Retour sur l'une des campagnes françaises phares des Cannes Lions 2019.
La jeunesse est partout, célébrée dans la publicité et les médias, elle impose ses diktats dans un société obnubilée par son éclat. Pour le reste, c’est prié de vous faire discret.e.s. Pourtant, il y a 40% de femmes âgées de plus de 50 ans dans le monde, mais seules 15% sont représentées dans les médias. À contre courant de cette tendance, mais pourtant bien ancrée dans la réalité, L’Oréal et le Vogue UK ont lancé The Non-Issue, une édition du célèbre magazine en collaboration avec McCann Paris et McCann London intégralement réalisé par des femmes de plus de 50 ans : des modèles, aux rédactrices en passant par les photographes, stylistes et maquilleuses. Une démarche osée et brillamment récompensée d’un Gold en Print & Publishing aux Cannes Lions (ainsi que d’un Silver dans la catégorie Media, en attendant d’être peut-être récompensée d’un Lion dans la catégorie Titanium). Nous revenons aujourd’hui sur ce succès avec Julien Calot, Executive Creative Director chez Mc Cann Beauty L’Oréal Paris.
Le contexte
Depuis deux ans maintenant, L’Oréal Paris a entamé une démarche de fond au sein de l’entreprise, comme nous l’explique Julien Calot, executive creative director pour McCann Beauty L’Oréal Paris : “Ce n’est peut-être pas encore totalement visible pour le public, mais L’Oréal a entamé une transformation globale du groupe. Une transformation “violente” et très importante dont le but est de redonner ses lettres de noblesse initiales à la signature de L’Oréal : I’m worth it (je le vaux bien). Pour une personne cela signifie : moi, ce que je suis, I’m worth it”. C’est un slogan sublime, plus important que “Just do it” et “Think Different” qui sont des injonctions quand “I’m worth it” est une affirmation. Il n’y a pas besoin d’une démarche d’action supplémentaire, c’est un fait, par le simple fait d’exister.”
Avant même l’idée du Non-Issue, L’Oréal a donc promu cette démarche globale sur sa marque. La diversité est une valeur fondatrice au cœur de la stratégie de L’Oréal, mais aussi l’une de ses clés de développement. Ses égéries en sont le reflet : Andy McDowell est signée chez L’Oréal depuis 35 ans, Jane Fonda depuis 12 ans. Et s’il y a une juste représentation et affirmation de la diversité chez les jeunes que ce soit en termes de couleurs de peau, de handicaps (la skieuse professionnelle handisport Marie Bochet) et de profils parmi les signatures de la marque, McCann et L’Oréal estiment en revanche que celle des personnes plus âgées est oubliée. “Dans la société, les femmes de plus de 50 ans représente une catégorie de la population souvent considérée comme invisible, rappelle Julien Calot, elle n’est même pas stigmatisée, elle est tout simplement laissée pour compte. Chez un homme en revanche, vieillir est plutôt bien perçu, contrairement aux femmes.”. Par ailleurs, lorsque les personnes âgées sont représentées par certaines marques (quand elles le sont) dans les publicités, elles le sont toujours de manière caricaturale, pointe l’executive creative director – une mamie fashion de 90 ans qui fait du sport de haut niveau par exemple : “les femmes de plus de 50 ans ne sont pas considérées pour ce qu’elles sont réellement.” L’Oréal s’est voulu précurseur en mettant en avant une ligne de cosmétique dédiée aux femmes âgées Age Perfect voici une vingtaine d’année déjà. La gamme souffre pourtant d’un déficit de notoriété. « Pour soutenir cette gamme et lui offrir une médiatisation supplémentaire, l’idée de Non-Issue est apparue », sous la forme d’une édition augmentée : un volet interactif en RA accessible grâce à un Messenger code placé sur la couverture.
La campagne
Selon Julien Calot, “L’idée était de casser les stéréotypes de l’âge : « Some say age is a issue, I’m age perfect. » Nous voulions travailler avec un magazine emblématique, nous trouvions intéressant d’allier la puissance du mass market de L’Oréal avec l’expertise niche pointue de Vogue. Ce clash entre l’iconicité du magazine, son aspect prescripteur, et la force de frappe du groupe L’Oréal pouvait faire bouger les choses sociétalement. C’est étrange de devoir attendre 2019 pour que cela se fasse, alors que cela paraît comme une évidence.”
Le Non-Issue est sorti en avril à 250 000 exemplaires à travers tous les canaux de distribution de la presse anglaise. La campagne a également été relayée sur les réseaux sociaux, en RP et à travers de nombreux médias.
Pourquoi le Vogue UK ? “J’étais déjà très attaché au travail d’Edward Enninful, sa démarche est souvent ambitieuse, raconte Julien Calot, le magazine a une dimension internationale, contrairement au Vogue français qui reste encore très local. Ensuite, nous avions des partenariats locaux dynamiques là-bas et beaucoup de nos égéries anglaises, comme Helen Mirren, sont puissantes en Grande-Bretagne.” Si les planètes semblaient alignées, le défi était de convaincre Vogue sans se faire subtiliser l’idée au passage : “Nous devions éviter de nous voir répondre “Non merci”, pour les voir ensuite sortir leur propre Non-Issue, mais sans L’Oréal. C’était inconcevable pour nous. Ensuite, le cœur de cible du magazine a 32 ans : leur proposer de lancer une édition intégralement dédiée aux personnes âgées n’allait pas forcément de soi. Enfin, L’Oréal était le seul annonceur sur tout le magazine, ce qui va à l’encontre de leur politique éditoriale. Il a donc fallu les convaincre”.
Le case study
Les résultats
– 19 millions d’impressions organiques
– + 40 000 nouveaux lecteurs en deux semaines
La campagne, et ce sujet en particulier, ont suscité énormément d’enthousiasme, surtout auprès des jeunes, nous précise Julien Calot. « Le fait de ne pas considérer les personnes âgées dans la société et de les rendre invisible est une manière de perdre le rôle modèle que les médias et les marques peuvent avoir auprès des jeunes générations. En travaillant avec ces femmes iconiques depuis de nombreuses années – Helen Mirren, Jane Fonda, Andy McDowell, Julianne Moore, etc. – ont prend conscience de leur puissance, intérieure notamment, comparativement à de petites stars de 20 ans qui ont peut-être plus de followers sur les réseaux sociaux. Ces femmes ont des carrières et des vies extraordinaires, c’est bien qu’elles puissent servir d’exemples aux jeunes générations. Notre société vieillit, c’est tout de même contradictoire : 40% des femmes dans le monde ont plus de 50 ans, mais seulement 15% de cette même cible est représentée dans les médias.”
Les clés du succès
La justesse du propos
Cette édition ne s’est pas contentée de survoler le sujet : “Ce sont des articles de fond qui traitent de sujets qui concernent les femmes de plus de 50 ans, que ce soit la ménopause ou le make-up (les crèmes pour les peaux matures, le rouge à lèvres qui ne file pas entre les rides des lèvres, etc.) », souligne Julien Calot. En outre, les photos éditoriales et publicitaires du magazine ont été “beaucoup moins retouchées que d’autres campagnes L’Oréal”. Le groupe va d’ailleurs lancer une campagne “True Match” où l’intégralité des photos de la campagne ne sera pas retouchées : une démarche qui s’inscrit en cohérence avec la refonte globale de la marque sur ce sujet.
La radicalité de la campagne
Une campagne qui s’assume de bout en bout. Que ce soit Vogue ou L’Oréal, “ce sont deux marques iconiques qui posent une nouvelle base. C’est un défi et un challenge donné à tous les médias, un problème qu’il faut solutionner : Nous l’avons fait, voici l’insight, à vous de jouer. Il y a quelque chose d’assez radical dans cette démarche.”
La simplicité de l’idée
Partir d’un constat, « age is a issue », pour l’inverser avec une “Non-Issue” edition. “L’idée même de produire un case study me paraissait inutile car cela abîmait la simplicité du message”, pointe Julien Calot. Ces deux prix récoltés à Cannes viennent toutefois le contredire.