Un algorithme pour les sauver tous ?
Lifestyle, mode, voyage, sport, beauté, bien-être, food, etc. pas un domaine qui n’ait son influenceur, pas une marque qui n’y ait recours pour asseoir sa stratégie en ligne. Un business tel qu’il crée autant de richesses qu’il suscite de nouvelles vocations (agent d’influenceurs notamment, nous y reviendrons). En 2017, les marketers du monde entier ont dépensé 570 millions de dollars en marketing d’influence (eMarketers). L’industrie du marketing d’influence sur les réseaux sociaux représentera même plus de 10 milliards de dollars d’ici à 2020. Pourtant, d’aucuns prédisaient déjà leur nécessaire remise en cause, si ce n’est leur mort prochaine, pour lutter contre les dérives du secteur : de la publicité déguisée en passant par la promotion de produits contrefaits (l’affaire EmmaCakeCup et Vlad Oltean en 2018 par exemple) ou les fausses audiences.
Ce secteur en pleine explosion se professionnalise en même temps qu’il s’autorégule, la faute à une législation encore floue et non dédiée à ce nouveau marché. Une étude de la Johns Hopkins Carey Business School basée sur un modèle mathématique (disponible ici dans son intégralité) vient toutefois tempérer toute vélléité de réglementation. En effet, celle-ci produirait les effets contraires à ceux recherchés : réduction de la concurrence entre les influenceurs, augmentation du nombre de contenus sponsorisés et chute de l’engagement de l’audience. Un deal perdant-perdant pour l’ensemble des acteurs, followers, influenceurs et spécialistes du marketing.
Pour leur étude, Itay Fainmesser, économiste à l’école John Hopkins Carey Business School, et Andrea Galeotti, professeur à la London Business School, partent de ce constat : pour se créer une communauté fidèle sur les réseaux sociaux, les influenceurs produisent du contenu attrayant et fournissent des recommandations fiables dans leur domaine de prédilection. À mesure que l’audience grossit et que le contenu reste pertinent, les spécialistes du marketing entrent en scène et proposent à ces influenceurs de les rémunérer pour promouvoir leurs produits auprès de leur audience. Jusqu’à récemment celle-ci ne pouvait pas distinguer un contenu non rémunéré d’une publication sponsorisée suscitant parfois des déficits de confiance si le produit promu se révélait décevant par la suite.
Nos deux chercheurs ont créé un modèle mathématique sur les interactions et décisions complexes des influenceurs, followers et spécialistes du marketing sur les médias sociaux selon différents critères. D’après eux, l’équilibre nécessaire entre contenus organiques et contenus sponsorisés pour préserver leur audience a créé une (saine) concurrence entre influenceurs et de meilleures recommandations.
“Les influenceurs devaient trouver le juste équilibre entre contenu payant et contenu organique, afin de pouvoir être payés sans perdre leurs abonnés au profit d’influenceurs concurrents”, explique Fainmesser, qui étudie l’impact des réseaux sociaux sur les activités et les règles du marché. “Une telle concurrence entre les influenceurs a augmenté la qualité de leurs recommandations.”
Toutefois, de nombreuses polémiques ont incité les autorités de régulation aussi bien américaines qu’européennes ou françaises à s’intéresser à ce nouveau marché pour en contenir les dérives et imposer plus de transparence. Dès 2016, les influenceurs de tous bords (YouTube et Instagram) ont été sommés de mettre un peu plus de transparence dans leur business en identifiant clairement leurs contenus sponsorisés, avec un hashtag #Ad #sponsored notamment. “En avril 2017, la FTC a envoyé une lettre de mise en garde à plus de 90 influenceurs qui n’avaient pas clairement mentionné le caractère publicitaire de leur contenu”, rappelle ainsi Les Echos. Et la même année l’ARPP avait publié ses recommandations en matière de communication publicitaire digitale à destinations des marques et influenceurs. Depuis ces interventions, vous avez certainement dû voir fleurir les posts agrémentés de cette phrase sans ambiguïté : “Partenariat rémunéré avec…”
Pour Fainmesser et Galeotti, si cette démarche de transparence a plutôt bien fonctionné en télé et radio où la plupart des recommandations sont rémunérées, elle n’a pas produit l’effet escompté sur les réseaux sociaux. En effet, en séparant le bon grain organique de l’ivraie sponsorisée, le consommateur a le choix d’ignorer ces dernières, suscitant une baisse de l’engagement pour les contenus des influenceurs payés par des marques, une rémunération tirée vers le bas, plus de contenus sponsorisés pour contrebalancer cette perte financière et donc moins de concurrence saine entre influenceurs puisque leurs recommandations sont moins pertinentes et attractives.
Nos deux chercheurs relèvent ainsi que cette réglementation nuit autant aux influenceurs, aux followers qu’aux marketers. Pour Fainmesser, “La solution ne consiste pas à réglementer les influenceurs ou les spécialistes du marketing, mais à améliorer la technologie de recherche afin de mieux faire correspondre les followers aux influenceurs, qu’ils soient sponsorisés ou non. »
Avec de meilleurs algorithmes de recherche et de recommandation sur les plateformes sociales, les followers trouveraient plus facilement influenceurs à leur pied. Relançant du même coup la concurrence entre influenceurs : “les consommateurs bénéficieraient de recommandations de qualité supérieure, les spécialistes du marketing d’un niveau d’engagement supérieur et les influenceurs de frais plus élevés pour le contenu payant”.
Pour le professeur Galeotti, si les régulateurs veulent protéger les consommateurs et améliorer les recommandations sur ces plateformes sociales, ils doivent réfléchir à des politiques favorisant l’engagement en ligne et la concurrence entre micro-influenceurs. Cette approche mathématique du marché suscite tout de même quelques questions d’éthiques vis-à-vis de la potentielle non transparence publicitaire des influenceurs, d’autant plus si celle-ci est encouragée au nom de l’efficacité.
Défi supplémentaire : à l’instar d’Instagram, les plateformes sociales sur lesquelles s’épanouissent les influenceurs vendent également des espaces publicitaires pour les annonceurs et spécialistes du marketing, entrant du même coup en concurrence avec eux.
“D’une part, Instagram est en concurrence avec les influenceurs que la plateforme héberge pour attirer les revenus publicitaires des annonceurs, souligne l’étude. D’autre part, pour les spécialistes du marketing l’attrait d’Instagram est lié à la présence d’influenceurs et de followers/consommateurs, tandis que l’attrait des influenceurs pour les spécialistes du marketing dépend de la qualité de la plateforme Instagram.”