E-sport : quelles bonnes pratiques pour les marques ?

Par Élodie C. et Xuoan D. le 17/12/2018

Temps de lecture : 9 min

L'interview Jeunes Loups d'Ismaël El-Hakim, Biborg.

L’e-sport intrigue. D’un côté, des audiences dépassant le Super Bowl sont régulièrement annoncées. De l’autre, le phénomène peut paraitre encore réservé à un public d’initiés, ou du moins de gamers issus des générations Y ou Z. Où se situe la réalité de l’e-sport ? Dans le monde et en particulier en France ? Et surtout comment les marques peuvent-elles se joindre aux compétitions ? Pour tenter d’en savoir plus sur ce sport d’un nouveau genre, nous interviewons aujourd’hui Ismaël El-Hakim, managing director de l’agence Biborg.
 

Comment définissez-vous ce qu’est l’e-sport ?

Ismaël El-Hakim : L’e-sport est la scène compétitive professionnelle dans l’univers des jeux vidéo. Chez Biborg, nous avons coutume de définir l’e-sport comme une grande fête où tout le monde peut participer, notre motto est Be Playful.

L’e-sport n’est pas un phénomène nouveau et il suit un développement progressif. N’oublions pas que le premier tournoi e-sport date de 1997 (sur le jeu vidéo Quake avec une Ferrari à gagner) et que l’ESL (Electronic Sports League) existe depuis 2000. En France on a beaucoup parlé des finales européennes de League of Legends Championship Series à l’AccorHotels Arena début septembre 2017, ou encore du Six Major de Rainbow Six: Siege en Août 2018, mais on oublie vite que la Coupe du Monde des jeux vidéo de l’ESWC réunissait à Bercy plus de 25 000 personnes en 2006 ! Et on parlait déjà des jeux vidéo aux Jeux Olympiques (Monsieur Jean-Paul Huchon en tout cas).

On dénombre six grandes familles d’acteurs :

– Les éditeurs de jeux : Riot Games avec League Of Legends, Valve avec Dota et Counter Strike: Global Offensive, Blizzard Entertainment avec Hearthstone et World of Warcraft, Capcom avec Street Fighter, etc.

– Les équipes et joueurs professionnels : Fnatic, Na’vi, Vitality, Ninjas in Pyjamas… les équipes rassemblent des joueurs du monde entier et ne sont pas liées à une ville ou un pays en particulier, comme pour le football par exemple.

– Les streamers : il s’agit de joueurs amateurs mais aussi professionnels ou semi-professionnels, diffusant leurs parties en direct via des plateformes telles que Youtube ou encore Twitch. Les casters sont quant à eux l’équivalent des commentateurs sportifs: ils ne jouent pas forcément mais analysent les matchs, souvent via des vidéos.

– Les ligues, avec principalement l’ESL (Electronic Sports League) qui recense plus de 4 millions d’utilisateurs et près d’un million d’équipes dans le monde -principalement en Europe avec 30 pays européens dotés d’un portail ESL national géré par une société licencée. Elle permet de mieux cadrer les compétitions e-sportives en organisant des événements internationaux (l’Intel Extreme Masters qui se décompose en plusieurs étapes dans différents pays) mais aussi nationaux tels que l’ESL Pro Series ou les CFN permettant de gagner le titre de Champion de France.

– Les événements à ampleur locale, nationale ou internationale, organisés en réseau local (les LAN Party) ou en ligne (mode multijoueur), par l’ESL ou par des éditeurs (League of Legends World Championships), centrés autour d’un jeu en particulier (Redbull Kumite pour Street Fighter) ou mettant en avant différents jeux.

– Les fans d’e-sport : ils vivent leur passion de plusieurs façons et sont eux même joueurs. Plus que la plupart des fans sportifs, les fans d’e-sport ont pour réputation d’être extrêmement engagés dans leur passion, tant au plan émotionnel que financier.
 

Quelle est l’audience de l’e-sport aujourd’hui en France et dans le monde ?

IEH : L’audience que représente cette activité est colossale. Elle pourrait réunir près de 600 millions de spectateurs dès 2020 selon un rapport du cabinet d’études Newzoo, majoritairement des millennials ou digital natives.

L’e-sport est en passe de devenir un véritable phénomène de société, un marché puissant dévoilant des revenus en forte progression qui pourraient atteindre les 3 milliards d’euros d’ici 2021, représentant ainsi 4% du marché du jeu vidéo et qui dépasseront les 10,5 milliards d’euros en 2030 (Source : Date DigiWorld, L’économie de l’e-sport, octobre 2017).
 

Que pensez-vous des grands groupes média (TF1, Canal+, Webedia) voire les clubs de football (PSG, Manchester City, l’Ajax) qui lancent des initiatives dans l’e-sport ?

IEH : L’effervescence du marché appelle forcément un grand nombre d’acteurs à s’y intéresser. Il y a évidemment les acteurs traditionnels du monde du sport mais depuis quelques années, l’e-sport attire l’attention d’acteurs jusqu’alors totalement étrangers à son secteur comme de grandes marques de consommations, des médias ou encore des groupes de publicité plus traditionnels.

L’e-sport fait partie d’une nouvelle culture qui a forcément beaucoup de différences avec le monde du sport traditionnel et notamment du football. Essayer un rapprochement entre les deux mondes, comme les grands clubs de football qui se mettent à l’e-sport, est à mon sens une pirouette marketing.
 

Quelles opportunités représente l’e-sport pour les marques ?

IEH : L’e-sport représente aujourd’hui un véritable eldorado pour des marques qui s’associent de façon plus ou moins réussie à des équipes, des compétitions ou encore des joueurs.

C’est incontestablement un marché voué à créer de nouvelles opportunités tant culturelles et sociales que commerciales auprès d’une audience très convoitée par les annonceurs.

D’un point de vue plus stratégique et marketing, l’e-sport est une des portes d’entrée possibles pour les marques ayant envie de créer une relation authentique, “fun” et forte avec leur audience.
 

Avez-vous identifié des bonnes et des mauvaises pratiques chez les sponsors de l’e-sport ?

IEH : Chez Biborg, nous mettons en garde les annonceurs qui s’engageraient pour de mauvaises raisons. Si une marque se lance dans l’e-sport pour simplement profiter de son essor, avec un objectif purement commercial et financier en tête, elle risque de rencontrer un mur. Ce type d’objectifs ne sous-tendent aucune attitude bienveillante envers la communauté e-sport et son essor, et cela risque surtout de réveiller l’animosité de ses membres.

L’audience e-sport décode très facilement les intentions des marques non endémiques. Très engagée et passionnée, elle comprend très rapidement si une marque souhaite simplement profiter d’elle. Si la marque ne contribue pas à la fête, elle prend le risque de se confronter à un mouvement de brand-bashing très viral.

Une marque souhaitant se lancer dans l’e-sport doit se demander si cela est réellement en accord avec son ADN et ses ambitions, et doit être prête à s’engager sur le long terme et en sachant prendre des risques.

En effet, avant de s’adresser à la communauté e-sport, une marque doit prendre conscience qu’elle ne peut le faire que sur la durée. Les activations “one shot” n’auront pas les effets escomptés. La communauté attend des marques qu’elles soient bienveillantes et qu’elles s’engagent à les soutenir sur la durée. Sinon, cela ne sert à rien de s’attarder sur elles.

Ensuite, une marque intéressée par l’e-sport doit aussi faire une introspection pour définir les valeurs communes qu’elle partage avec l’e-sport et sa communauté. Pour s’assurer d’adopter une approche authentique, sincère, différenciante et qui va dans le sens des fans d’e-sport.

Finalement, les marques qui ne se lancent que maintenant doivent comprendre qu’elles ne sont pas les premières à adopter cette démarche. Les prises de paroles des marques sur l’e-sport commencent aujourd’hui à se perdre dans la masse, notamment parce qu’elles se ressemblent toutes et qu’elles ne sont pas audacieuses.

Plutôt que de miser sur la quantité, une marque doit miser sur la qualité : s’associer à des jeux moins connus mais qui se développent de façon organique, recruter des influenceurs avec une plus petite audience mais qui colle davantage avec ses valeurs et sa personnalité, développer des actions stratégiques locales et impactantes plutôt que de vouloir agir à l’échelle nationale en risquant de s’y perdre.

L’une des portes d’entrée dans l’univers e-sport est le brand content : contribuer à cette culture en dressant des portraits de sportifs ou des membres de la communauté, ou en apportant un éclairage sur une compétition.

A la différence du sport classique qui starifie certains joueurs, l’e-sport est une grande famille avec une forte proximité entre les fans et les joueurs ainsi que les différents acteurs de la scène compétitive. Les marques doivent comprendre ce point et se mettre au même niveau que la communauté, s’intégrer et participer à la fête de manière authentique et sincère plutôt que la surplomber.

Le partenariat entre OnePlus et Fnatic dont nous nous sommes occupés est ainsi un bel exemple de collaboration entre deux marques aux audiences similaires, avec la réalisation d’activations one to one entre la marque et les joueurs pour développer une affinité qui dépasse le sponsoring.
 

Quelle est la valeur ajoutée d’une agence Biborg dans le domaine de l’e-sport ?

IEH : Biborg est une agence de création digitale qui accompagne de nombreux éditeurs de jeux vidéo en France et à l’international comme PlayStation, Ubisoft, Bandai Namco Entertainment, Blizzard, Riot Games ou encore Capcom et Square Enix. Etant passionnés de jeux vidéo et spécialisés dans ce domaine depuis la création de l’agence, nous sommes ravis de voir que l’e-sport se développe bien en ce moment et que les médias en parlent beaucoup. Notre force repose sur notre connaissance de l’entertainment, notre capacité à travailler avec de grandes marques sur des campagnes globales et ambitieuses, notre accès aux éditeurs et à un réseau de partenaires et d’experts dans le gaming.

Nous nous démarquons des autres agences par nos approches à la fois créatives et techniquement innovantes, notre “production value” et notre capacité à créer des campagnes d’un côté très authentiques pour la communauté e-sport tout en restant accessibles pour un public plus large. Pour nos clients non-endémiques, nous mettons un point d’honneur à les accompagner dans la compréhension du monde du jeu vidéo et de l’e-sport: l’organisation du marché, les acteurs, la description des gamers et des fans d’e-sport, les enjeux et challenges actuels et à venir…

En se positionnant comme “conseil” sur les stratégies à adopter pour des marques souhaitant communiquer auprès de la communauté e-sport, Biborg est une des premières agences en France à préempter ce secteur.

Biborg a eu l’occasion de travailler sur diverses activations dont la création de web séries pour la promotion de la Rainbow 6 Pro League (Escalation Series), la réalisation et l’activation d’un partenariat entre OnePlus et Fnatic ou plus récemment l’accompagnement de PayPal dans son partenariat stratégique avec Tom Clancy’s Rainbow Six Pro League and Majors.

Comment voyez-vous la relation e-sport – marques évoluer dans les années à venir ?

IEH : L’e-sport est un secteur qui évolue à une vitesse folle. Chaque jour, nous devons composer avec de nombreuses nouveautés ou innovations technologiques des supports de compétition. Il m’est impossible de prédire quel sera l’e-sport de demain. Mais une chose est sûre, les marques qui seront intégrées sur le long terme auront approché le secteur avec authenticité et sincérité, pour faire naturellement partie de la fête !

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Letter to to the Future pour Accor

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