Les agences de publicité ont-elles encore un avenir ?

Par Élodie C. et Xuoan D. le 15/10/2018

Temps de lecture : 7 min

L'interview Jeunes Loups de Loïc Chauveau, Brand Station.

Moult tendances ont de quoi inquiéter le marché de la communication. Les grands annonceurs historiques – automobile, grande distribution, agro alimentaire – sont en pleine transformation, avec de potentielles disruptions les guettant. L’attractivité des agences sur le marché de l’emploi est en baisse, notamment auprès des diplômés des grandes écoles. Les cabinets conseil, armés de leurs moyens dantesques, tentent d’accaparer une part grandissante des dépenses marketing. Enfin, les marques s’éprennent de data et un peu moins de « créa ». Voilà autant de vents contraires qui pourraient sérieusement inquiéter plus d’un·e capitaine d’agence. Ce n’est pas le cas de Loïc Chauveau.

Le président et directeur de la création de [tag]Brand Station[/tag] croit à un rebond des agences de publicité, à condition qu’elles soient proactives et créatives. Telle est la tactique que le « coach » Bielsa Chauveau nous détaille dans cette nouvelle interview Jeunes Loups.
 

En quoi l’avenir des agences de publicité peut-il sembler menacé ?

Loïc Chauveau : C’est un mix de plusieurs choses :
– Les grands groupes de conseil qui ont jeté leur dévolu sur le monde de la publicité. [cf notre épisode des Enjeux – la Réclame à ce sujet] ;
– Les meilleur·e·s étudiant·e·s des grandes écoles sont désormais peu attiré·e·s par le monde de la publicité et les agences ;
– Les coupures budgétaires en tous genres que les agences subissent au quotidien avec les annonceurs ;
– L’avènement de la data, des DMP, du programmatique et du precision marketing ;
– La mise en place par plusieurs régies d’agences intégrées : Konbini vient encore par exemple de recruter un ancien d’agence au poste de DC.
 

Le contexte a de quoi inquiéter. Néanmoins Brand Station ne cesse de croître, et ce n’est pas la seule agence du marché à se développer…

Il y a une prime, je pense, aux agences très créatives, dont j’ose désormais dire, après 5 ans, qu’on fait partie. Mais le marché est dur, et on doit déployer une énergie folle pour observer cette croissance.
 

De plus, peu d’agences mettent la clé sous la porte. Il y a des réorganisations, des fusions, mais très peu de fermetures. Le tableau va-t-il s’assombrir ?

LC : Je pense que les choses ne font que commencer, et que l’on va vivre deux années encore, au minimum, avec le même trend. Un très gros écrémage va s’opérer chez les agences, et seules les plus créatives resteront. Dans ce contexte ultra concurrentiel que j’évoquais plus haut, la créativité est désormais notre seule et unique arme. Sans ça, c’est la mort assurée !
 

Il y a la tendance des (nouvelles) marques à se concentrer d’abord sur l’expérience et non plus sur la communication. D’ailleurs, les GAFA ont conquis le monde essentiellement sans publicité. Une agence de publicité peut-elle réellement améliorer l’expérience des marques ?

LC : Je ne pense pas en fait qu’il faille se dire que c’est tout l’un ou tout l’autre. Les deux choses me semblent complémentaires. Finalement rien de nouveau à l’ouest même, vu qu’un vieil adage veut depuis la nuit des temps que « product is the marketing« . L’expérience chez les GAFA, c’est finalement ce fameux product. Et l’exemple des GAFA n’est pas non plus absolu car il y a le A de Apple dedans qui pour le coup surcommunique. Et Google n’est pas non plus vraiment en reste. [Ndlr : les dépenses publicitaires des GAFA ont d’ailleurs quasiment doublé en un an en France]
 

Apple et Google font un travail important au niveau de la création publicitaire, mais si on fait le ratio de leur CA et de leurs dépenses publicitaires, on remarque que la publicité est moins décisive pour eux que pour des sociétés plus conventionnelles… Ce qui représente un risque pour les agences.

LC : C’est certain, mais il est aussi à noter que ce sont là deux acteurs qui n’ont pas de réelle concurrence. Et qui sont en plus sur un secteur drivé par l’UX et l’innovation. Ce sont là des facteurs qui expliquent cela. On communique notamment beaucoup plus lorsqu’on est censé générer de la préférence de marque vis-à-vis d’un concurrent fort.
 

La campagne des 30 ans du Just Do It de Nike a montré que la publicité pouvait encore avoir un impact économique et sociétal important. Est-ce que cela représente une voie à suivre ?

LC : Au delà d’une voie à suivre, cela fait un p***** de bien à nos métiers ! ENFIN les annonceurs vont peut-être de nouveau se rappeler que nous sommes avant tout un levier incroyable pour développer leur business. ENFIN vont-ils comprendre, je l’espère, que plus ils prendront de risques, plus cet uplift de business pourra être important.

C’est donc vraiment cela qui fait du bien à notre industrie, aux agences créatives. Rappeler que nous avons un rôle à jouer, et qu’il est important. Après je ne pense pas que nous ayons besoin de « voie à suivre », on propose chaque jour des choses ultra-ambitieuses à nos clients, chaque jour on tente tout pour pousser de grandes campagnes. Et je ne pense donc vraiment pas que la frilosité soit de notre côté…
 

Les principaux clients des agences – la grande distribution, l’automobile, l’agro-alimentaire – font face à des enjeux de transformation considérables, et pourraient moins annoncer à terme. Comment les agences peuvent-elles se préparer à cette évolution nécessaire de leur clientèle ?

LC : En effet, les difficultés des agences actuellement sont très étroitement liées aux difficultés que rencontrent nos clients, et en particulier les FMCGs qui sont fortement chahutés par les distributeurs et voient leurs marges s’effriter. Pour moi, il y a deux manières de gérer la chose : prendre moins d’honoraires fixes de notre côté et incentiver notre rémunération sur les performances business de nos clients, ce qui leur permet de communiquer malgré des budgets restreints et de limiter le risque. L’autre enjeu, c’est d’aller vers les secteurs qui vont bien et ont donc besoin de communiquer fortement. C’est ce que nous avons opéré récemment à notre niveau. Nous venons de produire deux campagnes sur le secteur du luxe pas encore sorties (nous n’avons rien encore annoncé, c’est une exclu) dont une campagne qui peut, je pense, faire un énorme trou. Et on s’est également lancé dans le monde des startups où nous accompagnons notamment depuis peu myCO dans la définition de sa plateforme de marque et sa communication.
 

La data et le precision marketing représentent-ils, au fond, une opportunité pour les agences de création ?

LC : Absolument pas. Je n’ai jamais été de cet avis. Tout le monde “bouffe” la même data, des mêmes DMP. Du coup, tout le monde travaille avec les mêmes insights, les mêmes groupes cibles, etc. Rien ne vaudra jamais l’insight chiné sur un forum, où un parent nous parle du fait qu’il s’est explosé les pieds en marchant sur un LEGO la veille. Rien ne vaudra jamais le travail fait de manière artisanale. Quand je parle à mon équipe, je leur fais toujours cette comparaison entre le pain d’un hypermarché et le vrai bon pain d’un artisan boulanger.

Les agences qui survivront seront celles qui pratiqueront le métier de manière artisanale, avec l’amour du travail bien fait.
 

Le cas du manque d’attractivité des agences sur le marché de l’emploi est probablement le plus problématique. Comment l’expliquer, et surtout comment y remédier ?

LC : Je pense que comme pour beaucoup de choses, c’est cyclique. On voit aujourd’hui des étudiants de HEC qui lancent des restaurants italiens pour lesquels il faut faire la queue pour manger, et tout le monde trouve cela super cool et a envie de faire de même. La pub est un vieux métier qui vient de fêter ses 50 ans, un vieux métier surtout qui paye beaucoup moins qu’avant et est donc moins sexy.

Il faut donc ABSOLUMENT que nous soyons proactifs, que nous soyons présents dans les écoles, et qu’on aille convaincre des talents de nous rejoindre. Nous sommes par exemple à notre niveau en train de travailler à la mise en place d’un partenariat inédit avec une des plus belles institutions françaises.

Je suis convaincu que nous allons avoir, après ces deux années compliquées que j’évoquais plus haut, un retour massif de notre attractivité auprès des marques, tout comme nous nous sommes tous remis à aller acheter du bon pain chez notre boulanger de quartier ou des légumes chez notre petit primeur. Ainsi, il faut expliquer aux étudiants que dans deux ans, ce sera de nouveau l’âge d’or de la pub, et que ceux qui auront fait le pari de ce secteur sortiront gagnants.
 

Quel sera le / les modèle(s) d’agence de publicité d’ici 5 ans ?

LC : J’ai souvent entendu parler de « hotshop créative » dans mes jeunes années dans ce métier. Pour moi, c’est le seul et unique modèle qui vaudra dans la pub dans les années à venir. Des hotshop créatives qui auront intégré la production pour plus d’agilité et de maîtrise du craft, auront des liens étroits avec les milieux artistiques, et proposeront de très grandes idées créatives génératrices de business à leurs clients. Vous évoquiez Nike plus haut. Cette campagne a montré qu’une idée forte valait toutes les DMP et les modèles de precision marketing du monde.

Aux annonceurs désormais de bouger. La mue, nous l’avons déjà opérée pour nous.

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