“Mi-beauf, mi-intello”, les sources d’inspiration parfaites.
Mélanie Pennec : Alors pardon, mais question technique. Si Paris est sous deux mètres de neige, on a encore Internet ? Et si la vraie question, c’est : « Comment on fait DC en visio ? » Ma réponse est que ça me rappelle le confinement et que c’était vraiment pas évident. Ci-dessous mon souvenir le plus créatif d’un call covid.

Nous venons d’évoquer le collectif. Passons à la créativité personnelle. Chère Mélanie, comment vos idées vous viennent-elles ? Rien que du spontané, du chaos, du bazar… ou avez-vous une méthode qui a fait ses preuves (et que vous envisagez de breveter) ?
M.P. : Alors en quinze ans, j’ai eu plein de façons différentes de chercher des idées.
Phase 1 : Contrainte et joute verbale.
J’ai commencé la conception en 2010 avec Jean Weessa. On était tous les deux assistants chez Publicis Conseil, et tous les dimanches, lundis, mardis, mercredis soirs, on s’était fixé comme mission de se constituer un book pour un jour passer en team et devenir riches. Un passage à la cantine Publicis, et puis des soirées entières passées l’un en face de l’autre à chercher beaucoup, à s’engueuler un peu, à trouver relativement peu.
Ça a fini par marcher, on a continué à passer nos soirées l’un en face de l’autre chez V, puis chez DDB. J’ai adoré travaillé avec Jean, parce qu’on était très différents, et qu’on a toujours eu des inspirations qui l’étaient. Spontanément, lui partait souvent d’innovations technos parfois imbitables, et moi de références parfois trop chiantes. Et on affirmait tous les deux trop fort que SI C’ÉTAIT SUPER COMME IDÉE. Aussi, on a fini par se fixer une règle simple : si les deux aiment, on présente à notre DC. Sinon, non.
Autant dire qu’on a beaucoup, beaucoup, beaucoup débattu.

Phase 2 : Solitude et logorrhée.
À un moment de ma vie, je voulais écrire des films. Un été, je suis donc partie seule avec des livres aux titres pas du tout sur-prometteurs genre Écrire un long-métrage qui cartonne en 24 heures. Ça n’a pas du tout marché pour écrire des films.
En revanche, j’y avais découvert un exercice assez intéressant. Quelque chose qui disait genre : « si vous êtes bloqué devant un doc Word, repérez un objet dans la pièce dans laquelle vous êtes, et commencez à écrire dessus sans réfléchir. » Ce qui est censé se passer, c’est que, fier d’avoir gratté une demi-page sur un halogène en moins de deux minutes, votre cerveau se débloque. Et donc pendant quelques années, j’ai fait de la conception ainsi : en écriture automatique. J’ai plein de docs un peu honteux comme celui-ci dessous, fait de dizaines d’idées plus nulles les unes que les autres écrites sans regarder mon clavier. Bilan : c’est très rigolo à relire.

Phase 3 : Réveil et sagesse.
En vieillissant, j’ai l’impression qu’on acquiert des automatismes, et qu’on finit toujours par trouver. Attention pas LE truc génial hein, mais l’idée qui va faire le job et permettre de faire la blague en réunion. Aussi, j’ai une seule méthode qui a fait ses preuves : quand je trouve pas, je me force à aller me coucher. Et le lendemain matin, très tôt, normalement, je trouve. Là, il est 7h11 par exemple, j’espère ne pas me porter la guigne.
C’est jeudi, et la direction a mis en place un petit challenge pour réveiller votre art. Vous ne pouvez utiliser qu’un seul “outil” au bureau : l’ordinateur, le téléphone ou le carnet / crayon. Choose your weapon!
M.P. : Je vais pas faire semblant de prendre du papier, je choisis mon ordinateur direct. Et comme le challenge m’ennuie, je fais semblant de travailler.
Quelle a été la dernière chose qui vous a inspirée ?
M.P. : Le mois dernier, je suis allée voir un film, Mika ex machina.

C’est un documentaire écrit, réalisé et monté par Mika Tard. L’histoire (vraie) : chaque jour, elle retrouve sur sa moto un ruban rouge. Puis des pièces. Puis des cadenas. Le matin où elle manque d’avoir un accident à cause d’un de ces derniers, elle sort son iPhone et démarre une enquête pour trouver le coupable. C’est très joyeux et frais d’abord. Et surtout oui, je suis tellement admirative qu’elle ait fait un film de son histoire.
Et globalement, vraiment admirative des gens qui font des trucs. En vieillissant, je suis de plus en plus flemmarde et monotâche moi, c’est dommage.
Musées, comptes YouTube, podcasts, fenêtre sur cour… Quelles sont vos inspirations quotidiennes ? C’est le moment d’avouer, TOUT.
M.P. : Je me la raconte un peu parce que je ne vais globalement jamais voir des documentaires au cinéma hein. En fait, j’ai vraiment des sources d’inspiration mi-beauf, mi-intello.
Le côté noble :
J’ai grandi avec un père journaliste. Chez nous, y avait une radio différente dans chaque pièce pour s’auto-construire une revue de presse tous les matins en passant de la salle de bain à la cuisine. J’ai gardé ce truc : je passe ma vie à écouter la radio, moitié France Info, moitié FIP. Mon podcast préféré c’est Les Pieds sur Terre, avant même que ça soit devenu un podcast. Je refuse de télécharger TikTok pour le principe. Je suis abonnée au Monde et à des newsletters de sites de design anglais.


Le côté moins glorieux :
Quand je charrette, c’est toujours avec Chante France. J’ai des dizaines de livres de design graphique, mais Pinterest ça va plus vite. Je vais de moins en moins au musée, sauf à l’étranger.
J’ai un abonnement YouTube Premium que je rentabilise à fond. J’adore les docs un peu nuls, je peux passer des soirées à les enchainer. Je peux me perdre dans des Reels Instagram pendant des heures, c’est-à-dire précisément comme TikTok, mais en retard. J’adore les articles putaclics que me suggère Google.

L’artiste méga méga connu avec qui vous aimeriez travailler ?
M.P. : Chilly Gonzales. Parce que ça doit être fou de rencontrer un génie.
Cette photo prise avec votre smartphone qui mériterait d’être imprimée sur du papier Hahnemühle Photo Rag 308g ?
M.P. : Elle est pas mal ma photo de Jean Weessa, non ?
La publicité que vous êtes jalouse de ne pas avoir imaginée ?
M.P. : Globalement, n’importe quel grand prix Titanium, je prends. Ou bien n’importe quelle pub iconique des années 90. Sironimo en preums. Mi-prolo, mi-intello, je vous dis.
Quel conseil donneriez-vous à une créative / un créatif qui débute aujourd’hui ?
M.P. : À la fin, on trouve toujours.
Point de croix, collection de dés à coudre, voix de baryton ou le curling sur gazon : avez-vous un talent caché ou un passe-temps honteux ?
M.P. : Comme tout le monde, j’étais passionnée de Faites entrer l’accusé. Mais comme depuis que Christophe Hondelatte est parti, c’est plus pareil, j’ai dévié sur les crashs aériens. Je les connais tous par cœur, et c’est très malin parce que depuis, j’ai peur dès que je prends l’avion.

Quel a été votre premier prompt ? Et le dernier ?
M.P. :
Le premier :
Est-ce que Xavier Dupont de Ligonnès est encore vivant ?
La réponse était hyper décevante.
Le dernier :
Pourquoi les vêtements hommes et femmes n’ont pas des zip du même côté ?
Réponse pas très intéressante.