L’identité sonore sera-t-elle la musique de pub du monde d’après ?

Par Xuoan D. le 16/07/2020

Temps de lecture : 5 min

L'interview de Laurent Cochini, directeur général de Sixième Son.

Fin 2019, nous nous demandions si la voix et l’identité sonore allaient révolutionner la communication des marques dans notre émission Les enjeux – la Réclame. Depuis, le monde a bien changé… Revenons sur ce sujet, avec de nouvelles interrogations :

Les mois éprouvants que nous venons de vivre ont-ils rebattu les cartes de la musique en général, et de l’univers sonore des marques en particulier ? Pour un film publicitaire, vaut-il mieux synchroniser une musique connue ou en composer une nouvelle, propre à la marque ? Comment mesure-t-on l’efficacité d’une identité sonore ?

Autant de questions auxquelles Laurent Cochini, un ancien stagiaire de l’agence Sixième Son devenu directeur général depuis, va tenter de répondre dans cette nouvelle interview Jeunes Loups.
 

Le confinement et le déconfinement ont-ils bouleversé la musique ?

Laurent Cochini : En temps de crise, le public est naturellement attiré par des musiques positives et joyeuses. Cela permet d’oublier un peu un contexte pesant.

On le remarque d’ailleurs sur TikTok : ce sont les grands tubes bien dansants qui sont les plus partagés. Nous n’observons pas de tendance à la morosité. Le déconfinement coïncide avec l’arrivée de l’été, et donc de musiques plutôt festives et positives.

Les top morceaux et albums des plateformes de streaming n’ont pas fondamentalement changé dans leur nature ces derniers mois, hormis quelques écoutes liées au télétravail ou à l’école à la maison comme l’ont relevé Spotify et Deezer.

Les artistes musicaux ont été confinés comme tout le monde, cela a forcément eu un impact sur le processus créatif, mais nous n’observons pas à date de musique d’après confinement. Désolé pour le « monde d’après » !
 

Cette période a généré des changements notables pour la musique et l’identité sonore des marques ?

L.C. : Nous avons remarqué trois grands axes chez les marques.

1. Celles qui donnaient l’impression de n’en avoir rien à faire, « business as usual ». Ce sont principalement des marques de luxe ou de parfumerie, qui ont opté pour la synchronisation d’une musique connue, très chère, et qu’il faut aujourd’hui rentabiliser, diffusion après diffusion.

Ce type de stratégies nous étonne car 2/3 du public n’est pas face à sa TV lors de la coupure publicitaire. Que reste-t-il de ces publicités ? Des musiques, certes entraînantes, mais pas ou peu attribuées aux marques. Il est au contraire clé pour les marques d’affirmer qui elles sont via des identités sonores fortes.

2. Les marques qui ont opté pour le pathos. Un piano un peu doux et quelques cordes pour accompagner musicalement un spot de remerciements. L’intention était bonne, l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais cela a autant de personnalité qu’une vidéo Facebook de fin d’année.

3. Et enfin, les marques qui ont su utiliser le contexte pour communiquer habilement. C’est notamment le cas d’Intermarché [ndlr : avec le spot Je désire être avec vous, bercé par la voix de Nina Simone]. Cette subtilité est liée au concept « d’emotional decency », qu’a développé pendant le confinement Michael Boumendil, fondateur de Sixième Son.
 

Comment mesure-t-on l’efficacité d’une identité sonore de marque ? Et d’une musique de pub ?

L.C. : La première question qui est posée avec une identité sonore est toujours : « Est-ce que cela marche ou est-ce que cela ne marche pas ? » Pour aller plus loin que cette intuition, nous avons heureusement quelques indicateurs.

Le premier combat des marques va être l’attention. Comment la capter auprès d’un public qui n’est plus devant son poste de télévision mais a laissé le son en fond ?

Nous avons travaillé avec Datakalab qui a effectué un face tracking lors de la diffusion de publicités avec ou sans identité sonore. L’attention est bien plus forte lorsqu’une identité sonore est présente, et cela vaut pour tout type d’annonceurs, au-delà de la SNCF ou de Renault qui ont des signatures sonores fortes.

Ensuite, on va s’intéresser à l’attribution. Ce qui est entendu est-il identifié comme provenant de la marque ?

Enfin, l’attachement doit être mesuré. C’est-à-dire le lien créé avec la musique de marque et son public.
 

Militez-vous pour la composition d’une musique propre à chaque marque, a contrario de la synchronisation de musiques plus ou moins connues ? Nous avons pourtant observé que les musiques connues de publicité suscitent beaucoup d’attention auprès du public…

L.C. : Rien n’a changé dans la façon de gérer le son et la musique dans les publicités entre le début de ma carrière et aujourd’hui. Les mêmes musiques sont utilisées en même temps par des marques différentes, collant à l’air du temps, en suivant l’intuition et les goûts de créatifs d’agences.

Une musique de publicité connue est efficace dans un premier temps mais pas dans un second. Cela permet d’être remarqué mais pas forcément attribué. Nous l’avions relevé lors du classement des musiques de publicité les plus efficaces de l’année (source : Baromètre de performance musicale des marques 2018 par Ipsos et Sixième Son) : 9 fois sur 10, il s’agissait de créations, et non de musiques connues et synchronisées. Ce résultat sera confirmé par une nouvelle étude que nous diffuserons prochainement.

Il y a certes des contre-exemples, comme ce qu’ont pu faire Air France et BETC. Leur utilisation de musiques connues en publicité était incroyable, il y avait un ton musical, et cela créait un rendez-vous. Dans les années 90, les publicités Levi’s étaient de véritables révélateurs de talents, et l’argument « musique de la pub Levi’s » se retrouvait même sur la pochette des singles.

Dans une veine proche, Citroën enchaîne les synchronisations de musiques, en faisant découvrir de nouveaux artistes. Mais jusqu’à preuve du contraire, Citroën n’est pas une maison de disque.

Coca-Cola va au bout de cet exercice et gagne de l’argent avec les musiques. Ils co-produisent en grande partie les titres qui sont diffusés dans leurs publicités. C’est une approche business assumée, à l’américaine.
 

Comment voyez-vous le sujet de l’identité sonore des marques en publicité évoluer dans les mois ou années à venir ?

L.C. : La croissance de notre agence et studio atteste de l’importance grandissante de l’identité sonore pour les marques. Une nouvelle génération de managers de marques a grandi avec la logique qui veut qu’une marque a besoin d’un territoire sonore identifiable.

Désormais, ce travail s’étend aux objets et aux produits. Nous intervenons par exemple sur les sons que peuvent produire une automobile. Des annonceurs comme Mastercard vont même jusqu’à mettre de l’identité sonore dans une transaction en magasin, comme nous l’avions vu dans l’émission Les enjeux – la Réclame de novembre dernier.

Cette tendance va s’amplifier dans les mois à venir. Reste à savoir si la publicité saura rattraper ce train en marche. Les aspérités et l’imperfection de la musique font qu’elle nous embarque, qu’elle nous transcende. Il est donc temps de lui donner la place qu’elle mérite pour un « monde d’après » plus authentique…

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