L'interview jeunes loups de Paul Marty, HEREZIE Group.
Les influenceurs : on les voit partout, les marques en raffolent, et elles investiraient à terme des milliards d’euros pour qu’ils deviennent le visage de leur campagne sur les réseaux sociaux. Un risque calculé puisqu’ils bénéficient de millions d’abonnés, comme autant de clients potentiels dont ils pourraient influer sur le comportement d’achat. Le marketing d’influence a-t-il atteint son apogée, voire son pic ?
Cette lame de fond est devenue si lucrative qu’elle entraine son lot de supercheries et de faux comptes, comme a pu l’alerter Unilever dernièrement. Suffisant pour parier sur leur mort prochaine ? Non, mais l’opportunité pour remettre les points sur les « i », comme le suggère Paul Marty, Associate Creative Director de l’agence HEREZIE dans cette nouvelle interview Jeunes loups.
Comment définir aujourd’hui un influenceur / une influenceuse ?
Paul Marty : C’est quelqu’un qui influence ! (Rires)
Si on limite la définition au digital, c’est une personne qui va publier des contenus sur les réseaux sociaux, en son nom, pour mettre en avant un service, une marque, en faisant en sorte que les gens changent de regard sur ces offres.
En réalité, tout le monde est un influenceur, que ce soit en ligne ou dans la « vraie » vie. Un client satisfait est un influenceur en puissance au niveau de son cercle relationnel, ou même en ligne comme on a pu le voir par exemple avec les fans de Free, les freenautes. La différence se joue au niveau de l’échelle, de l’audience. D’ailleurs, pour une définition complète des influenceurs, il faudrait aussi inclure les célébrités et autres personnes publiques qui représentent le haut du panier de l’influence publique.
Quel était jusqu’alors l’intérêt pour une marque de faire appel à des influenceurs ?
PM : Un influenceur représente un point de contact différent pour une marque.
Et initialement, travailler avec un influenceur était moins cher qu’acheter de l’espace dans un média traditionnel. (Mais ça, c’était avant !)
Ensuite la marque n’est pas émettrice. Or les gens sont plus réticents et méfiants quand une marque publie son propre contenu promotionnel sur les médias sociaux. Beaucoup moins quand c’est un influenceur. Ce moyen de communication a le mérite d’être personnalisé et à la base authentique : c’est une personne qui parle à une autre personne, il y a plus de confiance. Un peu comme les avis ou commentaires laissés en ligne concernant un produit, un restaurant, etc.
Les prix ont évolué depuis et la perception du public n’est plus la même. Celui-ci est moins dupe et les influenceurs ne peuvent plus se permettre de faire n’importe quoi.
Qu’est-ce qui vous amène à penser aujourd’hui que quelque chose ne va pas dans la relation marques – influenceurs ?
PM : Aujourd’hui, ce n’est pas que la relation entre les influenceurs et les marques qui ne va pas bien. C’est simplement que les annonceurs ne sont pas assez matures sur le sujet.
À l’agence, on touche le fond quand les annonceurs nous imposent de travailler avec des influenceurs. Ils ont dans ce cas une mauvaise appropriation du sujet influenceur. Ils pensent que cela va suffire à rendre leur marque « cool », à toucher les jeunes…
Mais désormais, les gens savent que dans le cas d’un contenu d’un influenceur sponsorisé par une marque, le message est biaisé. La collaboration ne fonctionne que dans le cas d’une vraie idée.
Ensuite vient la question de la rentabilité. Quand certains demandent jusqu’à 10k€ pour un statut Facebook moche, avec 3 lignes, qui s’insère mal dans l’éditorial organique de l’influenceur, on peut se demander ce que les marques obtiennent au final. D’autant qu’il est fréquent de laisser une quasi liberté à l’influenceur vis à vis du contenu. Ce qui s’explique par un besoin de cohérence sur son support. Mais cela peut être très inquiétant pour un annonceur, et les dérapages récents n’ont pas manqué…
Qu’est-ce qui manque aux influenceurs pour délivrer des contenus aussi riches pour leurs abonnés que pour les marques ?
PM : Il faut tout d’abord comprendre que la qualité de ce qu’un influenceur va produire est aligné avec les moyens – c’est-à-dire l’argent ! – qu’on lui donnera.
Il y a des influenceurs qui sont de super créateurs de contenu, mais certaines marques ne leur donnent pas les moyens d’être créatifs et de bien produire leurs idées.
Ma recommandation serait de tout investir dans un seul et unique influenceur qui va co-créer avec la marque quelque chose d’hyper qualitatif, qu’on peut éventuellement médiatiser par la suite, plutôt que diviser le budget en plusieurs dizaines d’influenceurs qui produiront tous un contenu moins intéressant. Cela n’a plus d’intérêt aujourd’hui.
Ensuite, il faut utiliser les influenceurs au prisme d’une idée, et d’une stratégie pertinente pour la marque, qui aura précédemment, et idéalement briefé… son agence ?
Chaque prise de parole de parole nécessite un brief. Parfois la meilleure réponse à ce brief est de faire appel à un influenceur, parfois non. Il faut rester agnostique vis à vis des influenceurs.
Qu’est-ce que les marques peuvent faire face au problème des faux abonnés / faux followers des influenceurs ?
PM : Les marques doivent faire l’effort d’enquêter sur l’audience réelle d’un influenceur. Si celui-ci a 300 000 abonnés, mais que chacun de ses contenus génèrent 4 likes et donc un engagement faible, il y a quelque chose de douteux.
Certaines plateformes se sont mises à la chasse aux faux abonnés, comme Twitter récemment. Certains se sont mis à parler tibétain lorsqu’ils ont perdu 20% d’audience en une nuit ! Heureusement les marques commencent aussi à être expérimentées et savent déceler les communautés factices.
Que pensez-vous des Influenceurs virtuels comme la team virtuelle de Balmain ?
PM : Est-ce vraiment de l’influence ou simplement un moyen de mettre de l’humain, sans en payer le prix ?
Je ne suis pas expert sur le sujet, mais je vois ça comme une bonne manière pour “owner” / posséder une personne, mettre en avant un produit de façon ultra simple. C’est faux, mais totalement assumé donc mieux perçu. L’influenceur ne vend pas son âme ici, puisqu’il n’en a pas ! C’est une nouvelle façon de faire, un nouveau point de contact à observer dans les mois à venir.
Comment gère-t-on une campagne avec des micro-influenceurs ? Est-ce que cela s’automatise ?
PM : Les marques nous parlent de plus en plus souvent des micro-influenceurs, c’est la grande mode aujourd’hui.
Pour nous, la question est toujours la même : micro-influenceurs ou influenceurs, quelle est la pertinence pour une marque donnée de faire appel à eux ?
Certes, la communication peut être automatisée, ils coûtent moins cher et sont moins difficiles à gérer. Mais cela ne sera légitime que pour des opérations sans véritable co-création, où la marque peut se satisfaire de la diffusion en masse d’un message simple, mais bon…
Les micro-influenceurs, c’est aussi un moyen pour les marques d’avoir un contenu mieux perçu et à moindre coût. Certains jeunes rêvent de recevoir un kit produit et se sentir dans la peau d’un influenceur avec une publication qui récoltera 10, 50 ou même 1 000 likes. Les marques voient les micro-influenceurs comme une alternative. Et il faut avouer que si elles obtiennent le même taux d’interaction et les mêmes vues qu’avec un seul influenceur connu, mais beaucoup plus coûteux, elles ont tout intérêt à mettre en place une campagne de micro-influence.
Les influenceurs auraient-ils intérêt à s’auto-réguler, notamment via des associations “professionnelles” ? Ce que le marché publicitaire connaît bien…
PM : Le youtubeur Hank Green a justement lancé son syndicat, l’Internet Creators Guild. Sur ce site, il invite les influenceurs à partager leurs bonnes pratiques ou la manière de rédiger un contrat notamment.
Les influenceurs ont intérêt à s’autoréguler eux-mêmes mais surtout à se professionnaliser tout court : je demande de l’argent, combien de temps dure le contrat, pourquoi je le fais ? En cas de mauvaises réactions de la communauté ou en externe qui gère, la marque, l’influenceur ?
Aujourd’hui, une part infime des influenceurs est mature, quand l’autre fonce tête baissée parce qu’il y a de l’argent à la clé. C’est le début de la fin.
Des sociétés d’influence et de gestion se sont créées, et tout récemment on a par exemple vu Webedia lancer son école de micro-influenceur, la Talent Web Academy. J’étais sceptique au premier abord, mais ils viennent combler un manque. Pour tous ceux qui rêvent de devenir influenceurs – paix à leur âme – c’est important d’avoir un retour d’expérience, notamment de la part de ceux pour qui cela s’est bien ou mal passé, mais aussi de recevoir des conseils et des explications sur la réalité du secteur.
Mais on ne devient pas influenceur du jour au lendemain : tant que tu n’es pas un créateur de contenus, c’est-à-dire que tu crées des choses intelligentes et novatrices, tu n’y arriveras pas. J’ai vu des gens décoller de 0 à 100 000 followers en deux semaines parce qu’ils étaient de vrais et purs créatifs, avec des idées. Cela peut paraître évident, mais c’est la clé !
Tant mieux si le secteur se professionnalise, il y aura plus d’éthique avec des gens véritablement soucieux de leur audience et de leur ligne éditoriale, mais surtout ce sera plus cohérent pour les marques. J’ai envie que les influenceurs disent plus souvent non aux marques.
Comment voyez-vous les influenceurs évoluer dans les années à venir ? Croyez-vous à une mort possible du statut d’influenceur ?
PM : Je ne crois pas à la mort de l’influenceur. La définition même de l’influenceur ne changera pas. En revanche, le statut va se professionnaliser et évidemment évoluer.
L’influence ne va pas mourir, néanmoins les Youtubeurs / Instagrammeurs vont avoir du mal à se renouveler s’ils font le même contenu pendant 10 ans. Les gens vont finir par se lasser, mais d’autres émergeront et ainsi de suite. On le voit d’ailleurs, certains youtubeurs peinent à raviver leur compte YouTube, ils deviennent journalistes, passent à la télé, font des films, etc.
Les influenceurs peuvent-ils se réinventer ?
PM : Naturellement, tout d’abord car de nouveaux médias sociaux explosent. Il n’y a pas que YouTube, Instagram, Snapchat… je citerais notamment Musically (maintenant “Tik-Tok”) où des influenceurs comptabilisent des millions de vues, sans être présents publiquement sur les autres réseaux.
J’aimerais enfin évoquer un cas que je trouve intéressant : le combat de boxe entre les youtubeurs Logan Paul et KSI. J’ai trouvé cela fabuleux, car il y a encore quelques mois, Logan Paul réalise l’un des plus grands flops de l’histoire des influenceurs avec sa vidéo dans la forêt des suicides au Japon (Aokigahara). Il s’est fait conspuer dans le monde entier. Trois mois plus tard, il lance un combat de boxe, fait des millions de vues et un argent astronomique grâce au stream payant, avec quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec sa ligne éditoriale (tout comme son adversaire). Ils sont tellement influents qu’ils ont pu se permettre cette folie, avec une idée qu’ils ont adaptée à l’air du temps. Cela soulève une autre question : est-ce que les influenceurs ont encore besoin des marques ?