Ce qui fera la différence lors d'un recrutement de D.A.
Avec notre nouvelle rubrique Les experts métier, nous donnons la parole à des dirigeant(e)s et managers pour qu’ils nous révèlent ce qui permet d’identifier lors d’une candidature le ou la candidat(e) idéal(e). Quelles sont les qualités à rechercher en priorité chez quelqu’un pour un poste donné ? Et une fois le recrutement terminé, comment s’assurer que le ou la professionnel(le) conserve ou progresse sur ces points ?
Intéressons-nous aujourd’hui au métier de directeur artistique avec Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de l’agence BETC, et Head of Havas Global Creative Council.
Quelles sont les 3 qualités d’un bon DA ? C’est-à-dire celles à déceler au moment de recruter ou à favoriser au sein d’une équipe ?
1. Sortir du cadre
Stéphane Xiberras : Tout le sujet est de savoir se remettre en question sur chaque projet, de tenter, sans cesse, de sortir du cadre et de ne pas se contenter de ce qu’on nous donne à faire, à penser. Un bon DA doit envisager toutes les facettes d’un sujet pour délivrer quelque chose d’inattendu, qui sort du cadre sémantique donné.
Par essence, même si la publicité est un métier de commande, on attend des créatifs qu’ils s’intègrent dans un cadre, mais qu’ils puissent également en sortir. Sinon, cela ne fait pas de différence, d’impact ou de surprise pour l’audience. L’évidence n’est pas recherchée : les premières idées ne sont pas obligatoirement les bonnes, il ne faut pas trop se faire confiance. Le don’t est de se dire : « J’ai tout compris, je sais très bien ce qu’il faut faire, je l’ai déjà fait il y a x temps, je vais donc adapter la même recette. »
Comment progresser sur ce point en tant que DA :
C’est compliqué, car cela relève d’un état d’esprit. Cela a trait à la curiosité globale, à la culture générale : littéraire, académique, populaire, cinématographique, jeux vidéo, etc. Plus un DA emmagasine des choses, plus il perçoit les multiples facettes et angles d’un même thème. En musique, au cinéma ou en littérature, les formats paraissent finis, figés, alors qu’avec du « talent » et un peu de remise en question, il est encore possible d’innover et de se démarquer.
D’où l’idée évoquée précédemment de se détacher du contexte : cela peut être lié à une époque, des « modes »… C’est une question de curiosité de l’époque, du temps, de ce qui a déjà été fait et trop vu. Il n’y a pas 50 façons d’y parvenir, il faut utiliser tous les moyens mis à notre disposition — médias, réseaux sociaux, livres, films, etc. — pour voir ce qui se fait. De temps en temps, cela arrive qu’on me dise : « Bah oui, mais c’est pompé sur telle chose. » Je ne pense pas que les créatifs sont aussi malhonnêtes, la publicité est un métier très influencé par son environnement. Un DA est l’inverse du poète maudit et de l’artiste tels qu’on se les figurait alors : enfermés dans son appentis, qui se tranchent l’oreille pour réaliser des chefs-d’œuvre tout en étant coupés du monde. Ce n’est pas du tout représentatif d’un directeur artistique de notre industrie.
2. Être joueur
Il faut prendre plaisir à se remettre en question, jouer avec des idées, avec des formes, des typographies et des technologies. Être joueur, c’est trouver ça drôle de se dire : « Tiens pour la promotion de la série The Pope pour CANAL +, si on faisait des tweets clash avec des versets de la Bible ». À la différence d’un véritable artiste dont le travail est impérieux, même si certains sont de plus en plus marketés et se rapprochent de ce que l’on fait, nous travaillons par rapport à une audience : qui va nous lire et nous regarder, à quel moment ? C’est tout à la fois un jeu et un plaisir intellectuels. À l’inverse, c’est horrible, car ce travail est également très laborieux : si on sent le labeur, et non la stimulation créative derrière, il y a peu de chance que cela intéresse qui que ce soit à la fin. Cette notion de jeu induit également celle de l’échec, l’acceptation de perdre. Un vrai joueur n’est pas là pour gagner, un DA doit donc intégrer cette notion de raté, celle de ne pas réussir du premier coup : la poubelle ne doit jamais être très loin quand on travaille.
Comment progresser sur ce point en tant que DA :
Cela dépend beaucoup des environnements de travail. Dans un environnement malsain et toxique, il s’avère compliqué de rester dans un esprit de nonchalance et de jeu. Dans nos agences, la hiérarchie, les mauvaises relations entre les gens, la pression des clients, etc., est délétère pour la création. Tout comme l’accélération des rythmes est catastrophique pour notre métier, car elle nie complètement le côté amusant et joyeux de la recherche de la bonne idée.
Concernant les lieux de travail, les questions autour du télétravail dépendent vraiment des environnements : ce ne sera pas vécu de la même manière si vous avez 22 ans ou 30 ans avec des mômes dans les pattes.
3. Discipline et concentration
Ce travail demande beaucoup de labeur et de concentration. Les trois qualités mentionnées se rejoignent puisque lorsque vous avez décidé d’être hors du cadre, de tenter des choses, cela nécessite énormément de concentration et de discipline. Dans ce métier, un créatif n’a pas de big idea qui lui tombe du ciel, comme on peut parfois le dire au client. En création pure, en exécution, cela n’existe pas. Ce sont de petites choses qui, mises bout à bout, donnent un résultat qui paraît différent, nouveau, qui attire l’œil, est intéressant et a du style. J’ai tendance à dire que le diable se cache dans les détails, il faut y apporter beaucoup de soins, explorer toutes les facettes d’un sujet pour en faire un objet performant. D’où ce besoin de concentration et de discipline impératif, qu’importe le bonus à la base.
Il faut tenter de s’isoler, ne pas répondre à des mails et des SMS, rester concentré même 20 minutes, sur le fil de sa pensée, que vous soyez seul, en team, même à 3 ou 4. Sinon, tout ce que j’ai énoncé avant ne tient plus.
Comment progresser sur ce point en tant que DA :
Il faut s’astreindre à des heures de travail. Très bêtement, il faut mettre en place des rituels : par exemple, de 15h à 16h, je me concentre sur ce sujet. Je n’y arrive pas, tant pis, mais je m’oblige à le faire quand même. Certains ont des rituels avec des trousses remplies de stylos, d’autres des fonds d’écran « qui font que », certains s’isolent avec de la musique. Quelle que soit la méthode, il faut sacraliser ce moment.
Je ne crois pas du tout aux histoires de personnes qui s’installent dans un café, bossent et font des campagnes de pub comme ça. Je suis peut-être con, mais je ne l’ai jamais fait et les bons créatifs que j’ai rencontrés non plus. Les DA sont concentrés, ils font des essais, collent leurs ébauches au mur. C’est très important de visualiser son travail, de s’en éloigner, de demander l’avis des autres. Il y a le moment où l’on fabrique et le moment où l’on se pose. L’instant où le travail individuel devient collectif.
Après, j’ai 50 ans, je parle de mon ressenti, l’approche 100 % écran n’est pas la mienne et je ne pense pas que ce soit la bonne façon de travailler. Avec les écrans, on ne voit les choses que de manière séquentielle : la page 1 puis la page 2, la 3, la 4, etc., le script, puis les images. Le cerveau humain n’est pas fait comme ça, il faut une approche holistique pour visualiser concrètement son travail.
Toutes ces qualités doivent se retrouver dans le portfolio du créatif et se ressentir lorsque vous contemplez son travail. Ces 3 façons de faire doivent être perceptibles, dans l’entretien évidemment c’est clé : cette envie d’essayer des trucs, d’être assez humble, de prendre du plaisir à le faire et du mieux possible, mais aussi de ressentir cette sensibilité aux détails, ce souci d’aller plus loin que d’habitude.
Dans un portfolio, nous ne jugeons pas ce qui sera fait après, mais jusqu’où nous pourrons aller parce que l’on connaît les aléas de notre métier. Un portfolio doit être le reflet de qui vous êtes, c’est très personnel, il ne doit ressembler à aucun autre.