Automatiser ou ne pas automatiser, telle est la question.
Avec plus de 100 collaborateurs aujourd’hui, 3 dirigeants polytechniciens et un triplement de son chiffre d’affaires en 2016, Artefact fait figure d’OVNI sur le marché publicitaire. La signature (marketing)ai annonce la promesse de cette agence issue du conseil et de la tech : le marketing va considérablement « s’augmenter » avec l’intelligence artificielle. Quid du rôle des marketers dans cet écosystème boosté par la technologie ? Leur emploi est-il menacé à terme ? Réponse avec Vincent Luciani, co-fondateur et directeur général d’Artefact.
Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui le marketing à s’automatiser ?
Vincent Luciani : Comme de nombreuses fonctions dans une entreprise, la fonction marketing est sujette à la vague d’IA. Deux raisons principales poussent les entreprises à automatiser leur marketing :
– Les tâches répétitives. Dans le marketing : beaucoup de reporting par exemple, la création de persona pour des campagnes ou encore d’interactions avec des clients sur des problèmes simples comme des problèmes de facturation, sont chronophages et répétitifs. L’entreprise vise avant tout à alléger ses coûts.
– Les tâches non optimisées, où l’intuition humaine fait défaut. On peut citer par exemple le positionnement en prix sur les enchères pour les impressions publicitaires : 10 ms pour répondre, des millions d’impressions possibles et des centaines de paramètres font que l’humain ne donne pas le meilleur de lui-même. Ou encore la construction de parcours omnicanaux : doit-on envoyer un mail puis un contact Facebook puis un SMS ou tout autre parcours ? Avec quel contenu ? Dans quel ordre ? Ici l’entreprise cherche à améliorer sa performance, donc ses revenus.
A noter que le marketing est un formidable terrain pour l’IA en raison d’un volume de données très fort, des temps de réponse courts, et des technologies accessibles via notamment les APIs d’IA développées par les GAFA. Le marketing est aujourd’hui comme la finance à la fin des années 90, c’est le paradis des ingénieurs.
Où en est-on dans cette automatisation ? À 25%, 50% ou 75% du chemin à parcourir… ?
VL : Ce sont très clairement les prémices, mais les terrains sont prometteurs. Aujourd’hui ce sont les agences, ou les startups technologiques qui proposent ces réponses. On peut citer entre autres :
– Des solutions de « bidding » automatisées
– Des outils de personnalisation des sites
– Des outils de traitement d’e-mailing
À notre niveau, nous voyons notamment arriver de plus en plus d’appels d’offres sur ce type de besoins, sur des « verticales » marketing de grandes entreprises qui souhaitent internaliser ces algorithmes ce qui suit logiquement l’internalisation des Big Data.
Qu’est-il possible d’automatiser aujourd’hui, notamment via l’intelligence artificielle ?
VL : Plusieurs tâches peuvent être gérées par des machines : déclinaison de messages, parcours scénarisés multi-canaux, marketing prédictif. Un reporting peut être automatisé de même que le media planning, la personnalisation de sites, l’envoi de mails…
Et qu’est-ce qui n’est pas automatisable ?
VL : Comme beaucoup de fonctions, l’IA n’a pas pour but de remplacer l’homme, mais de l’augmenter ! Il reste beaucoup de tâches humaines, notamment sur l’interprétation ou la correction. L’interprétation des résultats des reportings automatisés exige l’intervention humaine, le choix des données à utiliser pour alimenter un algorithme, la correction des algorithmes défectueux. Au final, il reste surtout la créativité et l’intelligence de situation, qui reste encore le propre de l’homme !
La création pourra-t-elle dépendre d’une IA ? Les cas de campagnes ayant fait appel à la « creative data » sont encore peu nombreux.
VL : La créativité sous-entend de résoudre un problème de manière inédite, ce qui peut dans un moindre mesure s’appliquer à l’IA : l’année dernière Google Alphago a atteint des niveaux d’inventivité jamais vus. Il y a plusieurs cas aujourd’hui : Sony qui écrit des chansons avec une IA, McCann Japan qui imagine un directeur de création robot, Amazon qui crée un designer de mode…
Nous avons publié une étude auprès des directeurs marketing sur ce sujet, et près de 40% d’entre eux sont ouverts à une IA « créative ».
En revanche, il est vrai que l’IA repose encore beaucoup sur l’analyse des succès passés, nous avons donc toute les chances de croire que les « sauts quantiques » créatifs ne seront pas apportés par des IA demain, mais qu’en revanche une partie de la conception artistique pourra être « sous -traitée », comme faire le montage, caler la bande-son… et cela dans un futur très proche.
Qu’est-ce que le “(marketing)ai” – la signature de votre agence – promet de changer dans le quotidien et le métier des annonceurs ?
VL : Artefact a pour ambition de combler l’écart qui se creuse entre les GAFA et les marques. Les GAFA sont aujourd’hui les entreprises les plus innovantes, les plus agiles, ce sont les marques préférences des consommateurs, et… aussi les entreprises les plus cotées en bourse !
Artefact entend faire jouer les marques et les annonceurs avec les mêmes armes que les GAFA : le digital, la data et l’IA.
Grâce à notre brique IA, nous voulons notamment repousser les limites du marketing avec des solutions IA sur-mesure, automatiser les tâches répétitives des annonceurs et booster leur stratégie grâce au machine learning.
Plus globalement, comment ce nouveau modèle bouleverse l’écosystème publicitaire ? Pour les agences créa, les agences média ainsi que pour les médias ?
VL : Nous pensons que ce modèle doit changer. Aujourd’hui les limites sont en train d’être gommées. L’expérience passe de plus en plus par la technologie, l’image de marque ne se véhicule plus uniquement par des bannières sur internet. Il n’est plus possible aujourd’hui de prétendre faire de la création sans être technologique. Ce serait passer à côté de ce qui fait vibrer les consommateurs.
Le média de demain sera aussi beaucoup plus lié à la création, avec des formats innovants qui sont à cheval entre les deux mondes. On peut citer le format DCO par exemple.
Pour finir, il faut être capable d’orchestrer ces expertises en suivant le besoin des directions marketing. Nous croyons fortement pour cela à une branche « conseil » qui recrute des moutons à 5 pattes : digital, data, marketing, IT, business. Il est nécessaire de comprendre fondamentalement les besoins et les contraintes des annonceurs pour apporter les réponses les plus adaptées. Et cela les agences traditionnelles ne le font pas encore.
Ne craignez-vous pas que les GAFA banalisent l’approche technologique du marketing ?
VL : Non, les GAFA(x) sont la locomotive. Elles créent des nouveaux standards qui tirent le marché en éduquant le consommateur. Par exemple aujourd’hui Amazon a démocratisé la livraison en 24h, Uber la notation instantanée, ou encore Google le besoin en information immédiate. Les GAFA sont les meilleurs ennemis des marques, il faut s’en inspirer et les utiliser, mais aussi créer des expériences différenciantes en utilisant les atouts propres à chaque marque : par exemple ses datas ou son identité. Notre métier est justement d’aider les annonceurs à tirer le meilleur parti de ce que les GAFA ont si bien compris : la technologie.
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ne permet pas aujourd’hui, mais permettra demain pour le marketing ?
VL : Notre vision est que demain, le marketing sera aussi simple d’accès qu’une API. On pourra connecter ses données à une plateforme qui pourra identifier les opportunités, les segments d’audience, les messages, les orchestrer, les mesurer et les corriger dans une démarche itérative. Nos efforts de R&D vont dans ce sens. Nous sommes encore (très) loin de cela dans la réalité, mais oeuvrons de manière générale pour une simplification de l’ensemble de la chaîne via la technologie.