Dernier "À la relance", avec Jean-Luc Chetrit, DG de l'Union des Marques.
« À la relance », c’est le nouveau format pensé pour ce mois de redémarrage. Pour cela, la Réclame est allée sonder les principaux représentants du secteur du marketing et de la communication pour connaître l’état d’esprit des acteurs de l’industrie publicitaire. Qui dit rentrée, dit reprise. Reprise des activités et — donc ? — de l’économie. Après 18 mois marqués par la crise sanitaire, la fameuse relance est-elle enfin là, les investissements ont-ils repris de manière significative et où se portent-ils ?
Une semaine après que l’Union des Marques a rejoint le « Planet Pledge » de la WFA (World Federation of advertisers), visant à renforcer le rôle des marketeurs comme acteurs du changement, Jean-Luc Chetrit, son directeur général, nous expose les opportunités offertes aux marques dans cette « après crise ».
Quel est le moral du secteur en cette rentrée ?
Jean-Luc Chetrit : Les Rencontres de l’Udecam l’ont démontré, il y a un vrai optimisme né, évidemment, de l’amélioration de la situation sanitaire et qui s’est traduit par une accélération de la croissance des entreprises. Cette accélération pousse les entreprises à investir plus en communication : l’ensemble des médias se réjouissent ainsi de voir de plus en plus de clients et de campagnes. Certains sont même saturés… C’est le climat général, positif.
Derrière cet optimisme, il faut garder du calme et de la sérénité, car perdurent de manière sous-jacente des tensions d’approvisionnement, de prix des matières premières, et des incertitudes sanitaires, politiques et sociales. Vous m’interrogez aujourd’hui, je vous affirme que nous sommes tout feu tout flamme, ambitieux, avec l’idée que l’activité est repartie très fort, peut-être que dans une semaine mon discours sera tout autre. Pour éviter cela, je préfère dire que c’est une relance qui semble forte et fragile.
Sentez-vous un regain d’activité au sein des agences et d’investissements de la part des annonceurs ? Ont-ils repris à un rythme d’avant crise ?
J-L.C. : Cela semble être le cas, il faudrait confirmer cette tendance avec les chiffres au fur et à mesure qu’ils se déroulent. Nous sommes en train de retrouver des niveaux de croissance qui permette d’atteindre en très grande partie les niveaux de 2019. Le 2e semestre semble très fort, la croissance économique du pays aussi, nous nous dirigeons donc pour l’instant vers ce rythme d’avant crise, c’est-à-dire un rattrapage beaucoup plus rapide qu’imaginé sur le marché publicitaire. J’espère que cela se confirmera.
Où se portent ses investissements ?
J-L.C. : Maintenant qu’elles en ont l’opportunité, les marques communiquent dans les médias disponibles, puisque nous avons assisté à une saturation des espaces publicitaires. Toutefois, certaines choses ont changé, il n’y a pas de retour d’avant crise dans le sens absolu du terme puisque l’e-commerce s’est fortement développé pendant cette période. Nous en avons désormais la démonstration : si sa part baisse un peu avec la réouverture des magasins, il conserve des parts importantes.
Le développement de l’e-commerce change les pratiques de communication des marques qui doivent trouver de nouveaux moyens de driver leur business sur ce segment. Évidemment, certains médias traditionnels permettent de générer de la croissance, mais il est nécessaire de trouver de nouveaux leviers.
Dans le même temps, les plateformes digitales et leurs usages se sont développés. Petit à petit, les usages des Français évoluent dans leur consommation des contenus, les marques tiennent donc compte de ces évolutions pour faire évoluer leur mix média. Ces mix média avaient déjà commencé à évoluer avant crise, ils vont reprendre une évolution après crise. Comme le mix digital, de plus en plus important, dont le mouvement avait été enclenché avant la crise Covid, s’est renforcé pendant et va se poursuivre après. C’est le rôle des marques d’être là où leurs consommateurs sont : ces derniers utilisent de plus en plus les écrans pour se connecter à des contenus à travers des réseaux sociaux, de la vidéo, etc. C’est une tendance naturelle, ce n’est pas une révolution post Covid.
Comment voyez-vous l’année se profiler ?
J-L.C. : C’est difficile à dire, nous avons été incapable de faire des prédictions avec 4 vagues de Covid et 3 confinements, donc faire une prévision sur 2022, année de présidentielle qui plus est s’avère complexe… Au moment où l’on se parle, j’aurais plutôt tendance à être optimiste, en cas de reprise, il peut y avoir un phénomène assez porteur qui poursuit la tendance. Comme je l’ai évoqué précédemment, c’est potentiellement fort, mais toujours très fragile. Ce n’est pas lisible et visible avec une perspective à long terme, il faut oublier. Nous allons vivre des temps où le court terme va l’emporter sur une capacité à prévoir à long terme.
En outre, ce qui peut inquiéter sur une année électorale, c’est le contexte social et politique : les éventuelles tensions et mouvements sociaux qui peuvent émerger et bloquer l’économie, ou certains secteurs d’activité plus que d’autres, mais aussi les magasins, le tourisme, etc., tout cela avec un contexte sanitaire pas totalement sécurisé. Maintenant, il faut regarder les choses telles qu’elles sont, il y a du pouvoir d’achat : la politique du gouvernement a conduit à ce que l’argent continue de circuler et les Français ont globalement mis de l’argent de côté pendant la crise et le dépense aujourd’hui. On observe un mouvement de fond plutôt positif en termes de dépenses des ménages, donc de confiance et de croissance économique pour les entreprises. Ce sont des tendances qui ont l’air assez structurelles et positives pour l’économie des médias et des agences.
Cette logique court-termiste peut-elle s’inscrire dans une démarche de performance durable et de construction de marque (le long terme) ?
J-L.C. : C’est l’un des enjeux post convention citoyenne, particulièrement concernant le climat. Les Français et les pouvoirs publics attendent des entreprises qu’elles jouent leur rôle et trouvent leur place dans la transition écologique et la lutte contre le réchauffement climatique. Elles ne peuvent pas regarder ces sujets de côté puisqu’on leur demande de transformer leur modèle, de construire et promouvoir des véhicules électriques, de changer les comportements, de supprimer la communication sur les énergies fossiles… Un certain nombre d’actions sont engagées et sont profondes. Nous faisons face à des contraintes de faire, mais aussi à une pression naturelle et légitime des Français et des pouvoirs publics.
Les entreprises doivent voir ces sujets comme une opportunité de retrouver une croissance, et la confiance qui leur a fait défaut ces dernières années (au regard des indicateurs à la baisse). 2020 fut la première année où les Français ont recommencé à faire confiance aux grandes marques (avec +5 points en un an) : c’est une première en 10 ans de baisse continue. Quand les marques montrent qu’elles se mettent au service des Français pour les protéger, les servir, les aider et les informer, leurs actions sont logiquement reconnues. Même si la pression à faire est là, la croissance ne sera durable que si elle se construit sur des bases pérennes et responsables. Il n’y a pas de schéma envisageable sur le moyen et long terme sans véritable travail sur la responsabilité.
Ce n’est pas un mot valise ou un gimmick, c’est une absolue nécessité et une absolue opportunité, les grands groupes l’ont déjà saisi en changeant profondément leurs méthodes, leur production et maintenant leur communication.
Y a-t-il des menaces pouvant contrecarrer cette reprise ou est-ce que le marché et l’économie ont gagné suffisamment en résilience pour ne pas s’en inquiéter ?
J-L.C. : Elles sont de différentes natures, j’en faisais référence précédemment : les menaces sociales et politiques, ainsi que les difficultés d’approvisionnement en matières premières dans l’alimentaire, l’électronique, l’automobile et bien d’autres domaines.