« J’engage les femmes à être dans une sororité épicée et galvanisante »

Par Élodie C. le 07/12/2020

Temps de lecture : 9 min

L'Antécrise de la semaine est Marion Darrieutort, The Arcane.

Alors que la France supporte son 2e confinement de l’année, la Réclame compte résister à la morosité ambiante avec sa rubrique : L’Antécrise.

Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole à des dirigeant(es) confiné(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech. Le but ? Impulser une énergie positive pendant cette période complexe. Nous nous interrogerons sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi). On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique.

Nous interviewons aujourd’hui la très solaire Marion Darrieutort qui a quitté Elan Edelman au mois d’octobre pour fonder The Arcane, un nouveau cabinet de conseil en gouvernance et en influence.
 

Comment gardez-vous le moral en ce moment ? Comment parvenez-vous à rester motivée et optimiste ?

Marion Darrieutort : J’ai toujours été de nature optimiste et très positive. Le 1er confinement a été plus difficile à vivre. J’ai fait beaucoup de méditation — je médite tous les jours — et des marches dans la nature dès que j’en avais l’occasion. Je suis également partie faire une semaine de jeun, ce que je fais normalement chaque année en Inde. Toutes ces choses sont importantes pour moi.

En ce moment, je suis dans un état d’esprit très optimiste, car je me suis mise en mouvement. Si j’ai appris quelque chose du premier confinement, c’est que je ne suis pas faite pour l’inertie et l’immobilisme. Face à une crise plus grosse que nous, ma façon d’agir est de reprendre la main sur ma vie. Cette crise a réveillé en moi l’envie d’entreprendre pour essayer d’apporter des réponses nouvelles. J’ai donc quitté mon poste confortable à la tête d’Elan Edelman où j’ai passé 6 années merveilleuses.

J’avais créé Elan, ma première société, en 2008 au moment de la chute de Lehman Brothers. Je m’étais dit à l’époque que ce n’était peut-être pas la meilleure période. Cette crise m’a finalement appris qu’il y a toujours de la place pour entreprendre et réussir dans ces moments-là pour peu qu’on apporte de l’agilité et de bonnes solutions.

J’ai donc voulu faire de cette crise une opportunité. Ma façon de garder la pêche est de me remettre en risque dans une période difficile, d’aller à la rencontre de plein de gens. Si la crise dure, et elle est partie pour durer, je dois être dans le mouvement et l’action, sortir de ma zone de confort, être résiliente et innover, car dans toute crise, il y a des opportunités à saisir.

Je vis un moment complètement paradoxal par rapport aux copains, je suis complètement à contre-courant.
 

Justement, vous avez quitté la présidence d’Elan Edelman en octobre dernier. N’est-ce pas difficile de quitter ainsi son navire ?

M.D. : C’est difficile de se remettre en risque dans une période où l’avenir est incertain et où les repères changent dans un pessimisme ambiant. C’est également difficile de quitter une équipe et une entreprise que j’ai profondément aimée, et un groupe qui m’a fait confiance. Au moment de partir, on interroge ses certitudes.

Après, je ne sais pas si c’est propre aux entrepreneurs, mais je ne vois pas cela comme une difficulté, car ce choix émane d’une impulsion vitale : vivre le moment présent, absolument, sans aucun plan sur la comète, tout en étant positif sur ce qui peut advenir. Cette décision est évidemment réfléchie, j’ai choisi de prendre ma vie en main et de surfer une vague. Un tsunami plutôt.

On le voit avec ce 2e confinement, les gens ont profondément besoin de mouvement et de libertés. Il ne sert à rien de les en priver, il est possible de faire confiance, de responsabiliser sans priver et infantiliser. C’est dommage, car l’énergie est attractive et le mouvement inclusif.
 

D’après les dernières informations, vous vous êtes lancé dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, The Arcane, parlez-nous-en.

M.D. : Effectivement, le cabinet Arcane est né tout récemment. J’ai déposé le nom The Arcane en espérant ouvrir un jour une filiale à New York. Je dis souvent qu’on n’a pas de plafond de verre, mais un plafond de rêve. Au moins avec The Arcane, ça me forcera !

Arcane est né d’une envie de créer un modèle hybride entre l’agence de communication et le cabinet de conseil en stratégie. Je revendique un modèle qui soit au croisement de la réputation et du business, pour répondre à ces deux besoins chez les entreprises.

Notre ambition est d’aider les décideurs à mieux comprendre et interagir avec tous les pouvoirs pour bâtir une performance durable. Je dis « tous les pouvoirs », car c’est de cette ambition que le cabinet — et son nom — est né : l’idée d’Arcane est d’aider nos clients à naviguer dans les arcanes du pouvoir. Les pouvoirs traditionnels et les nouveaux pouvoirs.

Les arcanes traditionnels sont représentés par les grands corps de l’État, les syndicats, les lobbies, les médias, les fraternités, etc., et ces nouveaux arcanes, un peu sous-estimés, sont les associations de toute nature, les nouveaux médias ou encore les activistes (gilets jaunes ou collapsologues par exemple). Le point commun entre ces deux arcanes est qu’ils permettent d’influencer les décisions. Les entreprises ne savent pas toujours décrypter ces nouveaux arcanes et ces nouveaux pouvoirs.

L’ambition et la raison d’être d’Arcane sont de faire converger les intérêts des décideurs avec ces différents arcanes. Pour y parvenir, nous sollicitons deux métiers : l’influence et la gouvernance. Les entreprises ont de quoi inventer de nouveaux modèles de gouvernance plus responsables et plus ouverts. La gouvernance traditionnelle des boards et de la compliance va évoluer pour entrer dans un nouveau paradigme.
 

Comment trouve-t-on les ressources nécessaires pour se lancer un tel défi en période de crise ?

M.D. : L’audace et la sororité d’action !

L’audace est un mot sur lequel j’ai beaucoup réfléchi parce que l’audace au féminin n’est pas facile à mettre en œuvre. Pour l’écriture de son livre Brisez le plafond de verre, mon amie Florence Sandis m’avait interrogé il y a 4 ans de ça. À l’époque, elle estimait que j’avais brisé le mien, je m’étais dit « génial », alors qu’aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte que ce n’était pas le cas du tout.

Je suis convaincue d’une chose : à tout âge, les femmes peuvent se remettre dans une logique de plafond de verre. Nous recréons des plafonds de verre à différents moments de notre vie, et le briser n’arrive pas une fois dans sa vie, c’est au contraire une discipline de vie. Si on veut en faire un plafond de rêve, il faut entamer une réflexion personnelle sur son propre plafond de verre, en discuter avec d’autres femmes. Nous avons beaucoup de verrous à faire sauter, comme tout ce qui touche à la confiance en nous, au syndrome de l’imposteur.

Je crois beaucoup à la sororité même si j’ai eu des mentors masculins pour m’aider, et je les en remercie, j’ai aussi des « sœurs » qui me donnent beaucoup de pêche : Aurélie Jean, Maud Bailly, Sabrina Herlory, Natacha Hochet-Raab, nous sommes tout un groupe, on s’appelle d’ailleurs les Spice entre nous. J’appartiens à des réseaux féminins formidables, toutefois ce sont mes Spice qui m’ont aidé. C’est au quotidien que cette sororité peut s’exprimer, dans une sororité d’action – comment je peux t’aider, de quoi as-tu besoin ? – j’engage les femmes à se créer leur petit réseau de Spice pour être dans une sororité un peu « épicée » et galvanisante.
 

Qu’est-ce qui a changé dans la façon dont on accompagne les entreprises et dirigeants aujourd’hui par rapport à il y a un an ?

M.D. : C’est une très bonne question. Je dirais en premier lieu un esprit commando et de conquête, avec une énorme agilité. Les dirigeants ont besoin de sentir que vous les aidez, mais également que vous les portez. Ils vivent des transformations incroyables, des mutations et des transitions très dures, donc l’état d’esprit change. Il nécessite agilité et vitesse pour incarner cet esprit de conquête.

Ensuite, l’empathie et l’écoute : être empathique et à l’écoute de ces dirigeants, tout en les aidant à avoir de l’empathie et de l’écoute pour la société avec un grand S, et pour toutes leurs parties prenantes. Ce qu’ils ont appris dans leur école de management et dans leurs fonctions — et qui a trait plutôt au champ des hard skills et des techniques managériales classiques — c’est bien, mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire de développer ce « 3e œil » d’empathie, d’écoute et de suspension du jugement. Dans le cas contraire, ils ne percevront pas assez les signaux faibles et connaîtront des crises pour être passés à côté de certaines choses. Toute la génération de dirigeants empathiques, alignés et ouverts seront les leaders gagnants de demain.

Et enfin, l’obsession du business. Nous avons tous lu beaucoup de théories et d’écrits de dirigeants sur le monde d’après… Wouah ! Il faut redescendre. J’estime que nous sommes partis un peu loin dans cette idéologie, il est nécessaire de réconcilier les affaires et la durabilité. Le business et le sociétal. Je suis co-présidente d’Entreprise et Progrès, un think thank de dirigeants où nous œuvrons beaucoup pour les nouvelles pensées et cet activisme pour un monde meilleur, mais je me rends compte qu’il faut faire attention et ne pas partir trop loin.
 

La mise à disposition prochaine de vaccins contre le Covid-19 change-t-elle les perspectives de sortie de crise économique ? On imagine que cela permet aussi bien aux entreprises qu’aux individus de se projeter un peu plus…

M.D. : Nous sommes dans un tunnel et nous commençons effectivement à voir la lumière au bout de ce tunnel. Les dirigeants que j’accompagne commencent déjà à opérer un retour des scenarii avec échéances, ce que nous n’avions plus. De façon très légère encore, on voit réapparaître des idées de rythmes et d’échéance, cela redonne de la perspective. C’est pourquoi les débats sur les vaccins restent très compliqués.

Avec Entreprise et Progrès qui fête ses 50 ans, nous allons requestionner cette question du progrès. Ce qui me fait peur, c’est que nous commençons à peine à voir la sortie du tunnel qu’un certain nombre de voix s’élèvent contre une forme de progrès : du vaccin, à la 5G. Comment fait-on pour avancer ? Ce n’est pas évident. Cette mise à disposition prochaine de vaccins constituera une sortie de crise à partir du moment où il y aura une forme d’acceptation de ce qui se présente à nous.
 

Vos trois valeurs pour affronter les prochains mois ?

M.D. : Plus que des valeurs, c’est une façon de vivre et une manière d’être. Ce sont nos soft skills qui vont nous aider à traverser cette crise.

Je dirais donc l’esprit de conquête, comme décrit précédemment : se mettre en mouvement et sortir de sa zone de confort notamment.

La créativité : chaque crise renferme des opportunités, il faut être créatif pour les saisir.

Enfin, l’efficacité : cette crise est si difficile en termes de perte de repères et de créations de nouveaux standards, qu’il faut avoir des indicateurs de performance et de réussite extrêmement précis pour savoir si l’on suit le bon chemin ou si l’on doit réajuster. Les personnes efficaces seront celles à même de construire une performance durable : la société avec un S c’est bien, il est toutefois nécessaire de rester connecté au business. Ce sont les trois mots d’ordre des « arcaniens » et ce que je ressens très fortement actuellement.

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