Sir Martin Sorrell va-t-il racheter une nouvelle agence en France ?

Par Xuoan D. le 25/07/2022

Temps de lecture : 6 min

L'interview exclusive de l'executive chairman de S4Capital.

S’il y a un entrepreneur dans le marketing et la communication qui a marqué ces 40 dernières années, c’est probablement Sir Martin Sorrell. Ce britannique a racheté Wire & Plastic Products, un fabricant de paniers côté en bourse, pour le transformer en WPP, premier groupe publicitaire au monde. Une holding d’un genre nouveau alors, standard depuis, réunissant nombre d’agences concurrentes et entreprises de l’écosystème au sein d’un même groupe international.

Mais en 2018, Martin Sorrell quittait WPP. À 73 ans, il aurait pu lever le pied, entre retraite et investissements divers. Que nenni, l’entrepreneur décida de lancer S4Capital, un groupe côté qui a rapidement atteint le statut de licorne – plus d’un milliard de valorisation – pour disrupter le modèle d’agence qu’il avait mis quatre décennies à bâtir. Au centre de son nouveau modèle, une approche 100 % digitale, mêlant production de contenus créatifs et craftés au consulting data / analytics / média.

Martin Sorrell dirige aujourd’hui un groupe de 9000 personnes présent dans 32 pays, dont l’agence phare en France est Dare.Win, fusionnée en 2020 avec Media.Monks. Or, « SMS », était de passage dans les nouveaux locaux de l’agence de Wale Gbadamosi-Oyekanmi la semaine dernière. L’occasion pour nous d’échanger avec lui pour ce nouveau Parole d’entrepreneur. Au menu : disruption, marché français, contexte européen et opportunités d’acquisition.

Comment le modèle de S4Capital a-t-il évolué depuis 2018 ?

Sir Martin Sorrell : Nous sommes partis de 0 avec Media Monks et MightyHive en mai 2018. Media Monks était le cœur de notre offre de contenu et de création. Et MightyHive son équivalent data analytics et digital media. 

Notre objectif a toujours été de disrupter le modèle publicitaire actuel, en place depuis 70 ans. Nous pensions qu’à l’ère digitale, dans un monde 24/7 “always-on”, il y avait l’opportunité de créer un nouveau modèle.

Celui-ci repose sur 4 principes :

– 100 % digital. C’est là où est la croissance.

– Un modèle data driven, itératif, personnalisant à grande échelle.

– Se lancer sur le marché le plus vite possible, sans attendre la perfection. En mêlant agilité et compréhension profonde des écosystèmes numériques.

– Une marque unique, Media.Monks, qui depuis 2021 rassemble 9000 personnes dans 32 pays.

En plus du « content » et de la data analytics / digital media, nous avons ajouté une 3e pratique ces derniers mois : “tech services”.

Le contenu représente 60 % de notre chiffre d’affaires, data analytics / digital media 30 %, et les tech services 10 %. Nous visons une répartition à 50 % content, 25 % data, 25 % tech services.

Nous avons aujourd’hui 8 clients clés à des niveaux de revenus conséquents. Nous en visons 19 de plus. Notre but est d’accueillir plus de 20 clients générant plus de 20 millions de revenus annuels pour notre groupe.

Et d’un point de vue géographique, nos revenus viennent à 70 % d’Amérique du Nord et du Sud, 20 % d’EMEA et 10 % d’Asie. Nous prévoyons une bascule à 60 % pour les Amériques et 20 % pour l’Asie, l’EMEA restant stable.

Nous avons parcouru un long chemin en très peu de temps comme vous pouvez le voir, et il nous reste encore énormément à accomplir. [le statut de “licorne” à plus d’un milliard a été atteint en 18 mois pour S4Capital, du jamais vu dans le secteur marketing / communication, ndlr]. Notre modèle n’a pas été bouleversé ces dernières années, il ne cesse de s’améliorer.

Quel regard portez-vous sur le contexte économique européen ?

S.M.S. : Les temps sont durs en Europe avec la hausse des taux d’intérêt, le retrait des mesures de relance, la croissance de l’inflation et la guerre sur le continent européen. Les tensions sont énormes et il y a d’énormes défis à relever. 

La semaine dernière, j’étais à Milan. Au moment d’aller me coucher, je regardais les grands titres à la TV : la démission de Draghi, le gazoduc Nord Stream 1 arrêté [pour maintenance, ndlr], ainsi que la hausse de 50 points de base des taux de la BCE. Tout ça en 30 secondes avant d’aller me coucher. Je me suis dit “Oh my god, qu’est-ce que cela sera au réveil ?” Ajoutez à cela la canicule comme stigmate du changement climatique en cours. 

De notre point de vue, et du point de vue de nos clients, cela veut dire que le monde sera différent. Depuis 40 ans, la croissance a été forte grâce à la globalisation. Theodore Levitt, économiste et professeur à Harvard écrivait en 1983 dans le Harvard Business Review que tous les consommateurs consommaient les mêmes choses, de la même façon, partout dans le monde  [The Globalization of Markets, ndlr]. Cette tendance s’est avérée juste dans les grandes lignes, favorisée par le libre-échange et la réduction des tensions géopolitiques. Je ne crois pas que ce phénomène soit terminé, mais les choses sont en train de changer.

La croissance mondiale du PIB va ralentir, l’inflation va être avec nous à des niveaux plus élevés pour quelques temps, et cela comme dans les années 70, je suis assez vieux pour me rappeler de cette époque (rires). Notre mission est d’aider nos clients à croître, réellement. Pour y parvenir, notre approche est de nous concentrer sur le digital et la data, et de faire preuve d’agilité et d’efficacité.

Les marques vont devoir s’intéresser de façon plus sélective aux croissances locales en Amérique du Nord et du Sud, en EMEA et en Asie-Pacifique. La stratégie “allons partout dans le monde et nous aurons de la croissance” n’est plus d’actualité.

La France est-elle un marché particulier pour S4Capital et Media.Monks?

S.M.S. :Oui, elle l’est. En Europe, il y a 5 marchés clés : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, ainsi que le Royaume-Uni… si je puis me permettre de l’inclure dans l’Europe (rires).

La France a une part disproportionnée de marques internationales globales dont le siège est à Paris. Il est décisif pour nous d’être présents sur ce marché.

Vous êtes aujourd’hui en France. Est-ce pour acquérir une nouvelle agence ou une société de consulting ?

S.M.S. : Nous nous concentrons aujourd’hui sur la croissance organique en France. Wale et son équipe ont réalisé un travail exceptionnel. 200 personnes travaillent désormais pour nous à Paris. Nous essayons d’étendre l’étendue de ce que nous proposons à nos clients existants, projet après projet, plutôt que de participer à tous les grands “pitches”, même si cela nous arrive de participer à certains quand nous pensons que nous avons une chance de les remporter.

Notre croissance pour 2022 est aujourd’hui estimée à 25 %. Et nous planifierons celle de 2023 en septembre-octobre. Malgré tous les défis en cours, dont notamment une révision de la croissance du PIB mondial de 5-6 % à 3 % seulement, les tendances de croissance du marketing digital restent fortes, autour de 10-15 %. 

Nos revenus devraient être de 1,2 milliard de dollars en 2022, pour un marché de l’achat média représentant 775 milliards de dollars. Nous sommes donc encore relativement petits et devons croître plus rapidement que le marché. Nous mettons nos efforts sur la croissance organique, même si nous restons à l’écoute d’opportunités de rachats si elles se présentent d’elles-mêmes. Les valorisations des entreprises cotées ont baissé ces derniers mois. Ce n’est pas encore le cas pour les entreprises non-cotées, mais cela viendra. Il y aura donc des opportunités pour nous.

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