L'interview de Jean-Patrick Chiquiar, co-fondateur de Rosa Paris.
Dix ans après sa création, l’agence Rosapark devient Rosa Paris. Dans un souci de clarification, de réappropriation et de réinvention, mais aussi pour illustrer une autre transformation, plus stratégique, celle de sa raison d’être : « Etre du côté des gens avant d’être du côté des marques ». Une transformation qui pourrait paraître frondeuse à l’égard des marques, et pourtant.
Les temps changent, Rosa Paris aussi, puisque cette transformation s’illustre également au travers de nouveaux locaux pensés dans un monde post Covid où les besoins des collaborateurs priment sur les métiers.
Jean-Patrick Chiquiar, co-fondateur de Rosapark, revient pour nous sur cette nouvelle posture et l’an 0 de Rosa Paris.
Dans le communiqué de presse annonçant votre nouveau positionnement, il est précisé « Les temps changent, Rosapark aussi » : qu’est-ce qui vous a poussé à vous transformer ?
Jean-Patrick Chiquiar : En premier lieu, toutes les réflexions entendues sur le rôle des agences de communication, et de la communication dans l’accompagnement des marques : nous avions le sentiment que la publicité commençait à être accusée de tous les maux de la société et portait la responsabilité de la surconsommation, de l’empreinte carbone, etc. C’est particulièrement injuste, la communication n’est pas responsable de cela, c’est seulement une caisse de résonance.
Pourquoi le secteur véhicule parfois une image de « pousse-au-crime » ? Trop souvent, les marques essaient d’imposer un discours, leur point de vue aux consommateurs sans savoir s’ils sont en capacité de l’entendre. Cela nous a conduits à réfléchir à notre propre posture. Pour être du côté des marques, il faut d’abord être du côté des gens, les écouter et surtout les entendre, c’est ainsi qu’on parviendra à les faire s’intéresser aux marques. La vocation d’une marque est de répondre aux besoins des clients, sans ça, il y a peu de chance qu’elles les séduisent de toute façon. C’est un échange.
L’enjeu est donc d’avoir une approche en communication axée sur les vérités humaines pour trouver celle profondément ancrée chez le consommateur qui fera résonner un propos de marque. C’est ce qui nous a amenés à entamer cette transformation et en finir avec cette posture top down, un peu trop émettrice, en se situant d’égal à égal avec le consommateur.
Le business model des agences de communication est-il menacé actuellement ? Le marché évoque souvent une érosion des marges, sous le poids de la contraction des budgets et de la complexification des métiers.
J-P.C. : Nous observons deux choses : l’agence est dans un business de talents, nous vendons du temps de cerveau disponible, du temps d’hommes. Ce qui a changé ces 10-15 dernières années, c’est la diversification des canaux de communication : nous devons multiplier la nature des campagnes et activations sur plus de canaux qu’auparavant, sans être mieux payés, mais en y passant beaucoup plus de temps. Cet équilibre budgétaire met le business model des agences en difficulté.
Ensuite, en particulier en new biz au moment des appels d’offres, nous sommes de plus en plus questionnés par des marques pour un one shot, c’est-à-dire une seule campagne. Cela met également en péril ce business model, car traditionnellement, une agence s’investit sur 2-3 ans. La première année elle surinvestit vis-à-vis des besoins du client pour sortir la campagne, et la 2 ou 3e année elle capitalise sur ce qui a été réalisé la première année. C’est ainsi que le business model des agences fonctionne. Dans la configuration « one shot », tout le modèle est déséquilibré.
Ce n’est pas tant la réduction des marges qui entrent en ligne de compte que le caractère plus éphémère des modes de relations qu’une marque est prête à entretenir avec son agence. Chez Rosa, nous refusons beaucoup de sollicitations : dès lors qu’on nous interroge sur des positions de collaboration trop « one shot », avec des conditions de sélection par clairs, trop d’agences à l’œuvre et où l’on nous demande des informations sur le budget plutôt que nous en donner… Autant d’éléments qui m’incitent à refuser, car on perçoit qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent et nous avons autre chose à faire que de jouer à la roulette russe. Notre métier est sérieux, nous souhaitons soumettre des propositions sérieuses à nos clients. Si les clients ne savent pas où ils vont, c’est leur problème, pas le nôtre.
Le changement de nom de l’agence, de Rosapark à Rosa Paris, doit-il illustrer ce changement, vers plus de simplicité, voire d’intimité, puisqu’il résonne un peu comme un surnom, celui emprunté par beaucoup en parlant de l’agence… ?
J-P.C. : Nous avons la réputation d’être une agence exigeante et rigoureuse, mais avec un état d’esprit et un amour du maillot particuliers. Il y a une très forte culture d’agence chez Rosa Paris, lorsque les gens parlaient de Rosapark, ils disaient : on va voir les Rosa, etc. Il y a une capacité à s’approprier le préfixe de notre nom.
Après, pour être transparent, dix ans après la création de Rosapark, nous avons la volonté de réinventer quelque chose de nouveau. Sans dire que nous étions arrivés au bout d’un cycle, nous voulions « reseter » l’agence, l’amener dans une nouvelle direction : le nom et l’identité de l’agence sont des éléments qui peuvent évoluer. De Rosapark à Rosa Paris, il n’y a pas grande évolution et en même temps nous souhaitions apporter plus de proximité avec un nom qui nous ressemble plus.
Ensuite, certains pouvaient nous faire part d’un possible sentiment d’appropriation de Rosa Parks dans le nom de l’agence affirmant que nous jouions sur cet aspect-là : nous refusons tout amalgame, il n’y a aucune volonté de faire référence à Rosa Parks dans notre démarche, nous nous sommes donc rebaptisés Rosa Paris. Ce qui nous correspond bien et réaffirme également l’ancrage parisien de l’agence : nous sommes l’une des dernières agences situées à Paris, en centre-ville, en son cœur, cela nous paraissait important pour montrer que nous étions en écho avec l’actualité, le moment, la vie et la pulsion de la ville qui nous anime.
Que signifie le nouveau positionnement de l’agence : « Être du côté des gens avant d’être du côté des marques » ? La vocation d’une agence n’est-elle pas justement d’accompagner les marques, les faire connaître ? Ne craignez-vous pas que vos clients interprètent mal ce nouveau positionnement ?
J-P.C. : Non, au contraire. Pour être du côté des marques, il faut d’abord être du côté des gens, les comprendre, les intéresser pour les amener vers les marques. L’enjeu n’est pas d’opposer l’un et l’autre, mais de montrer que les marques doivent faire preuve d’empathie et de respect envers eux.
S’il y a un profond désamour de la publicité, et autant de gens qui se déclarent pubophobes, c’est peut-être qu’à un certain moment les marques, et leurs stratégies, ont décidé d’imposer des tunnels publicitaires sans saveur ni odeurs à des heures de grandes écoutes, en rentrant dans la vie des gens alors qu’ils n’avaient pas envie d’attendre cela.
Moi le premier, lorsque je me retrouve face à un écran publicitaire, alors que j’ai 30 ans de métier, je me dis parfois, mais comment ont-ils osé ? Comment peut-on oser délivrer un tel tombereau de bêtises dans un écran publicitaire ? Si je me mets à la place des gens, je suis aussi un consommateur, ce n’est pas la nature des discours que j’ai envie d’entendre. Nous encourageons les marques à suivre cette volonté-là : ne chercher à savoir ce que vous voulez dire aux gens, mais ce qu’ils ont envie d’entendre de vous. Ce qui est très dur.
L’exemple le plus parlant, c’est le travail réalisé pour Skoda. Nous aurions pu concevoir une campagne comme on en voit tant dans le secteur automobile, axée sur le potentiel de la voiture, l’aventure, etc., mais on s’exposait à ce que les gens rétorquent : oui, alors Skoda, pour moi, c’est une voiture d’Europe de l’Est des années 80. Avec une telle prise de conscience, on ne peut pas servir n’importe quel discours. On ne doit pas prendre les gens pour des idiots, le message les place là où ils en sont dans leur relation avec la marque. Cette réflexion nous a amené à la campagne « Moche dans les années 90 ». Cette campagne a fait bouger tous les items d’image sur la marque en considération, en agrément et en modernité, avec un impact sur l’image de marque, et en prime, logiquement, un effet business.
C’est bien un élément qui qui démontre que nous sommes aussi du côté des marques et de leur business, en revanche, le point de départ n’est pas l’envie d’expression de la marque, mais la prise en compte du consommateur. La nuance est fine, mais majeure : dans le why & what des stratégies de marques, les marques se concentrent sur le « what » plutôt que le « why » qui est pourtant beaucoup plus important.
Cette transformation s’illustre également à travers vos nouveaux bureaux puisque vous avez repensé « l’UX des locaux ». Racontez-nous cette nouvelle organisation. L’idée est-elle née de la pandémie ou la réflexion avait-elle eu lieu en amont ?
J-P.C. : Dès le départ, au moment de créer l’agence, nous voulions des locaux dans lesquels les gens se sentent bien. On passe tellement de temps ensemble, en agence, que cela nous tenait à cœur. Lorsque la décision a été prise d’agrandir les locaux pour des questions de place, nous étions dans la même démarche. La crise du covid est arrivée et avec elle, l’expérience du télétravail.
Trois choses m’ont sauté aux yeux :
1. L’engagement complètement dingue des collaborateurs dans cette situation, comme s’ils se disaient « Si on n’est plus ensemble il faut en faire dix fois plus pour faire perdurer l’esprit de Rosa ». Cela fut une source de satisfaction énorme chez Gilles [Fichteberg], Jean-François [Sacco] et moi.
2. Nous sommes allés les interroger pour savoir ce qui leur manquait. Lorsque l’on se retrouve chez soi, ce qui leur manque, c’est l’inspiration, l’émulation, les échanges inspirants qui génèrent des idées. Pour eux, beaucoup de problématiques se gèrent dans des réunions informelles, des discussions de bout de couloir, autour de la machine à café. Or le monde du télétravail, ce n’est pas le monde de l’informel.
3. Il n’y a plus cette logique de culture d’entreprise et plus de contact avec les gens de l’agence.
Alors qu’on s’apprêtait à refaire plus ou moins les mêmes bureaux qu’avant, organisés par métier, nous avons inversé la logique. En partant des besoins des gens — collaboration, inspiration, repos, etc. — plus que des métiers tout en se disant le télétravail va devenir pérenne à l’agence (avec une partie en présentiel), à partir des besoins des gens plus que des métiers.
Nous avons designé les espaces comme ça : par exemple, une bibliothèque prend place sur tout un étage, un autre est consacré aux workshops, aux présentations, masterclass et formation. C’est un lieu d’interactions avec les personnes de l’agence et de l’extérieur. À l’instar de notre opération mensuelle « Sur le banc » où se croisent des philosophes, designers, architectes, artistes, etc. Un autre espace sera une grande cafétéria où chacun pourra venir s’installer avec son ordinateur, partir à une réunion, aller se (re)poser à la bibliothèque puisqu’aujourd’hui nous sommes tous nomades !
Ce sont trois univers aux designs différents propices aux échanges, aux interactions et autres discussions informelles. L’agence n’est pas monolithique. Les espaces actuels resteront quant à eux en plug and play. Il y aura des bureaux fixes et des possibilités de changement de décor en commençant la journée chez soi, puis aller déjeuner à l’agence, suivre une masterclass puis finir à la bibliothèque ou avec un client. Nous voulions un mode d’interaction qui soit également du côté des gens, car c’est ce qui leur manque. D’autant que si le télétravail est possible, tout le monde ne le vit pas dans les mêmes conditions. Il était impératif de nous adapter à cette situation. L’agence c’est une culture, un endroit qui autorise l’initiative, la création et l’émulation.
Comme en écho aux nouvelles attentes des Français, en termes de consommation et de vie quotidienne, votre engagement sociétal se fera « plus fort vers le local (l’opération “Les essentiels du Village Faidherbe pendant le 2e confinement)) et la diversité”. Concrètement, comment cela va-t-il se traduire ?
J-P.C. : Il y a une profonde compréhension de l’amour que portent les gens sur ce qui se passe autour d’eux. Ils perçoivent que si cela se passe bien dans leur écosystème, ça fera un effet boule de neige.
Nous avons la chance d’être dans un endroit de Paris qui se développe, avec un savoir-faire artisanal dingue, d’où le livre sur le village Paul Bert avec tous les acteurs du fooding. Nous voulons rendre hommage à tous ces artisans qui essaient de se battre pour un travail bien fait, comme nous pouvons le faire à l’agence.
Nous sommes très attentifs à cet ancrage local comme vous l’avez souligné avec “Les essentiels du village Faidherbe”. Nous avons la volonté de créer des événements qui unissent culture, art et gastronomie et qui verront le jour quand les conditions sanitaires le permettront.
Sur toute la partie restauration, nous travaillons avec la startup Totem, avec des produits sourcés, éthiques, locavores. On se sent légataire de cette volonté de faire du bien autour de nous, je n’ai pas envie de fournir aux collaborateurs des barres Mars ou des canettes de Coca. Je veux investir notre argent dans quelque chose qui rend le monde meilleur. Ce n’est pas le monde des bisounours, mais si on peut améliorer les conditions de vie et de travail avec des produits de qualité… Dans la même idée, nous préférons désormais nous sourcer avec le fleuriste du coin plutôt que Sodexo pour aménager nos espaces. C’est un cercle vertueux.
Sur la partie “social”, nous avons des engagements sur la diversité avec un projet porté par Gilles avec l’AACC en tant que président de la délégation Publicité, notamment avec l’association les Déterminés ou “Viens voir mon taf” pour donner une idée de nos métiers aux collégiens.
Enfin, nous participons à l’opération “Sauvons les alternants”, mais nous avons choisi de faire d’eux des chefs de cabinet de chaque membre du comité de direction — directeur de création, DG, président, etc. — plutôt que leur donner des tâches subalternes d’un “stagiaire amélioré”. C’est un accélérateur dingue dans la façon d’apprendre un métier. Nous avons envie de transmettre le plaisir de faire ce métier, la puissance et son impact sur le business des marques, et son rôle pour construire un monde meilleur pour demain. Nous avons pu être timides de ce côté-là, mais nous voulons affirmer un peu plus qui on est en nous plaçant du côté des gens et de la jeunesse.
Qui dit Rosa Paris, dit Rosa Marseille, Rosa London ou Rosa Tokyo ? :)
J-P.C. : Qui dit Rosa Paris dit tout est possible ! Dans le meilleur des cas, ce sera Rosa Tokyo, dans le pire, Rosa Blois !
On ne s’interdit rien, à partir du moment où des personnes se montrent intéressées pour qu’on les accompagne en dehors de nos frontières. Nous avons la chance d’appartenir à un groupe qui ouvre des portes à l’international, comme récemment avec Thalys où l’on travaillait avec nos bureaux d’Havas à Bruxelles, Amsterdam et Dusseldorf. Une chose est sûre, on aura envie de se rapprocher des gens et des clients. Ce n’est donc pas impossible que demain, si un gros client est en province on se rapproche de lui.