Le Creaverse de Thierry Albert : « Je suis fan du chaos, une fois le brief digéré, je fais TOUT sauf bosser »

Par Élodie C. le 08/04/2025

Temps de lecture : 7 min

Car le brief est caché dans son inconscient.

Bienvenue dans le Creaverse, la rubrique qui explore l’univers créatif des esprits derrière les – meilleures – campagnes publicitaires, mais pas que. À chaque épisode, nous plongeons dans les sources d’inspiration, les méthodes et les idées parfois insolites qui alimentent les créatifs et créatives d’un secteur en perpétuelle évolution.

Direction Amsterdam avec un autre explorateur de la création : Thierry Albert. Passé par les meilleures agences de Londres et Amsterdam (Wieden+Kennedy, VCCP, TBWA, Mother, DDB, BDDP&Fils…) ce créatif globe-trotteur a fondé Albert Albert, un studio à la frontière poreuse entre pub, prod et fiction. Il y cultive un art du chaos joyeux, du vagabondage inspiré et des idées simples, mais puissantes. Dans ce nouvel épisode de Creaverse, il est question de joggeur illuminé, de chaton pianiste, de poulet divin, et de la beauté d’un brief digéré, mais mis de côté.

C’est un matin londonien typique, un smog s’abat sur la ville. Votre thé est froid, et vous êtes bloqué sur une idée pour une campagne destinée à une marque qui n’ose pas sortir des sentiers battus. L’inspiration vous échappe, et le temps presse. Qu’est-ce qui vous aide à débloquer votre créativité dans ce moment de flottement ? 

Thierry Albert : Comme j’habite à Amsterdam, je laisserai l’angoisse de la page blanche à Londres, et je sauterai sur mon backfiets, un vélo cargo bien pratique pour transporter les kids ici, et j’irais faire un tour pour m’aérer la tête. Les idées viennent toujours. C’est assez étonnant. Par exemple, je me souviens de croiser un jogger hurlant « Merci !!! » à tout va, alors même qu’on était justement briefé par les JO Paris 2024 pour trouver une idée pour remercier leurs partenaires, c’est pas fou ?  

Votre approche créative en un mot ou une phrase ?
 

T.A. : Wandering. C’est un mot anglais que j’aime beaucoup et qui dit “laisser court à son imagination, la laisser vagabonder sans but précis.” Il y a un petit côté magique et merveilleux qui marche pas mal avec la créa qui est quelque chose d’assez incroyable, d’assez mystérieux n’en déplaise à nos amis planneurs qui rêvent de la rationaliser alors que le monde n’a jamais eu autant besoin de surprise et d’intuition. À nous créas de faire des connexions jamais vues. Une fois, il y a un mec qui urine en faisant le poirier juste à côté de moi, alors que je dois trouver une annonce pour le supplément sport du journal 20 minutes… Encore une fois, juste parfait et surprenant pour le brief ! Le planneur ne m’a jamais cru. 

Vous avez travaillé dans plusieurs pays et contextes culturels différents. Comment cela influence-t-il votre manière de penser la publicité ?


T.A. : Les Anglais m’ont appris de ne pas avoir peur d’une idée simple. Les Américains m’ont appris à ne douter de rien. Les Hollandais à être super direct. Surtout quand on parle sous. Et les Français m’ont appris à faire ultra-compliqué, du coup grâce aux Anglais, je sais simplifier. C’est pratique. 

Pour la petite histoire, je me souviens de bosser sur le brief Volkswagen Golf chez DDB London quand on est arrivé en Angleterre, mon partner Damien et moi, et voir nos potes Sam et Shish sortir Night Drive. Je me rappelle être super vénère, je ne comprenais pas comment cela pouvait être une idée, juste de conduire la nuit.  

Alors que nous, nous avions des concepts super malins, ultra-élaborés. Et puis, j’ai vu le film de Noam Murro, et ça m’a scié. J’ai compris la force d’une idée simple, parfaitement exécutée. Et qu’une idée pouvait être autre chose qu’une mécanique prise de tête.  

Vous avez souvent prôné l’importance du chaos et de la spontanéité dans le processus créatif. Mais y a-t-il une méthode ou un rituel auquel vous revenez toujours ?
 

T.A. : Effectivement, je suis assez fan du chaos. C’est quelque chose que Dan Wieden prônait parce que le chaos challenge. Il vous sort de votre confort zone et crée la surprise. Perso, une fois le brief bien digéré, je fais autre chose, je vais parler à des potes ou des collègues, je fais TOUT sauf bosser. Mais je sais que le brief est caché dans mon inconscient, et qu’il y a toujours une idée canon qui sort spontanément à un moment ou à un autre. Il faut juste rester calme et être patient. C’est assez étonnant. Comme quand le chaton de mon voisin se met à jouer du piano dans l’appart en face, Damien, moi et Dougal Wilson en avons fait un film Coke un peu dingue, chez Mother London.  

Une publicité, une campagne ou un film dont l’audace vous a marqué récemment ?
 

T.A. : Le Believe in Chicken de Mother pour KFC. Une idée ultra simple (le poulet comme objet de culte) mais parfaitement réalisée, jusque dans le Track qui est killer, et qui commence à sentir bon la saga de l’année (voire de la décennie).

Si vous pouviez poser une seule question à un créatif ou une créative, vivante  ou disparue, quelle serait-elle ? 

T.A. : Justement, je demanderai au DC de chez Mother sur KFC (Martin Rose) comment il a fait pour vendre cette merveille à un client fast food en 2025. Chapeau !

Quelle tendance créative actuelle vous fascine ou vous agace ?


T.A. : Sur Linkedin, je pourrais tuer les experts en création qui analysent les pubs mythiques après coup sans avoir jamais fait une pub correcte dans leur vie. C’est vraiment le royaume des imposteurs et de bullies. Poster une pub classique ne fait pas de vous un bon créa ou un expert en marketing.  

L’intelligence artificielle : un levier ou une menace pour la créativité ?


T.A. : Rien de mieux que MidJourney pour faire la belle maquette d’une idée que ChatGPT n’aurait jamais pu avoir. Par exemple, nous nous en sommes servis pour le KV de Radical, la série que nous sommes en train de développer avec Thomas VDB.  

Si vous pouviez retravailler une de vos créations, laquelle choisiriez-vous et pourquoi ?
 

T.A. : Il y a un petit film Butins que j’ai fait chez Mother et qui était peut-être un poil trop mélancolique. J’adorerai le refaire pour en faire un objet beaucoup plus joyeux parce que l’idée était top. Je me souviens de tous les commentaires quand il passait à la télé aux UK, les gens demandaient “Is anyone else strangely sad when they watch the latest Butlins ad?”. J’adorais la signat “Happy Days”. Et le dino qu’on avait fait. On avait réorchestré Dust in the wind avec un de mes potes chanteur cap verdien à New York, c’était incroyable. J’en ai fait un petit documentaire, qui est aussi plein de mélancolie. 

La publicité ou la stratégie que vous auriez rêvée imaginer ?

T.A. : Je suis un fan éternel du Levi’s Odyssey de BBH London. À tel point que j’ai appelé le film Heineken que j’ai préféré faire chez Wieden+Kennedy Amsterdam, Odyssey. Un petit tribute subtil.  

Point de croix, collection de dés à coudre, voix de baryton ou de soprano : avez-vous un talent caché ou passe-temps honteux ? 

T.A. : Je fais des bêtes de petits films sur Instagram avec mon fils Jules et ma fille Louison. J’aime bien leur montrer qu’on peut faire des histoires avec presque rien.  

La question que vous détestez le plus que l’on vous pose ? 

T.A. : C’est quoi en fait Albert Albert ? Une agence de pub, une boite de prod, un studio de créa ? Le monde bouge tellement vite qu’aujourd’hui, on peut tout faire, conception, écriture, réalisation et production. Pour des clients en direct et des agences. Et kiffer grave.

Aujourd’hui, chez Albert Albert, on file des coups de main à des agences en France, des agences aux UK, on bosse en direct pour des clients comme les JO Paris  2024, ou La Vie au UK, on développe une série avec Thomas VDB et So Film, on produit un court métrage, et oui, on réalise des pubs quand les scripts nous vont bien. Comme cette pub Meta faite sur 3 écrans d’iPhone pour BETC et nos potes Jeremy, Baptiste, Nico et Olivier et qui était un bonheur à faire. 

Le conseil que vous donneriez au jeune Thierry Albert qui débuterait dans la création publicitaire en 2025 ? 

T.A. : Files dans les meilleures agences aux UK ou aux US, tu vas apprendre tellement de choses. À commencer par parler et écrire en anglais.  

Et fais des clips, c’est canon pour expérimenter. Comme celui que j’ai fait pour « Tense » de Thom Draft par exemple, entièrement fait par le cast avec les app.  Un travail de fou qui nous a valu pas mal de prix. 

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