Nouvelle interview "Le confiné libéré" avec Jonathann Gricourt, heaven.
La pandémie de Covid-19 et « Le Grand Confinement » imposent à chacun de rester chez soi, vidant au passage les entreprises du secteur de la communication. Si leur activité a été fortement bouleversée, les agences n’ont pas pour autant cessé d’œuvrer, organisant leur continuité grâce au télétravail et ses divers outils (Zoom, Teams, Hangouts et Slack pour ne citer qu’eux).
Si la question n’est désormais plus de savoir si une agence peut travailler à distance (notre première émission en direct, Les enjeux – la Réclame / live Covid-19, nous a fourni la réponse), nous avons souhaité donner la parole aux travailleurs confinés, qu’ils viennent d’agences, de médias ou d’annonceurs.
Pour cette nouvelle interview “Le confiné libéré”, nous tendons le micro au maillot jaune Jonathann Gricourt, directeur de clientèle chez heaven.
Comment travaillez-vous depuis le confinement ? Avez-vous une journée type ?
Jonathann Gricourt : Habituellement, j’ai la particularité de ne jamais mettre de réveil et me lever quand mon corps convient qu’il a eu sa dose de repos. Avec le Covid-19 je n’ai rien changé à cette habitude, si ce n’est que je vis beaucoup plus en phase avec le cycle du soleil !
Par conséquent, depuis le début du confinement, je suis généralement debout vers 6h30-7h (aïe). Je commence par un petit-déjeuner en lisant les news pendant que la lumière du jour commence à remplir mon appartement. J’enchaîne par un peu d’exercice physique, une douche, et c’est parti pour la journée de taff. Il est alors 8h30-9h environ.
J’évite autant que possible de caler des visios le matin. Je préfère profiter de cette période pour les tâches qui nécessitent de la concentration. Vers 12h30-13h je déjeune rapidement. Puis vient la petite sieste que je faisais habituellement à mon bureau ; là je profite de mon lit ! Je reprends vers 13h30-14h, quasiment non-stop jusque 18h-18h30…
Au-delà de cet horaire il m’est incapable de travailler plus : mon cerveau se débranche tout seul. La suite c’est sport, houmous, apéro-visio avec les potes, bouquin ou film. Vers 23h je file au lit… et on recommence.
L’activité inattendue qui fait désormais partie de votre quotidien de confiné ?
J.G. : Cuisiner ! Je suis la caricature même du célibataire citadin qui ne mange jamais chez lui. Si ces jours-ci vous voyez quelqu’un dans un supermarché bio hésiter longuement entre telle ou telle variété de pomme de terre, c’est moi.
J’évite les plats préparés, du coup tenter de se créer une alimentation variée du jour au lendemain est un sacré défi. Mais ce n’est pas désagréable ! Je deviens un pro de l’œuf dur (oui, on partait de là).
Ce qui vous manque le plus en n’allant plus dans le quartier Sentier / Montorgueil, où est située l’agence ?
J.G. : Habitant proche de l’agence, j’ai pour habitude de prendre mon petit-déjeuner en bas de chez moi, dans un café typiquement parisien. Allongé-tartines au comptoir, sudoku et discussions sur la pluie, le beau temps et l’actualité avec le patron et les autres clients. Tous les matins. Ça me manque terriblement cette vie de quartier, ce lien social ! Sans ça, Paris perd beaucoup de son charme…
Le film qui résumera le mieux votre confinement ?
J.G. : Euh… Very Bad Trip ?
Vos voisins confinés ont-ils un incroyable talent ?
J.G. : Je donne sur une petite cour qui résonne énormément et l’un de mes voisins a l’incroyable talent de passer ses coups de fil uniquement en haut-parleur, toujours à sa fenêtre, en caleçon… Heureusement, mon voisin du dessus est pianiste, vraiment talentueux pour le coup !
La pensée introspective que vous avez eue pendant cette période si particulière ?
J.G. : Oula, ahah ! On a une limite de signes ?
Pour beaucoup, j’imagine que ce qu’il nous arrive a permis de remettre en question certains aspects de nos modes de vie et notre rôle dans la société. Or, pour ma part, j’ai déjà eu ces questionnements il y a longtemps. Je travaille pour heaven depuis 2006 et en 2016 j’ai tout lâché pour ouvrir un bar à bières artisanales, tentant ainsi d’être plus en accord avec mes valeurs, si j’ose dire. J’ai revendu mon affaire l’an dernier et suis retourné dans la com. Un peu par facilité, en toute honnêteté !
Du coup, en ce moment je suis tiraillé entre plein de sensations : la chance de ne plus posséder une affaire dans la restauration – elle n’aurait certainement pas survécu au confinement – et d’avoir à nouveau un emploi relativement stable ; mais également ce sentiment qu’il y a des choses beaucoup plus essentielles que la communication et le marketing. Et enfin la résilience : accepter que l’on vit dans un monde complexe qui ne changera pas du jour au lendemain et qu’il faut mesurer sa chance sans négliger ses valeurs, ce que l’on a malheureusement tendance à faire lorsque l’on a en permanence la tête dans le guidon.
Votre astuce pour faire du sport dans un rayon de 1 km autour de chez soi ?
J.G. : J’ai très longtemps résisté à l’envie d’aller courir dans la rue, ce qui pour quelqu’un qui court un à deux marathons par an est assez difficile. Néanmoins, ayant la chance de posséder un home trainer, j’ai pu faire du vélo virtuellement pendant les cinq premières semaines…
Mais depuis dix jours, j’ai craqué, je sors courir un jour sur deux. Au début, je ne voulais pas par peur de prendre le risque de contaminer quelqu’un… Et puis je me suis dit : « Tu as le droit d’aller courir une heure par jour, fais-le, sinon tu vas péter un câble ». Je cours donc avec prudence, je m’écarte au maximum des autres et reste dans ce périmètre d’un kilomètre. J’apprends à redécouvrir les petites rues de mon quartier. Et tant pis si on me prend pour un de ces nouveaux joggers du dimanche, ahah !
La première chose que vous ferez le jour du déconfinement ?
J.G. : Ouvrir les yeux ! Blague à part, je n’envisage pas le déconfinement comme une rupture avec ce que l’on vit depuis bientôt deux mois. Je ne m’attends pas à une libération. Le jour J, je profiterai juste des nouvelles libertés que l’on nous accorde : passer du temps avec mes amis et me balader à vélo dans un rayon de 100km !
La meilleure initiative (citoyenne, associative, médiatique…) née lors du confinement selon vous ?
J.G. : J’ai beaucoup apprécié l’action #TellTheTruthBelgium d’Extinction Rebellion Belgique. C’est une vidéo qui – attention, spoiler ! – utilise la technologie deep fake pour faire énoncer à la première ministre Sophie Wilmès un discours responsable et réaliste sur la crise sanitaire.
Nous sommes submergés d’informations diverses, parfois contradictoires, voire erronées, or il est important d’avoir ce réflexe de questionner les sources, d’apprendre à trier le bon grain de l’ivraie. Cette campagne nous le rappelle bien (outre le message politique auquel j’adhère également).
Le masque sera-t-il l’accessoire de mode de 2020 ?
J.G. : Le manque de masques et toutes les polémiques associées en font inévitablement un symbole majeur de cette crise. Il a déjà été énormément instrumentalisé. L’ériger en accessoire de mode serait une terrible erreur à mon sens, car cela reviendrait à le banaliser dans notre quotidien, à se l’approprier, à se dire « Nous vivons désormais dans un monde où cet objet est devenu essentiel ». Or ce n’est pas quelque chose que nous souhaitons voir durablement dans nos vies ; il faut résister à l’envie d’en tirer profit.
Comment voyez-vous votre métier et votre secteur évoluer après cette crise sanitaire ?
J.G. : heaven est une agence digitale et par chance notre métier n’est pas fondamentalement impacté par ce qu’il se passe aujourd’hui. Je pense que ce sont surtout nos méthodes de travail qui vont évoluer, avec de plus en plus de télétravail, limitant les rencontres physiques au strict nécessaire. À long terme, cela rendra sûrement ce boulot moins sexy : la vie d’agence est un vecteur d’attractivité important du milieu de la com’.
Après, c’est un métier qui restera important à son économie, notre rôle étant d’accompagner les marques et les entreprises dans ce chamboulement qui nous arrive. Je ne me fais pas de souci, on risque d’avoir encore pas mal de travail ! J’espère juste que l’on pourra y semer encore plus de sens et de nos valeurs personnelles…
Une fois que nous serons débarrassés de ce virus, connaîtrons-nous une révolution écologique, une crise délétère ou un simple retour au train-train quotidien pour 66 millions de Français ?
J.G. : C’est la grande question que tout le monde se pose. Un peu de tout cela, je pense. La crise économique est inéluctable et beaucoup vont tenter de se rassurer en essayant de retrouver la vie d’avant, bien que je pense que la majeure partie d’entre nous s’attend ou du moins espère un changement de cap assez radical.
Le souci étant d’abord de s’accorder sur cette direction commune à prendre. Mais admettons que chacun souhaite s’engager véritablement dans une transition écologique et sociale : je pense que le premier jour où l’on sortira de chez soi sera décisif.
Nous serons tous au pied de notre porte, à s’observer timidement. On regardera notre voisin et si celui-ci fait un pas à gauche, nous serons tentés de le suivre aveuglément à gauche, par peur de faire le mauvais choix, d’être seul à suivre une autre voie, celle que l’on souhaite profondément. Or je pense que c’est le moment de ne pas regarder les autres et écouter son for intérieur.
Une chose est sûre : nous vivons une situation très complexe et il va être difficile et périlleux de repartir à l’unisson.