La sensibilisation par la gamification.
C’est un sujet qui revient régulièrement dans les débats, les inégalités se creusent et plus encore depuis la crise. En France, elles sont multiples et touchent différentes strates de la société : diversité, inclusion, égalité salariale, patrimoines, etc. Comment sensibiliser un public difficile à atteindre, mais qui sera pourtant celui à l’œuvre d’ici quelques années pour faire bouger les lignes ?
Cinq ans après la vidéo virale, Le Monopoly des inégalités, Herezie et l’Observatoire des Inégalités récidivent et matérialisent ce jeu sous forme de boîte à outils à destination des écoles, mais aussi du grand public pour sensibiliser les jeunes générations et leur donner les clés pour les comprendre et tenter de les réduire.
Dans ce nouveau bilan de campagne, Paul Marty, co-directeur de la création de l’agence Herezie revient sur ce projet d’envergure qui dépasse aujourd’hui les frontières mêmes de l’Hexagone.
La genèse
En 2017, L’Observatoire des inégalités lance une réflexion autour de la question des inégalités en France. L’agence Herezie a alors l’idée de faire jouer les enfants au Monopoly avec les règles et inégalités de la société d’alors. Une équipe se crée autour de ce projet au sein de l’organisme et de l’agence.
À l’époque, l’idée est de présenter, en deux minutes, l’Observatoire des inégalités. Une vidéo est déployée comme outil de sensibilisation et de notoriété sur le sujet, notamment sur les réseaux sociaux de l’Observatoire. « La vidéo a cartonné !, se souvient Paul Marty, co-directeur de la création de l’agence Herezie. C’était l’époque où Facebook marchait bien, nous avions eu pas loin d’un million de partages sur la plateforme. La statistique était folle, car il ne s’agissait pas de vues, difficiles à qualifier, mais de partages organiques. Cette campagne avait eu un énorme succès. »
Cette vidéo a eu l’avantage de faire connaître l’Observatoire et de donner un point de départ à toute la réflexion qui a suivi. Un « mini défaut » est toutefois décelé : « La vidéo était peut-être un poil stigmatisante et négative », concède Paul Marty. Pour les femmes, le jeu était plus difficile que pour les hommes, avec moins d’argent au départ, un enfant issu de l’immigration avançait moins vite, avec de moins bons résultats à l’école, et se voyait donner un travail moins intéressant à la sortie, etc. « À l’époque, le parti pris était d’illustrer ces inégalités par le prisme de ceux qui les vivaient au quotidien. Chacun jouait son propre rôle dans la vidéo », explique-t-il.
Si l’Observatoire se sert de la vidéo comme outil de communication et de présentation de l’organisme, un rapport des inégalités paraît chaque année sous forme de livre. Pourtant, riche de centaines de pages, celui-ci n’est pas « très digeste » et accessible au plus grand nombre pouvant ainsi rater sa vocation de sensibilisation du grand public. L’Observatoire repense alors à la « gamification » des inégalités réalisée quelques années auparavant, mais entend aller encore plus loin.
Une première ébauche du Monopoly des inégalités est réalisée en négociant les droits avec Hasbro (société américaine propriétaire de la licence, NDLR). Constance Monnier, cheffe de projet au sein de l’Observatoire, chapeaute cette nouvelle version et contacte Herezie. Sans stratégie, RP et contenus créatifs, l’Observatoire risque de ne toucher qu’un nombre très restreint d’écoles, avertit l’agence : « Pour obtenir la même viralité de la première vidéo, il fallait réinjecter de l’émotion », estime alors Paul Marty. La « dream team » de l’époque est reconstruite avec de nouvelles personnes arrivées en cours de route. Finalement, la V2 n’est pas pensée pour être virale, mais pour devenir un vrai programme pédagogique par le jeu ciblant les enfants et écoliers.
Un kit est conçu comme un outil pour être « pluggé » à un vrai Monopoly, simplement en téléchargeant les règles du jeu. Des écoles sont contactées : les professeurs sont emballés, car la question des inégalités remonte régulièrement dans les salles de classe, notamment concernant les religions. Ces derniers n’ont pas de véritable support pour les expliquer et les rationaliser.
« Avec le jeu, en une heure de partie, ces sujets peuvent être abordés et susciter des discussions intéressantes avec les élèves sur la société », explique Paul Marty. Une première classe accepte, puis une deuxième, etc., jusqu’à ce que la Mairie de Paris s’y intéresse pour déployer le jeu dans Paris et en banlieue parisienne, et que la ministre de l’Égalité des chances, Élisabeth Moreno, apporte son soutien et accepte de promouvoir l’opération, se félicite encore le co-directeur de la création d’Herezie. Comme il le rappelle aussi, les médias et journalistes ont joué un rôle important pour rendre visible ce nouvel outil que ce soit dans les 20h de différentes chaînes TV ou pour exporter le projet à l’étranger, dont l’Italie, où le jeu a « cartonné ».
La V2 du Monopoly des inégalités lancée en janvier dernier est un outil pédagogique pensé pour les écoles afin de sensibiliser les enfants aux inégalités à travers le jeu.
La campagne
– Une vidéo de présentation du Monopoly des inégalités a été déployée : « Pour la produire, des sessions de jeux ont été organisées dans les écoles parisiennes. La vidéo consistait à faire de la pédagogie sur le jeu avec un call to action en toute fin pour commander le kit. »
Il existe deux kits, pour le grand public comme des parents qui voudraient jouer avec leurs enfants et une boîte à outils plus conséquente à destination des enseignants. L’ensemble des sommes récoltées sert au financement du projet.
– Un important plan RP : des journalistes ont été invités à assister à des sessions dans des écoles, des boîtes de jeux ont été envoyées avec le règlement. « Avant le lancement, pendant et après nous avons contacté toutes les régies de média pour que cela se propage dans temps concentré de 10 jours. Durant cette période, tous les stocks ont été écoulés », révèle Paul Marty.
Les règles du jeu seront mises à jour en fonction de l’évolution des statistiques et des inégalités. Par exemple, contrairement à la vidéo de 2017, l’écart salarial entre homme et femme tendait à diminuer. « Le jeu sert aussi de fil rouge et à constater s’il sert le propos, c’est-à-dire à réduire les inégalités ».
Quid des différences avec la version de 2017 ? « La différence est vraiment expérientielle, estime Paul Marty. On accorde nécessairement plus d’importance à une partie à laquelle on prend part. Les enfants comprennent beaucoup mieux les inégalités en jouant plutôt qu’en regardant une vidéo. D’autant que la première vidéo ne leur était pas destinée, mais s’adressait aux leaders d’opinion puis aux parents et au grand public. Avec cette expérience des inégalités par la gamification, les enfants peuvent en débattre et comprendre ceux qui les vivent. Contrairement à 2017, nous sommes sur de l’empathie et de la positivité. Le but n’est pas seulement de dénoncer les inégalités, mais aussi de donner des grilles de lecture pour les combattre, notamment avec des cartes positives : un coming out qui s’est bien passé, etc. ».
Les résultats
Pour l’Observatoire des Inégalités :
– Une communauté globale agrandie, donc plus de dons générés grâce à l’exposition ;
– Encore plus de légitimité pour démarcher des partenaires, participer à des conférences, etc. va légitimer leurs propos ;
– Sold out sur la 1ere vague du Monopoly des inégalités. Actuellement en réédition ;
– Un contact privilégié avec leur cible la plus compliquée à atteindre (via le livre par exemple), les jeunes. Cet outil leur permet de parler à une cible à laquelle ils n’avaient jamais parlé. « Ce sont les générations futures qui peuvent changer les choses. Si les collégiens et lycéens d’aujourd’hui grandissent avec un discours d’espoir et des clés pour réduire les inégalités, demain, ce sont eux qui pourront faire bouger les lignes », veut croire Paul Marty.
Pour l’agence :
– Une visibilité créative un peu hors catégorie. « Ce n’est pas un film, un print ou un spot radio. Cela ne coche pas beaucoup de cases sur le papier. Pourtant, la créativité, c’est aussi pouvoir aller dans les écoles et inscrire une ligne à un programme scolaire. C’est nouveau pour nous et excitant. »
– Beaucoup de retombées presse à l’international : États-Unis, Italie, Portugal ou Brésil. « Cela nous permet de nous engager sur une cause que l’on suit depuis 4 ans de nous investir dans la durée pour une cause plus intéressante que d’autres dans la mesure où l’on peut couvrir n’importe quel sujet. C’est créativement inspirant. Et c’est un bonheur de revoir Louis Maurin et Constance Monnier. »
« Aujourd’hui le Monopoly des inégalités ne s’arrête pas là, le projet a dépassé les frontières. Chaque jour qui passe, de nouvelles écoles appellent, de nouveaux dons se font et l’Observatoire embauche deux nouvelles personnes, chefs de projet, pour accompagner le déploiement du projet dans encore plus d’écoles et d’ateliers », se réjouit Paul Marty. Comme il le rappelle, le déploiement du jeu nécessite la présence d’un adulte pour expliquer son concept et ses règles, si possible d’un membre de l’Observatoire pour répondre à des questions précises sur des statistiques pointues. « L’opération n’en est qu’à ses débuts finalement. Hasbro est ravi de la portée de l’opération et il n’est pas exclu qu’ils s’investissent davantage dans la suite du projet. »
Comment le jeu voyage-t-il à l’étranger ? Il n’y a pas d’équivalent de l’Observatoire des inégalités partout dans le monde et les statistiques ne sont évidemment pas les mêmes d’un pays à l’autre. « Nous travaillons à un template qu’on pourrait fournir aux pays étrangers demandeurs. À voir ensuite si l’Observatoire des Inégalités veut suivre les choses à l’international ou donner la propriété intellectuelle de l’idée pour qu’il soit développé par x ou Y. Ce qui est certain, c’est qu’il ne sera jamais développé par une marque. Ce n’est pas un coup de com à vocation lucrative », précise bien Paul Marty.
Et demain ? « Avec l’Observatoire, Hasbro et toutes les parties prenantes, le Monopoly des inégalités peut véritablement devenir une ligne dans tous les programmes d’enseignements collège et lycée vs son aspect à la demande actuellement. On compte déjà des milliers d’ateliers mis en place, c’est le principal outil de communication de l’Observatoire aujourd’hui. »
Le case study
Les clés de succès
– Le sujet
C’est un sujet d’actualité, contextuel et qui évolue. On ne peut plus passer à côté aujourd’hui. Plus encore dans une période d’élections et un contexte politique important. « On ne vend pas un produit “classique” ».
– Le rôle des médias
La portée RP d’une campagne qui la fait entrer dans une autre dimension. « Cela fera plaisir à Nathalie Roland, notre RP : il faut absolument mettre les journalistes dans la boucle le plus tôt possible. Nous avons envoyé tout le propos de l’opération avant sa sortie en janvier, via une communication off fin novembre : les journalistes ont eu le temps d’anticiper la campagne, de tourner leur propre contenu et de s’organiser. L’opportunité de créer leur propre contenu a engendré un retour forcément plus qualitatif que si tout le monde avait reçu le même matériel. Cela a permis au jeu d’être sold out. »
– La pugnacité
« Si on avait pris ce sujet à la légère, cela n’aurait pas autant marché. C’est de l’investissement personnel, de l’envie… C’est typiquement le genre d’idée qui, mal exécutée, reste une idée cool, mais que personne n’a vu passer », concède Paul Marty.
C’est ce que l’agence martèle aux créatifs : « Quand on veut on peut ». L’idée d’avoir le soutien d’un.e ministre sur le projet est vite apparue, ce qui est très difficile à obtenir sauf à entrer dans un véritable parcours du combattant fait de nombreux échanges de mails. Cela nécessite du temps et de l’énergie personnels : « C’est grâce à cela que nous pu engager une personnalité que nous n’aurions jamais pu engager autrement, estime Paul Marty qui s’avoue ravi pour la team créa chargée du projet. Même si ce n’était pas leur idée à la base ils y ont mis énormément d’énergie, pour le rebranding, la DA de la moindre carte de jeu… C’est super que l’opération cartonne et que leur travail soit récompensé, puis que ce soit reconnu par leurs pères créatifs. Cela donne envie de faire une V3, une V4 et même une V5. »