Dirigeants d’agences : voici quelques pistes pour traverser la crise

Par Xuoan D. le 30/11/2020

Temps de lecture : 8 min

Parlons antécrise avec Pascal Guibert, La Compagnie du Changement.

Cette année de double crise sanitaire et économique a forcé le secteur de la communication à se transformer pour de bon.

En tant que business coach, Pascal Guibert accompagne les dirigeants d’agences et les directions de la communication depuis 15 ans. Ses missions de conseil ont été particulièrement denses depuis 9 mois, si bien que le fondateur de La Compagnie du Changement* a pu observer de près les défis rencontrés par les fondateurs, présidents et autres directeurs généraux d’agences.

Il nous partage humblement les principaux enseignements managériaux de 2020. Des conseils qui aideront les agences à bien préparer la sortie de crise !
 

Comment gardez-vous le cap en ce moment ?

Pascal Guibert : Comme tout le monde en cette fin d’année, je peux connaître des baisses de moral. Mais je m’entretiens ! Je pratique du sport, 3-4 fois par semaine, peut-être plus que d’habitude, et surtout différemment. Le tennis est en pause, je compense avec du vélo d’intérieur ou d’extérieur, de la course à pied…

Il est aussi clé de sortir de ses propres routines. J’ai par exemple redécouvert les parties de Scrabble avec ma plus jeune fille. C’est un moment d’échange important entre nous. Et il n’y a rien de mieux qu’un bon mot compte triple pour mettre à distance ses préoccupations du moment !
 

Comment le secteur de la communication, et en particulier les agences, ont-ils encaissé les différents chocs de 2020 ?

P.G. : Cette année, j’ai été fortement mobilisé pour aider mes clients à trouver des solutions aux problèmes directs et indirects posés par la crise. Le secteur a beaucoup souffert en 2020 (notamment l’événementiel mais pas que), on parle d’une baisse de – 20 % à – 30 %, que les chiffres viendront confirmer.

Malgré tout, certaines agences – et mes clients en particulier – ont poursuivi leurs chantiers de transformation et de structuration : évolution des modèles, rapprochements, nouveaux investissements, mouvements d’actionnaires… Tous ces projets ont continué à se développer.
 

Justement, quels sont les facteurs qui ont permis à ces agences de mieux traverser la crise que d’autres ?

P.G. : J’en vois trois.

1. Le modèle : les types de métier, de contrats avec les clients, et de portefeuilles annonceurs ont impacté différemment les agences.

Certains métiers comme les RP ont par exemple continué avec vigueur, d’autres comme l’événementiel ont stoppé.

La nature des contrats a également été clé. Les contrats annuels ont apporté bien plus de sécurité aux agences que le mode projet.

Enfin, le type de portefeuille clients a touché les agences de façon difficilement anticipable avant la crise. Une agence spécialisée dans le tourisme aura subi le confinement plus fortement qu’une structure référente dans le jeu vidéo. Du moins, en théorie !

2. La solidité financière a été prépondérante. Les entreprises fragiles ont rapidement été en difficulté.

En plus des règles sanitaires mouvantes, il a fallu revoir en permanence les business plans, les plans de trésorerie, faire appel aux aides, piloter au plus fin, faire et refaire.

Pour les grands groupes de communication, cela ne pose pas de problèmes majeurs, ceux-ci étant pourvus de fonctions DAF, RH, et d’outils de suivi. Mais comme le secteur est principalement composé de PME, cela a été plus compliqué à mettre en place.

Pour le moment, la plupart des agences tiennent entre autres grâce aux aides de l’État. Mais l’inquiétant n’est pas là. La baisse continuelle des taux de marge depuis 10 ans atteint la solidité financière et la capacité de transformation des agences. Et malgré l’effet reprise, une baisse conjoncturelle annoncée des budgets des annonceurs en 2021 risque de malmener fatalement certains acteurs.

3. La capacité de changement et de mobilisation des équipes. Il a fallu se concentrer sur de nombreux sujets, résoudre des problèmes jusqu’alors inconnus, et trouver des solutions avec les moyens du bord. Les agences ont cette culture. Mais elles la mettent plutôt à profit pour leurs clients que pour elles.

La période aura montré que le futur se prépare dans le passé et se construit dans le présent. Autrement dit, les forces et faiblesses des uns et des autres se sont amplifiées durant la crise, mais ont rarement surpris les dirigeants qui les avaient anticipées.
 

Quels problèmes peuvent rencontrer les dirigeants d’agences pendant une telle crise ?

P.G. : En premier lieu, la difficulté de bien évaluer le niveau d’impact de la crise sur l’activité et l’équipe. Ce qui permet d’avoir la bonne analyse et le bon diagnostic.

Depuis mars, entre ceux qui ont dû stopper leur activité, ceux pour lesquels les clients ont arrêté ou réduit leurs investissements, les mesures n’étaient évidemment pas les mêmes. Neufs mois après, on le voit bien puisque certains vont finir l’année en croissance, d’autres à 0 et la plupart à – 20 % ou – 30 %. Le chantier de ces derniers mois a été immense puisqu’il recouvrait aussi bien le sujet inédit des mesures sanitaires, que la gestion, les relations avec les clients et tout l’aspect du management distanciel, pas aussi simple qu’on a d’abord voulu le dire.

Ensuite, le niveau d’incertitude durant la crise. Les dirigeants n’aiment pas l’incertitude car elle empêche de planifier et décider. Elle est un frein à leur liberté d’entreprendre. Combien de temps durera encore la crise ? À quand la reprise ? Et comment ? Les clients continueront-ils à investir ? Faut-il alléger la structure, la renforcer ? Depuis mars, toutes les options sont sur la table et nous travaillons beaucoup à l’élaboration de scénarios, non pas pour prédire l’avenir, mais pour pouvoir accompagner les événements, adapter l’entreprise et ses projets à son environnement. Baisser le niveau d’incertitude est le souci constant du dirigeant en période de crise.

Enfin, la charge mentale. On n’en parle pas beaucoup, par pudeur ou par tabou, mais elle a considérablement augmenté pour les dirigeants. Or ceux-ci sont déjà habituellement très sollicités, parfois à la limite dans ces métiers qu’on qualifie de passions mais qui usent également. Cette crise a fait émerger de nombreux nouveaux problèmes à résoudre : gestes barrières, organisation du télétravail, baisse du chiffre d’affaires, soucis de trésorerie, etc. De quoi donner l’impression d’une année sans fin, avec des tâches qui ne s’arrêtent jamais, même le week-end. Et pour certains des phases difficiles qu’il a fallu gérer.
 

Quel premier conseil donneriez-vous aux dirigeants d’agences pour faire à cette période ?

P.G. : S’efforcer de maintenir, pour soi et dans l’entreprise, un bon niveau d’énergie physique et morale. En temps normal et en particulier pendant une crise, le dirigeant se démultiplie sur tous les fronts et se préoccupe de tout et de tous : équipes, clients, partenaires… Parfois au risque de s’oublier soi-même comme j’ai pu l’observer à différentes reprises. Or, quand le skipper va mal, le bateau garde rarement le cap.

Pour conserver un bon niveau d’écoute et de lucidité, et prendre les bonnes décisions, il lui faut aussi parvenir à se ressourcer. Après 6 mois d’efforts permanents, si le dynamisme affiché est toujours là, beaucoup de dirigeants sont malgré tout fatigués, voire épuisés et affectés moralement. Une lassitude qu’ils vont essayer le plus souvent de masquer.

Comment s’occuper de soi ? Chacun a ses propres routines ou moments à lui : pratiquer régulièrement un ou plusieurs sport(s), s’occuper de ses enfants tous les jours, conserver un peu de présentiel au bureau pour changer d’environnement, se mettre au vélo pour se déplacer en ville ou bien échanger avec ses pairs… Il n’y a pas de recette miracle. En revanche, la meilleure sera celle qui fonctionne pour vous, et cela de façon régulière.

Les dirigeants qui prennent conscience de cet impératif, renforcent l’énergie qu’ils transmettent à leurs équipes. Ils veillent également à respecter le rythme de travail, les périodes de récupération. Par exemple, en désactivant en envoyant en différé les e-mails du week-end au lundi matin [Gmail permet cela très facilement, ndlr] ou en désactivant les notifications Teams ou Slacks les soirs et le week-end. Le confinement et les aléas du moment engendrent de l’usure psychologique, notamment chez les plus jeunes. Il faut être d’autant plus vigilant en tant que manager.
 

Et le second ?

P.G. : Diffuser une communication bienveillante et positive autour de soi. Dans cette période où cela ne va pas très fort, rien ne se passe comme prévu et les mauvaises nouvelles peuvent s’accumuler. La communication avec les managers et les équipes a plus que jamais une importance primordiale.

Lors du premier confinement, une communication de proximité s’est imposée pour pallier un grand besoin de contacts face à la sidération de la période, ainsi que pour organiser le travail à distance. La plupart des entreprises ont su apporter des réponses empathiques et adapter leur management à ce nouveau contexte.

Avec le deuxième confinement, et plus généralement, les semaines à venir, la communication managériale sera réussie si elle soutient les efforts de tous, en saluant notamment les petites victoires : budgets gagnés ou clients confirmés pour 2021. Le manager doit aussi faire preuve de flexibilité et corriger les objectifs de l’entreprise si besoin. Une agence qui a une croissance à 0 cette année pourrait s’en féliciter, d’autant plus s’il est confirmé que le marché est à – 20 %.

Une telle communication permet aussi de rassurer – quand c’est possible – les collaborateurs concernant la santé économique de l’entreprise, à un moment où le marché va se poser beaucoup de questions sur son futur.
 

Comment faire face à l’incertitude qui va encore nous accompagner pendant quelques mois, voire années ?

P.G. : Le dirigeant est habituellement une personne qui anticipe et construit le futur de son entreprise. Il est aujourd’hui mis en difficulté sur ce terrain. Il doit accepter sa vulnérabilité, ne pas savoir ce qu’il va se passer, tout en restant éveillé et prêt à rebondir face aux opportunités d’un monde post crise qui n’en manquera pas, c’est certain. Encore faudra-t-il être en capacité de les saisir !

Pour cela, le dirigeant d’agence doit aujourd’hui se concentrer sur les domaines sur lesquels il a la main. Tout d’abord, la gestion avec la trésorerie, l’étalement des charges, le recouvrement, le recours au crédit… Sans bonne gestion, impossible de passer la crise.

Ensuite, renforcer si besoin ses outils et processes digitaux liés au pilotage de l’activité : de l’avant-vente à la gestion. Comme pour le télétravail, il en restera forcément quelque chose dans le “monde d’après”. Ce sera un avantage pour ceux qui en auront tiré les meilleurs enseignements.
 

Une période aussi chahutée est-elle aussi une invitation à la transformation pour les agences ?

P.G. : Tout à fait. Continuer à avoir des projets est, en ce moment, une chose très importante. Cela permet de souder les équipes mais aussi de prendre rendez-vous pour demain, en se réinventant dès aujourd’hui.

La crise que nous traversons invite à réinterroger son positionnement sur le marché, au moment où nombre d’acteurs bougent, se rapprochent, se concentrent… Votre offre est-elle toujours adaptée aux évolutions en cours ? Votre projet d’entreprise est-il encore le bon ? Il est important de se poser ces questions pour bien préparer la sortie de crise.
 


* Note : précisons en toute transparence que La Compagnie du Changement et la Réclame font partie de Groupe VTscan, co-dirigés par Pascal Guibert.

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