Dernière dose d'Antécrise avec Solène Madec, de Belle.
Alors que la France se déconfine progressivement depuis le 19 mai dernier, et que près de 34,50 % des Français ont reçu au moins une dose de vaccin, la Réclame s’est donnée pour mission d’insuffler de l’énergie positive avec sa rubrique : L’Antécrise.
On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique. Depuis le 2e confinement, nous avons interrogé des dirigeant(es) confiné(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi).
Parole à Solène Madec, CEO et fondatrice de l’agence Belle, petite fille de l’agence Babel créée en 2019, pour cette nouvelle et ultime dose d’Antécrise.
Quel est votre conseil numéro 1 pour garder le moral en ce moment ?
Solène Madec : J’ai la chance d’avoir deux petits jumeaux, donc même confinée, il y a de la vie à la maison… (rires) Et la chance également d’avoir énormément de projets à l’agence. Cela donne une certaine énergie, nous avons réussi à être en croissance l’année dernière, ce qui n’était pas évident avec une année marquée par le Covid où le marché des agences a été très sinistré. Au-delà de soi-même, il faut veiller au moral de ses équipes, car cela n’a pas été facile pour tout le monde. En tant que managers, c’est notre rôle de faire en sorte que les horaires ne soient pas trop importants et de conserver des moments de convivialité, informels. Nous devons préserver cet esprit d’équipe et d’agence, il faut être à l’écoute des uns et des autres pour s’assurer que chacun le vit le mieux possible. On commence à voir le bout, une nouvelle étape va être ouverte.
Sinon, en tant que fan de restaurants empêchée d’y aller, je me suis mise à beaucoup cuisiner, mais aussi à faire du sport et à marcher à l’extérieur un maximum.
L’agence Belle a été lancée en avril 2019, soit un an avant… (complétez cette phrase)
S.M. : Un an avant l’une des plus grandes crises que l’on ait vécu à l’échelle mondiale et qui fera partie des livres d’histoires dans les décennies à venir.
Pour recentrer cette question sur notre secteur, c’est aussi un an avant une nouvelle façon de travailler. Le monde des agences était assez frileux sur le télétravail par rapport à d’autres secteurs, il a donc été obligé de s’y mettre et d’apprendre. Mais notre métier, la création, est un métier d’énergie, de collectif, d’échanges informels. Il en souffre quand il est exercé 100 % à distance.
Un an aussi avant d’être plongé dans une gestion de crise quasi quotidienne pour les marques que l’on accompagne : lancement à décaler, plans média à reprendre, etc.
Sur un temps plus long s’est aussi posée la question pour les marques de l’avènement du monde d’après. Certaines tendances de fond étaient présentes depuis longtemps, la crise les a, selon moi, juste catalysées et accélérées, notamment l’avènement d’une consommation plus vertueuse et saine.
Quelles sont les marques qui peuvent émerger, voire croître en ce moment ?
S.M. : Les marques qui ont gardé un marketing « combatif » à l’opposé de celles dans l’attentisme. Je suis surprise d’observer une certaine dichotomie entre une effervescence chez certains annonceurs, qui ont osé augmenter leurs investissements, faire de la création qui se voit, versus un immobilisme qui peut être dangereux chez d’autres.
Belle est identifiée comme une agence qui réalise des choses qui se voient, avec beaucoup d’audace créative comme avec Bompard, Lunchr ou récemment canB, Matera et Foodcheri. On vient nous voir en disant : « Je recherche un avant/après pour ma marque, une campagne qui se voit », c’est ce pour quoi nous avons créé cette agence et ce qui nous anime. Pour émerger, et depuis toujours dans notre métier, il faut à la fois trouver le bon insight pour se connecter à une « vérité humaine » qui saura faire effet levier, le transformer en création pour toucher les gens, les faire sourire, ou les faire réfléchir de manière nouvelle, et c’est là toute la puissance de la création. Et bien sûr être très solide sur le plan d’actions et média. Les annonceurs qui peuvent émerger sont ceux qui à la fois ont l’audace d’investir dans ces périodes d’incertitude et ont une démarche équilibrée entre une recherche ROIste court termiste ; et la création d’une marque forte aux effets plus long terme.
Belle accompagne de nombreux nouveaux entrants sur le marché : Foodchéri, Lunchr, Quonto, canB, Red Electric, Matera, etc. Est-ce au fond des marques mieux armées face à la crise en cours ?
S.M. : Avec une distribution digitale, le confinement et la fermeture des boutiques ne sont pas un problème pour ces DNVB. Au-delà de la distribution, ces nouveaux entrants ont été créés pour avoir une proposition de valeur affinitaire avec l’époque.
Soit elles réinventent une qualité de service considérée comme défectueuse ou insuffisante, comme Qonto qui réinvente la banque pour les professionnels et vient combler un manque. Lorsque vous créez une expérience plus satisfaisante, crise ou pas crise, vous répondez à une attente. Matera dans l’univers des syndics répond aussi à une attente de nouvelle proposition de service.
Ensuite, il y a les marques en adéquation avec les attentes des consommateurs d’un monde plus respectueux de l’environnement, de la santé. Comme Foodcheri, qui limite l’empreinte carbone dans son alimentation, ou Red Electric, qui tourne le dos aux énergies fossiles. Ces entreprises étaient en forte croissance bien avant la pandémie et avaient levé des fonds en amont, voire pendant la crise. Elles déroulent aujourd’hui leur plan de croissance.
Ce qui crée une dichotomie entre des marques qui souffrent et d’autres, qui par leur mode de distribution digitale et une affinité avec l’époque émergent plus aisément. Cela explique d’ailleurs en partie notre croissance de l’année dernière. D’ailleurs nous n’accompagnons pas ces marques-là de la même manière que de grandes marques historiques. C’est une autre temporalité. Pour les DNVB, entre la conception et la livraison aux régies, il se passe souvent deux mois.
Vous travaillez également pour des entreprises historiques comme Cogedim, Eric Bompard et 3 Suisses. En termes d’enseignements et d’énergies, arrivez-vous à faire le lien entre ces acteurs et les startups ? C’est-à-dire transmettre un peu d’agilité à certains clients, et aider d’autres à grandir pour de bon.
S.M. : Chacune envie l’autre. Beaucoup d’entreprises dont on parlait avant, en hyper croissance, et pour beaucoup de futures licornes, ont beaucoup investi sur leurs services/features et leur performance marketing. Elles ont fait le plein de ce qu’elles pouvaient faire de façon ROIstes en publicité digitale ou en performance sur les early adopter. Elles viennent ensuite nous voir dans la 2e étape de leur plan de développement pour passer un plafond de verre. En effet, elles ont souvent une marque en deçà de ce que leur service propose. Pour recruter des bassins de clients plus larges, ces entreprises ont besoin d’investir en notoriété, en image de marque, ce qui est très nouveau pour elles. Elles rêvent d’être une grande marque connue et reconnue à la manière des autres historiques, mais n’en ont pas encore la culture, nous devons donc les accompagner (acceptation d’un temps plus long pour lire les résultats, autres typologies de budget, etc.)
De l’autre côté, il y a ces marques hyper connues et reconnues qui à un moment donné viennent nous solliciter pour se reconnecter à la modernité, aux nouveaux usages et aux nouvelles générations, avec parfois la peur du décrochage. Et envient souvent toutes ces DNVB. Le travail ici ne se fait pas sur la notoriété, mais sur une nouvelle façon d’aborder leur stratégie marketing, leur territoire de communication avec un vrai vent de nouveauté.
C’est drôle de voir que les deux parties recherchent ce que l’autre a réussi à construire : la puissance d’une marque ou l’incarnation de la modernité. Nous faisons le pont entre tout cela.
Face à la consommation, et plus encore à la surconsommation, le consommateur est de plus en plus en quête de sens, et cherche à réduire son impact sur l’environnement. Les marques, dont l’objectif est de vendre — et si possible un peu/beaucoup plus chaque année — peuvent-elles sincèrement aller dans le sens de cette tendance ?
S.M. : Oui. Si elles ne le font pas, elles n’ont pas beaucoup d’avenir. Le mouvement de fonds est irréversible, vertueux et souhaitable. Le consommateur, à juste titre, devient de plus en plus exigeant et souhaite qu’une marque partage les mêmes valeurs que lui. Est-ce qu’elle fait son métier de manière qualitative ? Est-ce qu’elle a la volonté sincère de bien faire ?
Les gens interrogent la façon dont les marques font leur métier. On observe l’ampleur du phénomène dans de nombreux secteurs, et plus seulement dans l’alimentation : la clean Beauty dans les cosmétiques, la mobilité électrique, l’énergie verte, les alternatives à la fast fashion, etc. Ce sera compliqué pour les marques qui ne bougent pas. À fonctionnalité équivalente, vous aurez envie de choisir celle qui correspond le mieux à votre vision du monde et des valeurs partagées. Et je ne parle pas de communication RSE ! Je parle d’une façon sincère d’envisager l’exercice de son métier.
Les réseaux sociaux changent véritablement la donne aujourd’hui, car les consommateurs ont directement accès à la façon dont les entreprises conçoivent leur métier et le font. Tout se sait, c’est un mouvement inéluctable. Les réseaux sociaux ont un effet loupe, dès lors que ce n’est que du vernis, il n’y a pas de durabilité sur la démarche.
Vous vous décrivez comme une agence inspirée par le changement, qui accompagne des marques qui « osent changer les règles du jeu ». La période future de sortie de crise est-elle propice à ce changement que vous appelez ? Les différentes tensions qui l’accompagnent ne vont-elles pas au contraire accentuer un certain conservatisme présent dans le secteur, une peur d’oser justement ?
S.M. : Je ne pense pas. À l’inverse, et c’est tout le débat face à certaines crises, soit on est guidé par la peur, soit par l’envie.
Ce qui fonctionnera c’est la créativité et l’audace pour proposer des choses enthousiasmantes. À cela va s’ajouter le sujet de l’impact. Beaucoup de marques vont vouloir reprendre la parole, communiquer. Pour émerger, il ne faudra évidemment pas faire comme son voisin, mais explorer de nouvelles choses, oser des terrains nouveaux, qui plus est avec des budgets plus serrés, et une concurrence accrue. Dans le même temps, les DNVB vont arriver encore plus vaillantes, car moins touchées par cette crise. Il faudra oser, transmettre de l’optimisme, de l’envie, du solaire… Ce n’est pas chez Belle qu’il faudra venir chercher du conservatisme !
L’expression « belle journée » grignote peu à peu le terme traditionnel « bonne journée », ce qui en hérisse plus d’un(e). Plaidez-vous coupable avec l’agence Belle ?
S.M. : Les personnes qui disent « Belle journée » sont les mêmes qui disent « Belle ou Bonne continuation » au restaurant… (rires) Belle, car fille de Babel. Nous pouvions nous appeler Ba ou Belle. Nous sommes partis sur Belle. Je vous rassure, je n’écris pas Belle journée à la fin de mes mails, ni belle recommandation, belle campagne ou belle marque, etc. À noter, en termes de personnalité, on est plus rebelle que belle.
Vos trois valeurs pour affronter les prochains mois ?
S.M. : Énergie : nous avons vécu deux années absolument dingues avec une dynamique assez exceptionnelle depuis notre création. L’énergie est ce qui lie notre collectif depuis toujours et fera la différence demain.
Écoute, entre nous déjà, et écoute des autres, à savoir nos clients et leurs consommateurs — il y aura beaucoup de choses à décoder, comprendre dans les mois à venir.
Optimisme, tout le monde en aura besoin. Entre les DNVB et les marques historiques, chacune envie l’autre !