Influence : la proposition de loi va-t-elle dans le bon sens ? L’avis du SCRP

Par Élodie C. le 11/04/2023

Temps de lecture : 9 min

L'interview de Sandrine Cormary, présidente du SCRP.

Fin mars, le marketing d’influence s’est invité à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une proposition de loi visant à encadrer ses pratiques. Si le secteur gagne en maturité à mesure qu’il se professionnalise, il n’évite pas pour autant les sorties de route : selon la DGCCRF, six influenceurs sur dix signalés ne respectent pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs. Avec 150 000 influenceurs actifs sur les réseaux sociaux, son explosion et certaines dérives ont conduit les pouvoirs publics à encadrer cette profession. Avec un marché évalué à 38 milliards d’euros d’ici 2025, l’envie se faisait pressante.

Les mesures adoptées sont-elles à la hauteur des ambitions du secteur ? Comment l’interprofession juge-t-elle ces avancées ?

Présidente du SCRP – Syndicat du Conseil en Relations Publics, Sandrine Cormary évoque avec nous sa participation, en tant que membre de la commission influence, aux mesures gouvernementales d’accompagnement des influenceurs et de protection des consommateurs, mais aussi la création, avec AFNOR Certification, du 1er e-label « Agence Conseil en Influence Responsable ».

Pouvez-vous nous rappeler votre rôle en tant que présidente du Syndicat du Conseil en Relations Publics ?

Sandrine Cormary : Notre syndicat représente une multitude d’agences aux tailles et aux modèles économiques différents. C’est le ferment de sa vitalité. Derrière cette diversité, nous nous retrouvons tous autour d’enjeux communs majeurs : ceux du rayonnement, de l’attractivité et de la transformation de nos métiers.

Au service de nos adhérents, ma démarche consiste à rendre plus visible nos métiers encore méconnus dans leur diversité et dont la contribution économique et sociale est indiscutable. Travailler la désirabilité de nos expertises auprès de ceux-là même qui sont l’avenir du métier : les talents est un axe important de notre syndicat. Enfin, rendre totalement indiscutable le rôle qui est le nôtre chaque jour au service de nos clients : être un agent d’impact positif qui les aide à développer leur visibilité et leur réputation, faire grandir leur business, et répondre à leurs enjeux stratégiques dans une société qui change et où la RSE prend une place de plus en plus forte.

Le SCRP a récemment créé le premier e-label « Agence Conseil en Influence Responsable » en collaboration avec AFNOR Certification. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce label et quels sont ses objectifs ?

S.C. : Notre syndicat, ainsi que les autres organisations professionnelles, est très investi sur l’encadrement des pratiques, notamment par la réalisation de codes de bonnes pratiques, à l’instar de la Charte de la relation influenceurs (2020) qui pose des exigences fortes en matière de conseil, intégrité conformité et mesure. Nous sommes convaincus que l’encouragement des pratiques responsables favorise une meilleure transparence au service de notre profession. 

Nous avons annoncé le e-label « Agence conseil en influence responsable » qui permet aux agences conseil de prouver leurs engagements et valoriser les pratiques en matière d’influence responsable. Le questionnaire du e-label est structuré autour des publics qu’adressent les agences conseils – les collaborateurs, les influenceurs et les entreprises ou organisations clientes. Les critères évalués par AFNOR Certification vérifient la mise en place des actions permettant d’assurer une influence plus responsable et transparente. 

À destination des agences conseil, le e-label sera ouvert dans un premier temps aux membres du SCRP, puis étendu aux membres de l’AACC et à l’interprofession par la suite.

En tant que membre de la commission influence, pouvez-vous nous parler de votre participation aux mesures gouvernementales d’accompagnement des influenceurs et de protection des consommateurs ? Un sujet a-t-il plus suscité le débat qu’un autre ou à l’inverse un consensus ?

S.C. : Le SCRP est en effet très mobilisé et actif dans les discussions qui ont eu lieu ces derniers mois au côté de l’interprofession. Nous saluons la démarche de consultation qui a été menée par Bercy et si nous demeurons convaincus que le texte voté par les députés va dans le bon sens, nous nous posons des questions sur certains points adoptés. 

Nous saluons l’obligation de contractualisation pour l’influence commerciale, mais nous redoutons qu’il entre en contradiction avec l’introduction de la notion de co-responsabilité – récemment ajoutée – entre l’annonceur et l’influenceur qui sont « solidairement responsables des dommages causés aux tiers dans l’exécution du contrat d’influence commercial qui les lie ».  En d’autres mots, si un influenceur ne respecte pas les termes qui sont définis dans son contrat, n’étant que co-responsable, il a finalement moins de risque à ne pas respecter la loi car la marque ou l’entreprise est également responsable. Le diable est dans les détails… Cette dilution de la responsabilité de l’influenceur est dommageable tant pour l’entreprise que pour le citoyen-consommateur. 

La requalification de l’influence commerciale comme étant de la publicité classique est inédite. L’interprofession et l’ARPP considéraient jusqu’à présent plusieurs types de contenus. Au-delà du contenu spontané et publicitaire qui sont tous deux préservés par la proposition de loi, nous craignons la disparition du contenu non commercial (le earned) et du contenu commercial non publicitaire (co-création). 

Nous nous inquiétons par ailleurs toujours de la rédaction de la définition d’agent d’influenceur, qui en l’état semble assimiler les activités des agences conseil en relations publics, communication ou publicité à celles des agents d’influenceurs. Or, notre rôle n’est pas de « garantir la défense des intérêts des influenceurs » puisque nous sommes les mandataires de nos clients qui sont les marques et organisations. Cette situation ouvre la porte aux conflits d’intérêts. Convaincus qu’on ne peut pas défendre les intérêts des marques et des influenceurs, notre recommandation est de sortir les agences conseil de la définition d’agent et d’introduire l’obligation de mandat qui résoudrait l’un des principaux problèmes rencontrés par les marques et leurs conseils dans le cadre de leur contractualisation avec des agents d’influenceurs. En effet, le mandat permettrait de s’assurer que les agents disposent bien de l’accord des influenceurs pour négocier leurs cachets, pour toucher les rémunérations à leur place, ou encore gérer les questions techniques, comme celles liées au droit à l’image par exemple. 

Enfin, il se pose toujours quelques questions sur l’applicabilité du texte aux pratiques. On peut citer notamment la mise en place de surcouches de mentions obligatoires sur la nature de la collaboration commerciale ou les mentions afférentes à certains secteurs comme l’alimentaire (Nutri-Score, #manger-bouger), l’automobile (étiquette C02, #SeDéplacerMoinsPolluer), etc. Le format de ces mentions – qui seraient obligatoires sur l’image ou la vidéo et non plus dans le texte du post ou via les outils natifs des plateformes comme c’est le cas actuellement- est inadapté à l’influence. Ce surplus de mentions serait préjudiciable au citoyen consommateur car il entrerait en conflit avec la première obligation de transparence vis-à-vis de celui-ci : l’existence ou non d’une relation commerciale entre l’influenceur et la marque promue.

Quels sont les enjeux actuels en matière de réglementation des pratiques d’influence et comment les agences de conseil en relations publics peuvent-elles contribuer à promouvoir des pratiques plus responsables dans ce domaine, alors que six influenceurs sur dix (source DGCCRF) ne respectent pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs ?

S.C. : En effet, la DGCCRF a enquêté sur les pratiques commerciales des influenceurs et nous tenons d’ailleurs à souligner le rôle essentiel de ces instances de contrôle et de sanction et saluons l’annonce de Bercy de la semaine dernière de créer une brigade dédiée aux influenceurs et créateurs de contenus. 

Dans l’enquête de la DGCCRF réalisée entre 2021 et 2022, elle a contrôlé une soixantaine d’influenceurs. L’administration ayant visé, selon ses propres dires, les influenceurs « faisant l’objet de signalements par les consommateurs », il n’est alors pas étonnant de retrouver ces chiffres. 

De notre côté, nous sommes plutôt optimistes sur l’évolution des pratiques que nous considérons aller dans le bon sens. Le SCRP est engagé auprès de l’ARPP qui réalise chaque année un observatoire de l’influence responsable analysant plus de 30 000 contenus. Cette étude révèle chaque année une nette amélioration des pratiques en termes de transparence des influenceurs sur leurs partenariats commerciaux. Entre 2020 et 2021, les contenus conformes sont passés de 73 % en 2020 à 83 % en 2021.

Les agences conseil ont leur rôle à jouer en étant des acteurs actifs dans la promotion de pratiques plus responsables, sensibilisant leurs partenaires, leurs clients et les influenceurs aux enjeux de la transparence et de la responsabilité. Elles aident leurs clients à choisir les influenceurs responsables et rappellent aux influenceurs leurs obligations en matière de bon respect des règles. Grâce au e-label, ces derniers pourront également faire certifier ces engagements et bonnes pratiques. 

Quid de la promotion de l’alcool laissée – opportunément ? – dans le flou, quand la promotion de la chirurgie esthétique et des placements financiers à risque (qui ont “défrayé la chronique”) est clairement interdite ?

S.C. : Beaucoup de secteurs étaient déjà encadrés. La promotion des actes médicaux (et donc de la chirurgie esthétique) était par exemple déjà interdite, tout comme la promotion de l’alcool était déjà encadrée par la loi Evin et s’appliquait de ce fait déjà aux influenceurs et à l’influence commerciale. Les députés ont ainsi, en l’inscrivant en toute lettre dans la proposition de loi, souhaité faire un rappel à la loi.

Les rapporteurs ainsi que le gouvernement ont clairement fait part de leur volonté de ne pas discriminer l’influence commerciale par rapport aux autres leviers de communication, notamment la publicité. C’est le fameux « ni plus, ni moins ». Si cette volonté est louable, elle pose cependant plusieurs problèmes. Tout d’abord en l’état, cette affirmation ne suffit pas à clarifier les règles pour l’influence commerciale. Prenons l’exemple de l’alcool avec la loi Evin qui encadre sa promotion. La loi Evin n’impose pas les mêmes règles ou interdictions en fonction de la nature du contenu (Earned ou publicitaire) ni pour tous les canaux (pub TV, radio, la presse écrite etc). Ainsi, jusqu’à promulgation du décret, nous demeurons dans le flou.

Nous plaidons par ailleurs pour une reconnaissance de différents types de contenus (earned et co-création) produits par les influenceurs en relation avec les marques qui ne sont pas tous de l’influence publicitaire.

Quelles sont les principales tendances du secteur et comment le SCRP et les agences de conseil en relations publics en général perçoivent-elles l’évolution de l’influence marketing ?

S.C. : L’actualité politique et réglementaire focalise l’attention sur les dérives et les besoins légitimes d’encadrement qu’elles entraînent, mais il faut rappeler que l’influence marketing et les relations influenceurs sont d’abord et avant tout une formidable opportunité pour le secteur de la communication. Au-delà du vent de fraîcheur et de créativité qu’a apporté la nouvelle garde de créateurs de contenus, l’influence est également devenue un vivier d’emploi et de créations d’entreprises. Tout un écosystème s’est créé autour de l’influence : créateurs de contenus, agences généralistes ou spécialisés, agents, plateformes et autres technologies de mise en relation ou de mesure… 

Nous pensons que le marché de l’influence continuera sa structuration à mesure qu’il gagne en maturité. La professionnalisation croissante va de pair avec un respect accru du cadre et des règles en vigueur. L’année 2023 verra cette structuration se poursuivre avec une priorité accordée à la responsabilité et la transparence des influenceurs avec leurs communautés quant à leurs choix de collaboration.  

Pour le reste, les tendances de la creator economy vont de l’évolution des algorithmes (TikTok par ex) à la création de fonds de rémunération pour les influenceurs, à l’arrivée de l’IA dans la vidéo qui prend en compte les spécificités de chaque plateforme, ou encore l’essor du podcast qui se poursuit (les radios ont perdu 3 millions d’auditeurs au cours des 4 dernières années – 200 millions d’épisodes de podcast écoutés chaque mois en France – 1 Français sur 2 a déjà écouté un podcast) offrant de nouvelles opportunités de monétisation au-delà de la publicité : contribution directe des auditeurs, vente de produits dérivés, organisation d’événements, formation de coaching, création de podcast de marques, généralisation du podcast comme outil de communication interne pour les entreprises…

Autant de tendances qui reflètent une professionnalisation croissante du secteur, une transparence accrue, une utilisation plus stratégique des influenceurs et une adaptation aux nouvelles plateformes et formats de contenus.

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