Convergence des contenus, des offres et de la mesure.
Rituel annuel, la présentation des nouvelles conditions générales de vente des régies TV adhérentes du SNPTV est l’occasion de découvrir les ajustements proposés au marché par ces dernières, mais aussi les grandes innovations qui vont marquer l’avenir du média. C’est aussi l’opportunité de s’arrêter sur le vocabulaire employé par les régies pour décrire leur offre.
Premier constat : les régies de TF1, France Télévisions, CANAL+, M6 et du Groupe Altice font toutes de 2023 une année de transition, qui doit permettre de se préparer aux ruptures de l’année 2024, à commencer par la mise en place d’une nouvelle mesure de la vidéo cross-canal par Médiamétrie.
TF1 PUB, qui parle de « convergence » depuis des années, met cette fois l’accent sur le « full vidéo » et surtout « la consolidation » des innovations lancées ces dernières années. Malgré l’abandon de la fusion, le constat et les actions sont sensiblement les mêmes chez M6 Publicité, qui résume ses CGV en trois mots : « Puissance, convergence et responsabilité ». La régie parle d’une offre, « dans la continuité » de celle de 2022, à l’instar d’Altice Media Ads & Connect, autre perdant de la fusion avortée, le groupe devant racheter TFX et 6ter en cas de réalisation du projet.
De son côté, FranceTV Publicité se projette aussi à deux ans avec son programme « Destination 2024 : cultivons l’attention », qui insiste ainsi sur une qualité fondamentale des contenus télévisés, par rapport aux autres vidéos online. Une ambition partagée par Canal+ Brand Solutions, pour qui remporter la bataille de l’attention passe par la créativité et le contexte, soit la qualité des contenus diffusés.
Du marché « full vidéo », à l’importance du contexte pour favoriser l’attention, en passant par la consolidation ou l’accélération des innovations passées, et cela même en matière de responsabilité, qui est toutefois moins prépondérante cette année, on voit apparaître les trois piliers sur lesquels reposent ces CGV 2023.
2024, vers la convergence de la mesure
Cet été, Médiamétrie, en concertation avec le SNPTV, les agences et les annonceurs, a acté le passage dans deux ans à une mesure homogène et cross-média entre la vidéo digitale et la télévision linéaire. De quoi aboutir à la mise en place d’une « monnaie unique », un mode de commercialisation unifié entre les inventaires des deux mondes, de plus en plus hybrides, et par conséquent le passage du GRP au CPM.
« La convergence des inventaires et des KPIs sera alors adaptée à la convergence des usages que nous observons depuis longtemps. Aujourd’hui, on consomme sans distinction de la vidéo linéaire et à la demande, à la télévision, sur ordinateur ou sur mobile« , indique Laurent Bliaut, directeur général adjoint marketing de TF1 PUB.
« Pourtant, les ordinateurs ne sont pas pris en compte par Médiamétrie, à la différence de la TV/IPTV et du mobile », note Hortense Thomine-Desmazures, directrice générale adjointe Marketing, Innovation et Digital de M6 Publicité.
Les deux responsables rappellent qu’en 2024, le panel Médiamat intégrera ainsi des personnes issues des 12% de Français âgés de 25 à 49 ans qui n’ont pas la télévision mais qui en consomment les programmes.
De quoi permettre un rééquilibrage entre les acteurs de l’audiovisuel et les plateformes, qui les concurrencent de plus en plus en matière de publicité et d’achat de droits sportifs, comme nous l’évoquions récemment dans un dossier relatif aux tendances du marketing sportif. Un rééquilibrage accepté par les régies, à condition d’utiliser un CPM « représentatif de ce qu’est la télévision : un environnement premium et brand safe, ou la publicité est visible sur tout l’écran, et pour une durée d’exposition qui n’est pas de l’ordre de quelques secondes… », affirme Laurent Bliaut. Il est convaincu par la montée en puissance du MPI Hybride dévoilé l’an dernier : TF1 diffuse désormais 8% des GRP d’une campagne sur MyTF1, contre 5% en début d’année, et compte encore faire progresser cette proportion.
Mais s’ils seront tous jugés en 2024 selon une mesure uniforme, certains se préparent dès 2023 à se distinguer de la concurrence. Grâce aux offres à la performance de la gamme « Partenaire » dévoilées l’an passé, FranceTV Publicité s’engage sur des résultats auprès de ses clients. Elle revendique par ailleurs pour les campagnes diffusées sur ses chaînes un ROI « 28% supérieur par rapport aux moyennes du marché, et un nombre de visites web 17% supérieur », selon Virginie Sappey, sa directrice marketing et études, qui va cette année plus loin, en calculant avec Kantar la contribution des chaînes du groupe aux performances d’un plan TV, et l’impact en matière de business de la hausse de cette part : « Avec 15% du nombre de contacts obtenus sur nos chaînes le chiffre d’affaires incrémental est augmenté de 6% sur l’ensemble de la campagne. Quand la part de contact est de 40%, l’uplift de CA est de 19%. »
En la matière, la régie publique est imitée cette année par Canal+ Brand Solutions, comme l’explique Fabrice Mollier, son président : « Les campagnes diffusées via C8Star+ offrent un ROI supérieur de 17% à la moyenne des ROI TV, tandis que celles diffusées sur Cnews offrent un ROI supérieur de 25%. » La régie formalise l’offre Connect+, qui va permettre aux annonceurs de croiser leur data avec celles des 3,7 millions de box du groupe. “Avec un constructeur auto, nous avons comparé les demandes d’essai en concession ou les visites sur un configurateur en ligne avec l’exposition ou non à une campagne, pour ainsi mesurer l’impact d’un spot, mais aussi d’une chaîne ou d’une tranche horaire sur différents indicateurs business », indique Emmanuelle Godard, directrice marketing de la régie du Groupe Canal, qui met aussi en place un échantillon de 10 000 abonnés avec l’Institut CSA pour mesurer l’uplift en matière de branding.
La convergence des canaux et des contenus
Voulant encore innover, FranceTV Publicité évoque la création d’un standard de mesure de l’attention pour l’ensemble du marché vidéo d’ici 2024. “Pour chaque contact mesuré, il y a différents degrés d’attention”, rappelle Virginie Sappey, mettant en avant l’engagement provoqué par le sport, et qui se traduit notamment par le lancement par la régie de deux nouvelles cibles exclusives pour la télévision linéaire et le sponsoring, à savoir les “addicts” de sport et les “sportifs du dimanche”.
Pour susciter l’attention, Canal+ Brand Solutions met l’accent sur la création de contenus de divertissement originaux, avec notamment la remise en route de Studio Bagel, mais aussi un nouveau format publicitaire aussi innovant que déstabilisant : New Hero va permettre aux annonceurs de placer des égéries éphémères dans leur spot grâce au morphing, aussi connu sous le nom de deep fake. « De quoi créer l’événement sur les réseaux, en organisant par exemple des concours pour recruter les fans mis à l’honneur dans les spots », imagine Julie Galacteros, directrice de la Canal Brand Factory.
Des réseaux qui sont aussi au cœur des CGV 2023 de M6 Publicité, qui mise sur la force de ses programmes et la capacité de ses animateurs à attirer des audiences sur les réseaux. À l’instar de TF1 ou Canal +, la régie étend ainsi ses inventaires via un partenariat avec Snapchat Discovery : “Nous allons adresser les 9 millions de jeunes qui y consomment chaque mois nos extraits issus notamment de Top Chef et de la télé-réalité. Notre équipe dédiée à l’adaptation de nos programmes produit plus de 80 contenus tous les mois”, indique Hortense Thomine-Desmazures, qui mène des discussions avec d’autres réseaux afin de permettre aux sponsors de ses programmes d’y cibler les fans de ces derniers.
Au-delà des réseaux, Laurent Bliaut met quant à lui en exergue le rôle prépondérant pris par MyTF1 dans ces nouvelles pratiques de consommation : « C’est plus qu’une plateforme de catch-up. Nous y proposons de plus en plus de contenus originaux et exclusifs, tandis que nous lançons des chaînes digitales thématiques. C’est un format en forte progression aux Etats-Unis et nous pensons qu’il a un fort potentiel en France. »
Altice suit une logique similaire en déployant via RMC une chaîne 100% digitale et 100% foot pour la Coupe du Monde, ou encore en adaptant l’émission d’après match de RMC, L’After Foot, en quotidienne sur Twitch. Raphaël Porte, président d’Altice Media Ads & Connect, insiste également sur l’importance de l’audio, citant le lancement de BFM Radio cet été, mélange de BFM TV et des formats podcasts natifs développés par le Groupe.
« Plus de gens écoutent aujourd’hui l’After Foot en podcast qu’en live ! C’est un changement de paradigme. L’antenne est un canal de diffusion du podcast, qui n’est plus qu’une extension des émissions à l’antenne. La délinéarisation est poussée à son maximum. C’est dans ce cadre que nous avons lancé l’an dernier notre plateforme RMCBFM Play, qui est utilisée par 12 millions de personnes chaque mois. L’écosystème linéaire et totalement déployé en non-linéaire, et beaucoup d’inventaires sont disponibles en broadcast et en digital. Quant aux contenus réalisés pour la télévision ou la radio, ils sont systématiquement transformés en capsules pour les réseaux sociaux. »
Enfin, la télévision ne “déborde” pas que sur les autres canaux digitaux, mais aussi en physique. M6 Publicité capitalise sur la force de ces concepts pour les décliner en opérations spéciales – à l’instar des collaborations entre Uber Eats et Top Chef -, mais aussi en séminaire et autre team building. « C’est plus facile de les organiser au format Top Chef qu’au format Pékin Express », plaisante Hortense Thomine-Desmazures. Côté format publicitaire, on retiendra une innovation phygitale chez FranceTV Publicité, qui va généraliser en 2023 le format gamifié “Let’s Play”, testé cette année sur le Tour de France avec E.Leclerc et la startup Play’Ads, et qui permet de flasher un QR Code dans un spot TV pour participer à un jeu physique.
QR Code et TV segmentée : la convergence touche aussi les offres
Après les lancements l’an dernier par TF1 et M6 des formats Dual Screen et 6scan, les QR Codes se généralisent dans ces CGV 2023. Dans une logique d’industrialisation, M6 déploie ainsi tout une gamme à partir des différents cas d’usage possibles : redirection vers un site e-commerce ; un filtre ou une expérience AR ; une demande d’échantillon ou un chatbot. Enfin une autre innovation permet de chercher et d’acheter un produit similaire à celui que l’on voit à l’écran. “Uniquement testée sur 6Play, cette nouveauté pourra être activée ou désactivée par l’internaute », explique la DGA marketing, innovation et digital de la régie. Chez TF1 PUB, le format Dual Screen est décliné de manière similaire, avec toutefois une nouveauté : un format adressable via la télévision segmentée, et qui permettrait notamment de faire de la promotion géolocalisée.
Notons l’utilisation la plus innovante du QR Code dans ces CGV du côté de Canal+ Brand Solutions avec le format « La Chasse aux NFT », qui permettra aux téléspectateurs de collecter via des QR Codes des éléments permettant de déverrouiller le token non fongible d’une marque, et des avantages associés. Côté Web3, Canal dévoile aussi au passage un format événementiel nommé « Meta-Première », sorte d’écrin expérientiel immersif en ligne pour les avant-premières de ses créations originales. De son côté, FranceTV Publicité promet la formalisation d’offres “métavers” d’ici 2024, suite aux expérimentations menées par Stade 2 sur VRChat lors des JO d’hiver et de Roland Garros.
Quand elles parlent de “consolidation des offres”, toutes les régies évoquent la télévision segmentée. « Début 2023, la télévision segmentée devrait pouvoir toucher 8 millions de foyers, contre 6 aujourd’hui, soit 17 millions d’individus et 33% des foyers. C’est un assets important désormais, loin du MVP de 2021. Après l’industrialisation cette année, 2023 sera celle de la montée en puissance », juge Laurent Bliaut. « Il n’y a plus de problème d’inventaire aujourd’hui, tous les opérateurs ont lancé le prime et le multispot au sein d’un même écran a aussi été lancé. Le seul frein qui pourrait encore exister se situe au niveau de la demande… », estime Hortense Thomine-Desmazures, avant d’expliquer : « Nos CPM sont jugés élevés. En effet, cela représente la tranche haute des prix pratiqués sur le catchup. Mais il faut avoir en tête que nous travaillons de la data déterministe, sans déperdition et qu’il faut aussi rémunérer les opérateurs qui sont dans la chaîne de valeur. Ainsi, pour un CPM vu à 100%, nos coûts sont relativement faibles par rapport à ce que proposent d’autres acteurs sur ce même paramétrage. »
Elle observe néanmoins une multiplication par 6 du chiffre d’affaires réalisé par la régie sur ces offres, une progression en « adéquation avec celle du marché ». FranceTV Publicité a ainsi vu le nombre de campagnes de télévision segmentée diffusées sur ses chaînes être « multiplié par 5 au S1 2022 par rapport à la même période l’an dernier », indique Gwenaëlle Lesné, directrice commerciale de la régie publique. Cette montée en puissance doit se poursuivre en 2023 avec l’arrivée de Free, qui a commencé à recueillir les consentements et proposera sans doute en 2023, quand le volume d’opt-in sera suffisant. Le groupe Canal espère aussi l’an prochain déployer son offre en tant qu’opérateur.
Mais au-delà de la hausse du reach, les régies comptent aussi sur l’augmentation du nombre de cas d’usage pour séduire les annonceurs. Avec Reach+, M6 permet ainsi de cibler des téléspectateurs exposés ou non à une campagne. Une offre similaire est lancée par FranceTV Publicité avec Orange, laquelle permet aussi à l’annonceur de demander un bilan de l’uplift en matière de gain de couverture. « Nous avons développé une plateforme data capable de structurer et de catégoriser les niveaux d’exposition. Il s’agit encore d’un POC, mais qui doit se généraliser l’an prochain sur nos environnements », précise Virginie Sappey. TF1 et Altice lancent de leur côté le ciblage météo, qui sera utilisable dès fin 2022 selon Raphaël Porte. « En 2023, nous allons aussi activer les zones de chalandises. Dès que nous avons la possibilité d’ajouter de la data, nous allons le faire« , indique le Président d’Altice Media Ads & Connect, qui met en avant le développement de la DMP interne du Groupe lui permettant de faire des ciblages par centre d’intérêt. Ainsi, la data devient de plus en plus présente dans les stratégies de développement des régies, qui devraient annoncer dans les prochaines semaines de nouvelles alliances, notamment avec des retailers.
Enfin, toujours dans la continuité des CGV précédentes, on citera pêle-mêle la simplification de l’achat média, via le renforcement ou la signature de nouveaux accords avec des DSP pour l’ouverture de la TV segmentée au programmatique, comme respectivement Adcleek chez France Télévisions ou Hawk chez Altice, ou l’ajout de nouveaux canaux dans les plateformes comme My6, qui proposera la télévision segmentée, la radio et le catch-up sur une seule plateforme self service, ainsi qu’un nouveau module pour les TPE/PME.
Particulièrement ciblées l’an dernier, les petites et moyennes structures sont aussi concernées par une nouvelle plateforme d’achat lancée par Altice pour les chaînes locales de BFM, lesquelles sont désormais au nombre de 10 après la récente ouverture de BFM Normandie. « C’est une très belle réussite puisque, avant même la comptabilisation de l’ensemble de nos chaînes, nous attirions déjà plus de 2,7 millions de téléspectateurs chaque semaine sur ces déclinaisons », explique Raphaël Porte, qui veut aussi industrialiser Retail360, l’offre géolocalisée mêlant les inventaires vidéo, audio et sms de BFM, RMC et SFR.
Et bien sûr, la RSE. Toujours présentes dans l’ensemble des CGV, les actions responsables se généralisent au sein des groupes audiovisuels et font par conséquent moins l’objet d’annonces spécifiques de la part des régies. En plus de la généralisation des calculettes carbone, on citera les efforts des Groupes CANAL+ et Altice pour réduire la consommation de leurs box : le premier travaille au développement d’un mini-décodeur émettant 40% moins de CO2, tandis que le second lance un nouveau système de veille permettant de réduire de 90% la consommation énergétique de ses décodeurs. Par ailleurs, l’ensemble des régies poursuivent le déploiement de formats publicitaires mettant en avant des offres responsables, mais aussi de programme de formation et de sensibilisation des équipes en interne qui permettront d’être à la hauteur des engagements pris dans le cadre des contrats climat pour une publicité responsable, et plus globalement des enjeux de sobriété qui marqueront l’année 2023, comme nous vous l’indiquions à la rentrée au sujet des tendances de l’achat média.