP et ses partenaires”.

Après avoir défini le périmètre de communication (le moment) et les profils de publics auxquels s’adresser, Datagif a sélectionné le meilleur point de contact en ligne, public par public pour communiquer sur les travaux. Par exemple, les usagers RER A étant souvent abonnés au fil Twitter du RER A pour s’informer, ce canal a été privilégié pour les prévenir très en amont (dès le mois d’avril). Pour les voyageurs occasionnels en revanche, des vidéos ont été postées sur Facebook “en dark pour faire un peu de média et s’adresser à un public non abonné aux fils Twitter de la RATP.” Dark = posts qui n’apparaissent pas sur la Page RATP, mais sur le fil d’actualité.

Nous avons également développé des outils plus spécifiques : la nouveauté cette année c’est la mise en place d’un widget utilisé par le site RATP et quelques médias partenaires. Il suffisait d’entrer un jour pour savoir si le RER A roulait ce jour-là et à quels horaires.” Le RER A n’étant pas fermé 4 semaines consécutives cette année, “nous avons également développé un mailing qui était envoyé, au choix, tous les jours, ou chaque semaine pour obtenir les horaires d’ouverture du RER A.” Résultat ? 3 700 personnes se sont abonnés d’eux-même à cette alerte.

Pendant les travaux, la RATP communiquait sur différents canaux pour toucher un maximum de personnes et que l’usager s’y retrouve quelle que soit l’option choisie : article sur le blog du RER A et LinkedIn, vidéo sur les réseaux sociaux et les sites de la RATP, posts Twitter et Facebook.

Contrairement à Facebook, Twitter reste la principale plateforme de couverture des travaux en live durant l’été et reste la plateforme demandant le plus de réactivité de la part du community management, commente Laurent Thomas, chargé de communication à la RATP.

Pour valoriser l’interne, deux vidéos métier de personnes travaillant sur les travaux d’été ont été publiées uniquement sur LInkedIn afin de susciter des vocations. “Nous nous sommes donc appuyés sur ce qui se faisait sur les chantiers pour créer ce contenu”, précise le co-fondateur de Datagif.

– Les créations visuelles mobile first
En nous appuyant sur les codes de la charte terrain, nous créons un ensemble de modules fixes et animés, adaptés à une lecture écran, notamment sur mobile”, explique Datagif. Le schéma des fermetures permettant de connaitre les horaires du RER A affiché en format paysage dans les gares a ainsi été adapté à la lecture sur mobile pour s’adapter aux usages des voyageurs.

Idem pour les plans de cheminement piéton pour accéder à la ligne 1 adaptés en six vidéos itinéraires, sur la base de parcours types.

Afin de communiquer de manière pédagogique, des threads explicatifs ont été diffusés sur les réseaux sociaux. “Des questions simples sont abordées : pourquoi c’est encore en travaux cette année ? Pourquoi un nouveau rythme de travaux ? Quelle mobilisation et quels outils ?

La valorisation des métiers et les coulisses du chantier ont été illustrés via des stories. “C’est le format qui est le plus performant sur la campagne (mais aussi parmi toutes les stories du compte RATP). Même si Instagram n’est pas le support de prédilection pour parler technique, les stories permettent de jouer sur le temps réel. Notre objectif étant de dévoiler ce qui se passe sous terre pendant tout un été, il a été naturel de les utiliser pour communiquer.

Les stories ont également été utilisées pour expliquer les nouveaux horaires.

Sur le modèle des sites estcequecestbientotlapero.fr ou estcequecestbientotleweekend.fr, nous avons réalisé estcequelereraestouvert.fr. À l’arrivée sur ce site, un message annonçait simplement si le RER A était ouvert ou fermé en fonction de l’heure qu’il était. Il mentionnait aussi à quelle heure il ré-ouvrait ou fermait.

Sur ce même site, nous avons développé (et caché) un mini-jeu sur le principe du “jeu du plombier”. Pour faire rouler le RER A entre Auber et Vincennes, l’internaute devait réussir à remettre les rails dans le bon sens pour créer un chemin.

Les résultats

Les retours des usagers et voyageurs ont été très nombreux, surtout sur les stories “et témoignent d’un réel intérêt pour le sujet”, se félicite Datagif.

– Les stories sur les travaux de nuit ont eu de très bons retours (1/semaine), explique Gaetan Duchateau, “les gens étant très curieux de savoir ce qui se passe sous terre et ils encourageaient également les équipes. Ils n’étaient pas amers, plus on montre ce qui se passe et raconte l’envers du décor, plus cela désamorce les potentiels mécontentements. C’était tout l’enjeu de cette campagne de communication.

D’après la veille digitale que nous avons fait réaliser, nous avons observé une nette progression globale de l’engagement sur Twitter, Facebook et LinkedIn en comparaison avec les publications #TravauxEteRERA de 2018”, précise Laurent Thomas, de la direction de la communication chargé des Projets. “Facebook reste la principale caisse de résonance des contenus #TravauxEteRERA, des posts informatifs ayant suscité un important engagement dès le mois de mars. Les posts de témoignage des agents RATP responsables travaux, ainsi que le jeu-concours permettant de découvrir les coulisses des travaux ont également suscité un engagement important en août”, poursuit-il

– Même si sa part reste infime par rapport aux autres plateformes, “l’engagement sur LinkedIn a cependant connu la plus forte progression par rapport à 2018.

– Quid des fameuses stories ? Elles ont très bien performé, ont été “saluées sur Twitter et ont fait l’objet d’articles dans la presse spécialisée marketing-communication”, se félicite la RATP, plutôt “dubitative à la base sur le format”, se rappelle Gaëtan Duchateau.

– Le mini site a très bien circulé malgré le peu de communication dont il a fait l’objet.

– 3 700 personnes se sont abonnés au mailing sans plus de communication.

Les clés de succès

– L’anticipation
C’est “l’un des principaux facteurs de succès de cette campagne”, estime Gaëtan Duchateau. La première prise de parole a eu lieu dès le mois d’avril, et celle-ci s’est préparée en février-mars. “Nous devions être très calés sur le planning en amont pour bien accompagner les différents publics sur l’annonce et les différentes phases de la campagne”.

– L’adéquation supports-messages-publics
En utilisant les bons codes et formats Instagram, Facebook et Twitter on parvient à toucher les publics cibles. « Il ne faut pas hésiter à tester des formats, notamment interactifs : les questions-réponses façon stories dont vous êtes le héros ont très bien marché et n’existaient pas l’année dernière, souligne Gaëtan Duchateau. Il faut être dans les codes des utilisateurs et surtout les maîtriser. »

– La transparence de la RATP
« La RATP n’a pas hésité à montrer et raconter beaucoup de choses, mais aussi à s’impliquer dans la campagne », concède Datagif. Pour la session de Q-A sur les réseaux sociaux, c’est le chef de projet des travaux lui-même qui a répondu n’oublie pas de rappeler Gaëtan Duchateau. « Ils ont bien compris qu’il y a un enjeu de transparence et qu’il ne faut pas hésiter à délivrer de l’information pour que le public comprenne et soit embarqué dans l’histoire. »

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