Qui aime bien, châtie bien.
Comment trouver sa voix sur les réseaux sociaux quand on est une marque, dont l’un des modèles, iconique, représente une partie de l’histoire de l’industrie automobile ? Si l’humour a depuis longtemps fait ses preuves en publicité, notamment sur les réseaux sociaux où l’on ne présente plus les fameux CM de Burger King, Interflora, Netflix ou Decathlon dont l’incarnation et le ton ont fait la renommée, qu’en est-il de l’autodérision ? Exercice d’équilibriste s’il en est pour ne pas se risquer à dénigrer le produit que l’on entend promouvoir.
C’est la mission brillamment accomplie par Buzzman avec la campagne pour l’objet de mobilité urbaine Ami, de Citroën. À mille lieues des expressions où le véhicule vous définit en tant que personne, l’agence parisienne a décidé de faire de son objet, un sujet. De moquerie, certes, mais pas que. Florent Kervot, directeur général adjoint de Buzzman et responsable du compte Citroën nous révèle le dessous de cette campagne.
Le contexte
En début d’année, lorsque l’agence Buzzman remporte l’appel d’offres sur la partie social et pour le monde de Citroën, elle s’interroge sur l’activité et les modes d’expression d’une marque automobile sur les réseaux sociaux. Premier constat, l’agence se dit frappée par l’uniformisation des formes d’expression des marques sur ces canaux. « En tant que spectateur, beaucoup de publicités commencent à ressembler à des mood tech, sans scénario », observe Florent Kervot, directeur général adjoint de Buzzman. C’est même l’un des principaux reproches exprimés à l’égard des réclames automobiles : désincarnée, vantant un statut social et une fausse liberté apportés par la voiture.
« Paradoxalement ou malheureusement, sur les réseaux sociaux, on retrouve cette uniformité, se désole-t-il, des publications qui se ressemblent étrangement avec des technologies similaires, mais aux noms différents, où la voiture est vue de haut avec une phrase qui promeut l’innovation en question. »
L’agence salue les « formidables » précédentes campagnes réalisées par d’autres agences sur les médias sociaux de Citroën. Toutefois, « ces prises de parole s’appuyaient beaucoup trop sur le passé de la marque, son historique, la DS, etc., avec des rebonds sur le social », note Florent Kervot. Si l’agence est évidemment fière de cet ADN, au moment de l’appel d’offres, Buzzman propose :
1. De le transformer pour se tourner vers demain et l’inscrire dans le futur.
2. De doter la marque d’une « personnalité » : « Elle ne doit pas parler comme une marque, mais comme une personne. Il s’agissait de définir le cadre de cette prise de parole : cette personnalité est-elle drôle, avec de l’autodérision, optimiste, ou est-ce plutôt une marque sérieuse ? »
3. De retrouver un peu de liberté. « Sur le social, pour être regardé et que cela fonctionne, il faut sortir des carcans. Cela passe par un minimum de prise de risque, parfois on se trompe et parfois on fait mouche », conclut Florent Kervot.
De l’aveu même du directeur général adjoint, Ami a été le premier sujet sur lequel l’agence a eu envie de s’exprimer. « Quand on voit ce véhicule, qui n’en est pas un puisque ce n’est pas un véhicule, ce n’est pas une voiture, mais un objet de mobilité urbaine électrique, il illustre parfaitement la volonté très forte de Citroën de créer quelque chose qui n’existait pas auparavant. C’est un objet “ovniesque” : Ami est petite, sans permis et électrique, elle n’a jamais cessé d’avoir ces qualités-là. Cependant, la marque avait préféré axer ses premières campagnes sur l’accessibilité du prix et la cible jeune public en comparant parfois le montant de ses mensualités à celui d’un forfait mobile. L’approche n’était évidemment pas inintéressante, mais elle s’adressait donc à une cible plutôt jeune et sans permis, se fermant potentiellement d’autres clientèles », souligne Florent Kervot. Buzzman veut la mettre en avant d’une autre manière avec la conviction qu’une autre approche est possible pour être plus efficace.
Quid d’éventuelles réticences de la part du client face à cette proposition (et la conception-rédaction) pour le moins audacieuse ?
Comme l’explique le responsable du compte Citroën chez Buzzman, dans un premier temps, l’agence souhaitait expliquer en quoi le ton déployé sur les réseaux sociaux était parfois si différent des autres supports. « Nous avons eu la chance énorme que le client comprenne que ce ton défini était peut-être un des tons possibles pour Citroen dans le futur, se réjouit Florent Kervot. Il a finalement été décidé de l’inclure sur d’autres touchpoints et de le proposer au plus grand nombre. »
Il s’agissait donc moins de « vendre » une idée, aussi audacieuse soit-elle, que d’être en adéquation avec des envies. Preuve en est, « toutes les fois où l’on proposait une nouvelle accroche, les rires fusaient autour de la table, se souvient le DGA de Buzzman. J’aimerais vous dire qu’on est monté sur la table pour la vendre, mais la CR de Mickaël Krikorian et Victor Sidoroff s’est imposée d’elle-même, car il y avait une envie commune de faire bouger les lignes sur Citroen. En cela, je suis très fier de travailler pour eux. »
Florent Kervot concède seulement quelques accroches rejetées, la limite entre autodérision et dénigrement étant parfois ténue. « L’équilibre s’est fait là. Nous avions plein d’accroches sur différents sujets et n’avons gardé que les meilleurs ou les avons contextualisés en fonction des supports. C’est comme ça que les arbitrages se sont faits. »
« Curieusement, notre designer n’a toujours pas été viré », a fait sourire tout le monde, notamment en interne. Quant à l’accroche, « Oui, elle ressemble à un grille-pain, c’est pour ça que vous pouvez l’acheter chez Darty » s’est ainsi imposée « très, très vite, il y a eu un consensus immédiat ». D’autant qu’Ami était déjà vendu au sein de l’enseigne : « Nous n’avons rien inventé, mais l’objet n’avait tout simplement pas rencontré son public. C’est pourtant une innovation énorme de mettre un tel objet chez un retailer, estime Florent Kervot. Cette campagne fait savoir qu’on pouvait le commander ailleurs qu’en concession. »
D’ailleurs, si cette campagne doit interroger, c’est plutôt les dix prochaines années : « Continuerons-nous d’aller en concession pour acheter une voiture ou tout se fera-t-il à distance ? questionne le DGA. Car, si l’on pense au futur et imagine un objet de mobilité pour demain, n’est-on pas également tenu de penser à des canaux de distribution alternatifs ? »
La campagne
Pensée en premier lieu pour les réseaux sociaux, la campagne s’est finalement déployée sur d’autres canaux. « La prise de risque dont ont fait preuve les représentants de Citroën, que ce soit à la direction marketing et à la communication, est assez extraordinaire », se remémore Florent Kervot. Ils se sont dit qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire dans sa tonalité, et qu’elle ne devait pas être limitée aux réseaux sociaux : le plan média s’est construit autour de l’affichage, de bâches, en presse et en social media. Je dois souligner le gros travail de Clément Scherrer sur le planning, l’analyse et la compréhension des individus. »
– La primauté du premier post dévoilant la campagne a été donnée à un dirigeant de Citroën sur LinkedIn ;
– Deux jours plus tard, la campagne était visible sur bâches et en affichage DOOH ;
– Puis dans quatre titres majeurs de la presse : Le Monde, L’Équipe, Les Échos, Le Figaro ;
– Et enfin en social.
La campagne fait un double travail sur le fond et la forme, précise Florent Kervot.
Sur le fond, la campagne opère une « réconciliation » avec les détracteurs de l’automobile classique, estime-t-il. « Ceux qui pensent aujourd’hui qu’une voiture pollue trop, prend trop de place et ne sert à rien. Comme mettre en avant la vitesse de pointe d’une voiture alors que nous serons bientôt limités à 30 km dans Paris par exemple. » Certains concurrents ne limitent-ils pas d’ores et déjà la vitesse maximale de leurs voitures ? « À quoi bon concevoir de tels engins s’ils sont obsolètes demain ? »
Sur la forme, et c’est une approche classique de publicitaire, même si elle est devenue trop rare dans la publicité automobile, concède le DGA de Buzzman, la campagne s’appuie sur les présupposées faiblesses de l’objet pour en faire des forces : « On pourrait croire qu’il y a une forme d’autodérision, et il y en a une, évidemment, mais sous couvert de raconter des choses très positives sur le véhicule. » Florent Kervot assume d’ailleurs l’hommage à certaines campagnes mythiques de DBB, « Nobody’s perfect » et « It’s ugly, but it gets you there » pour Coccinelle.
« À l’époque, les publicités de DDB avaient considéré que, dans un monde rempli d’énormes d’automobiles, puisque la Coccinelle était un ovni par sa taille, sans caractéristique technique particulière, il fallait capitaliser dessus pour expliquer en quoi cette voiture était une alternative à la conduite classique et qu’elle avait donc toute sa raison d’être ». « C’est un hommage auquel on songe immédiatement en regardant la campagne. C’était un vrai plaisir de retrouver cette audace et autodérision de la part d’un constructeur automobile », conclut-il.
Les effets sur la marque en termes d’image et de modernité ont été « très importants » d’après Florent Kervot.
Les résultats
– +130% de visites sur le site Ami de Citroën sur la période de la campagne, soit du 12 avril à la mi-mai ;
– Augmentation des commandes sur le site de +30% par rapport à la moyenne des 4 premiers mois de l’année. « Un résultat clairement dû à la campagne, surtout avec un mois de mai plutôt calme d’habitude », confirme Bruno Gisquet, vice president Brand Content & Digital Experience chez Citroen ;
– Reprise de la campagne, ton, accroche et visuels dans d’autres pays européens comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique. Une seule accroche diffère en Italie ;
« On a tendance à penser, et à juste raison, qu’il est compliqué de déployer des campagnes mondiales sur les réseaux sociaux à cause des spécificités locales. Cette campagne et son autodérision ont toutefois eu des échos positifs dans d’autres pays. C’est l’une des premières campagnes qui suscite autant d’engagement et de réactions », se réjouit Florent Kervot.
– Très bonnes réactions autour de la campagne avec un « formidable retour de sympathie autour de l’objet de mobilité Ami », souligne pour sa part Stéphane Cesareo, le directeur de la communication du constructeur.
Dont ce tweet du ministre délégué auprès de la ministre de la Transition écologique, chargé des Transports.
« Je mets beaucoup de modestie dans les résultats de cette campagne, poursuit Florent Kervot. Trop peu de gens tentent de faire ça, donc en essayant nous avions peu de risque de ne pas réussir. Il ne faut également pas sous-estimer l’immense popularité de Citroën et l’attachement des clients passés et présents à la marque. »
Les 3 clés de réussite
– La réconciliation
« Pour une grande partie de la population, la voiture est un sujet clivant. Ami, c’est la réconciliation avec la conduite, car elle offre une solution à ses détracteurs. »
– L’autodérision et l’humour
Un annonceur a tendance à considérer que l’unique territoire d’expression de la liberté c’est le social, pointe Florent Kervot. Force est de constater que la campagne Ami l’a démenti.
– La prise de risque
Après avoir travaillé pendant près de 20 ans pour des constructeurs automobiles, Florent Kervot se dit « attristé » de voir une telle absence de prise de risque sur les publicités d’un secteur qui ne manque pas de moyen et déroule les grosses productions. « Les gens attendent des campagnes disruptives, qui les surprennent. La marque avait déjà tout fait avec cette création anticonformiste : 50 % des gens allaient nécessairement la détester, pour sa forme, son design, ses specs techniques, etc., donc parler aux 50 % qui vont l’adorer fonctionne aussi ! Chercher le consensus n’est pas toujours payant. »