L'heure du Pogbilan.
Vous en avez marre de la Coupe du Monde 2018 et du sacre des Bleus ? Allez, c’est la dernière chose que vous devrez lire sur le sujet !
Dressons le bilan marketing de la Coupe du Monde en tentant d’identifier LA marque qui a su marquer des points lors de l’événement sportif le plus suivi au monde.
Les chiffres de la Coupe du Monde
Kantar Media a dévoilé les principaux éléments publicitaires de la Coupe du Monde en France. 128,3 millions d’euros bruts ont été investis sur TF1 et beIN Sports, par 195 annonceurs différents, diffusant ainsi 3709 spots. Par rapport à la Coupe du Monde 2014, ces montants représentent des hausses respectives de +46%, +17% et +170% !
Parmi ces investissements, Apple est la marque qui a le plus investi avec 5,5 millions d’euros brut, derrière FDJ et SFR. Orange s’est offert le spot le plus coûteux, en pleine mi-temps de la finale France-Croatie, devant Intermarché pendant la demi-finale France-Belgique et Adidas en introduction de la finale.
Chaque Français a potentiellement été touché 11 fois par jour en moyenne par le sujet Coupe du Monde. Visibrain confirme un écho médiatique conséquent, avec cette année « 57 027 390 tweets publiés », en léger repli par rapport à la Coupe du Monde de 2014 qui avait vu « 57 987 255 tweets publiés ». Malgré cette déconvenue qui peut avoir de multiples explications (citons notamment la chute prématurée de grandes nations), « c’est 2 fois plus de tweets que pour les Jeux Olympiques de Rio en 2016, ou encore 37 fois plus de messages publiés que pour Roland Garros. »
Face à une telle furia médiatique, il reste à tenter d’identifier les marques qui ont su sortir du lot.
Le match des équipementiers
L’affrontement entre Adidas et Nike est un grand classique de la Coupe du Monde. Adidas habillait cette année 12 nations avec ses maillots à trois bandes. Nike se contentait de 10 équipes nationales. Les 10 équipes restantes arboraient quant à elles des maillots Puma, New Balance, Hummel, Errea, Uhlsport ou encore Umbro.
Comme l’explique Achraf El Habchi, directeur général de l’agence Yeess (ex Sportlab), le duel Nike-Adidas a surpris par « l’absence de grands films. Ces marques se sont recentrées sur le brand content. » Il s’agit pour lui « d’une tendance de fond, où la stratégie est désormais de générer des milliers de prises de contact avec des contenus différents » plutôt que de tout miser sur un unique film quasi hollywoodien comme ce fut le cas lors des éditions précédentes. Tant pis pour notre plaisir.
Hormis le brand content, ces deux équipementiers ont réussi leur communication locale en France en misant sur le 20e anniversaire de la première Coupe du Monde remportée par la France. Nike s’est amusé à voir en 1998 uniquement la date de naissance de Kylian Mbappé. « Adidas de son côté a une approche sociétale, en faisant inaugurer un terrain à Saint-Denis par Zinédine Zidane » comme le raconte Achraf El Habchi. Quid du film Adidas d’une minute juste avant le début de la finale, mettant en scène Paul Pogba et représentant le 3e spot le plus cher de la CDM ? « Il s’agit avant tout d’un melting pot de plusieurs campagnes d’Adidas » selon le DG de Yeess, confirmant ainsi que l’époque n’est plus aux grandes productions.
En termes de visibilité sur le gazon, Nike s’est offert une finale 100% swoosh, ce qui représente « une première dans l’histoire de la Coupe du Monde » comme l’a confié à l’AFP Elliott J. Hill, président consumer & marketplace de Nike. Le géant de Portland a même fourni des maillots aux 3 des 4 équipes qui ont réussi à se qualifier pour les demi-finales comme le souligne Sylvain Ventre, directeur associé chez Willie Beamen. Ce dernier voit en Nike le grand vainqueur marketing de la Coupe du Monde.
Stéphane Guerry, président de Havas Sports & Entertainment, voit également Nike au sommet de la compétition. Car en plus de la finale et du trophée remporté, « Nike est l’équipementier du meilleur jeune Mbappé, du meilleur gardien Courtois et du meilleur joueur Modric. » Enfin, « la marque a parfaitement réussi ses coups médiatiques : Jay Z & Beyoncé ont arboré le maillot à 2 étoiles de l’Équipe de France le soir même, et les médias l’avaient également dès le lendemain, notamment Jean-Pierre Pernaut dans le JT de TF1. » Rappelons que ce maillot actualisé avec cette 2e étoile pour autant de Coupes du Monde remportées pour l’Équipe de France est pour le moment introuvable dans le commerce, sa production venant tout juste de démarrer.
La compétition entre marques non sportives
L’essoufflement des réactions à l’actualité – le newsjacking – a été visible lors de la victoire des Bleus en finale. Achraf El Habchi s’est amusé à comparer les prises de paroles des sponsors des Bleus. « Deux étoiles sur le maillot, des étoiles plein les yeux » s’extasie Crédit Agricole. « 2 étoiles plein les yeux » pour le PMU. Même proximité lexicale pour FDJ Parions Sport et Volkswagen qui ont eu la même idée : renommer la place de l’Étoile, en place des deux étoiles. Rebondir à l’actualité peut être porteur, à condition de faire preuve de singularité. Pour cela, n’aurait-il pas mieux fallu que chaque marque précédemment citée y inclue davantage son territoire de marque ?
C’est par exemple ce qu’a réussi à faire la SNCF / Thalys avec un tweet bien senti à destination de Thierry Henry en amont du match France-Belgique :
.@ThierryHenry, si vous souhaitez revenir en France demain, plusieurs @thalys_fr partent de la gare de Bruxelles Midi. #FRABEL #FiersdetreBleus pic.twitter.com/jow9kACDrV
— SNCF (@SNCF) July 10, 2018
Citons également la RATP – qui bien que non partenaire de la FIFA ou de l’Équipe de France – a réussi un coup médiatique en renommant sans prévenir certaines de ses stations.
Coca-Cola a de son côté, non pas fait preuve de créativité, mais d’une très belle réactivité en produisant en moins de 24h une affiche publicitaire félicitant les Bleus, pour la placer sur leur parcours sur les Champs-Élysées.
Donc @cocacolafr a eu le temps de sélectionner la photo, envoyer la maquette, imprimer et afficher sur les Decaux des Champs-Elysées en moins de 24 h. Qu’on vienne plus me dire qu’on est hors délai hein. pic.twitter.com/z1llIoULDi
— Sebastien de Cagny ⭐️⭐️ (@SebdeCagny) July 16, 2018
La campagne a également été diffusée sur « 2400 faces en affichage, dans l’Équipe, Le Parisien, So Foot, sur deux bâches au Stade de France » comme l’explique Stéphane Guerry (Havas Sports & Entertainment). Ce coup d’éclat venant conclure une stratégie de longue haleine pour le géant du soda. « Un Trophy Tour a été démarré en septembre 2017 permettant à plus de 50 pays sur les 6 continents d’accueillir le mythique trophée de la Coupe du Monde. Coca-Cola a su également anticiper et réagir au parcours des Bleus, notamment grâce à l’organisation de 3 événements RP « Only Coke can do » dans Paris pour la diffusion des matchs de l’Équipe de France avec plus de 2000 influenceurs et journalistes, des partenariats avec les mairies pour la création de fan zone : Paris (demi-finale), Marseille et Lyon (finale) rassemblant plus de 90 000 personnes ».
Stéphane Guerry a aussi remarqué la très belle présence de Louis Vuitton en finale avec la malle à monogramme transportant la Coupe du Monde, remise par Philipp Lahm (le capitaine de l’équipe d’Allemagne couronnée en 2014) et Natalia Vodianova. Un « Winner’s Trophy Trunk » siglé Louis Vuitton vu en direct par 1 milliard de téléspectateurs dans le monde.
Enfin, après d’innombrables newsjackings dont l’inspiration laisse parfois à désirer – non vous ne verrez pas ici les tweets de Sixt – saluons le bel effort de Singer, qui avait toute la légitimité pour rebondir.
Dans un tout autre registre, Winamax a dressé son propre bilan de la Coupe du Monde. Le site de paris en ligne se félicite d’avoir recruté plus de 180 000 nouveaux joueurs. La plateforme a enregistré plus de 5 millions de paris liés à la Coupe du Monde, mettant en jeu 100 millions d’euros. Ce qui représente un pari moyen de 20€. Winamax en profite pour féliciter au passage « Jérémy, ouvrier de production alsacien avec 259 000 € pour 80€ de mise », qui à n’en pas douter, a vécu une Coupe du Monde mémorable.
Les Bleus, une marque renouvelée
Avec le film « Fiers d’être bleus » (agence Willie Beamen) lancé en mai, la FFF et les Bleus ont ouvert la porte d’une épopée construite grâce au soutien de leurs supporters.
Au delà de ses performances sportives, ce qui surprend dans l’équipe française qui est repartie de Russie avec une nouvelle étoile est sa capacité à entretenir son capital sympathie. Communication globalement positive des joueurs en conférence de presse, vidéos et photos des coulisses publiées quotidiennement, avec des « community managers » salués par la profession tels que Paul Pogba, Presnel Kimpembe (et son enceinte bluetooth Beats Pill XL à la playlist savoureuse) ou encore Benjamin Mendy et son art de la punchline sur Twitter. Sans surprise, l’Equipe de France a été la plus tweetée selon Visibrain, avec 3 743 971 citations sur le réseau social de l’oiseau bleu.
Cet équilibre entre discours officiel maîtrisé et « employee advocacy » sans filtre est une façon très actuelle de communiquer, totalement en phase avec les nouvelles générations adeptes des réseaux sociaux… dont les 23 joueurs – les plus jeunes de la compétition – sont les dignes représentants. Knysna et l’affaire de la sextape n’ont jamais paru aussi loin dans les esprits.
Les marques médias se rassurent
En tant que principal diffuseur, TF1 a enregistré une audience record de 19,3 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie, soit 82,2% de parts d’audience. Le record de 2006 avec 22,2 millions de téléspectateurs est loin, mais l’effort est désormais davantage à la fragmentation. D’autant que l’audience mesurée est celle à domicile, ne tenant pas compte des diffusions dans les lieux publics, fan zones, voire certains canaux digitaux. Tout cumulé l’audience réelle est estimée à 36,478 millions de personnes selon Omnicom Media Group.
Une telle audience va-t-elle permettre à la 1ère chaine française de rentrer dans ses frais ? Avec un coût estimé à 75 millions d’euros, la rentabilité n’est pas assez assurée pour TF1. La somme de 60 millions d’euros de recettes nettes est évoquée, soit un delta du simple au double avec le montant estimé par Kantar Media dans l’infographie ci-haut. La différence s’expliquant probablement avec la part de beIN Sports ainsi que l’éternelle dépréciation entre brut et net. Malgré le parcours idyllique des Bleus, le fait que TF1 avance à perte n’a rien de surprenant : la Coupe du Monde semble être avant tout un investissement en image pour la chaîne, lui permettant de conserver ou de reprendre contact avec une audience plus diversifiée.
De son côté L’Équipe, l’unique quotidien sportif national, a vu son édition du 16 juillet tirée à 1,5 million d’exemplaires. Avec un gain de 19 000 abonnés pour l’édition numérique, soit un gain de +12% (153 000 au total).
And the winner is ?
Pour Sylvain Ventre (Willie Beamen), Nike est « sans hésiter » le grand vainqueur de ce tournoi mondial. « À travers le parcours de l’Équipe de France, l’attachement de tous les Français aux joueurs, l’engouement transgénérationnel autour de cet événement historique, les records de vente de maillots vont être largement dépassés. De plus, Kylian Mbappé, 19 ans, ambassadeur et leader de cette nouvelle génération « connectée », est un parfait atout pour capitaliser sur cette victoire à long terme. »
Achraf El Habchi (Yeess), voit une tout autre marque remporter la Coupe du Monde : la Russie. « Le pays est sorti des JO de Sotchi chahuté. Puis vinrent les problèmes de dopage d’État ». Sans oublier les luttes géopolitiques actuelles, avec un Poutine perçu comme un agitateur malveillant. « Avec des stades pleins à craquer, une compétition sans couac, une sécurité maîtrisée, et le parcours inattendu de la Sbornaïa, la Russie a su tirer son épingle du jeu. C’est une complète réussite pour la marque Russie ».