Amazon Go, ou l’émergence de la publicité prospective

Par Xuoan D. le 12/01/2017

Temps de lecture : 5 min

Et si avec Amazon Go, nous nous étions trompés de regard ? Amazon Go est moins une innovation retail qu’un véritable objet de communication ayant pour objectif de faire évoluer le débat public.

Amazon Go est un concept-store, certes très avancé, sans caisse ni file d’attente, ayant vocation à être déployé dans 2000 magasins fraîchement ouverts par le leader de l’e-commerce. Cependant, aussi spectaculaire que puisse être cette perspective, cette éventualité n’est pas pour demain. À moins que vous vous rendiez chez Monoprix !

Alors quel est donc l’objectif d’Amazon, en communiquant si tôt ? Quel est le rôle de cette communication puisqu’il n’a encore rien à vendre ? Ne s’agirait-il pas là d’une nouvelle tendance portée par les marques mondiales du numérique ?

Autant de questions auxquelles Pascal Guibert, business coach et co-dirigeant de Groupe VT Scan, va tenter de répondre dans cette tribune inspirée.

Amazon Go, qu’est-ce que c’est ?

Plus de fil d’attente ni de passage en caisse, les courses sont les plus fluides possible pour les clients. Telle est la promesse d’Amazon Go. En regardant la vidéo, on comprend très vite qu’il s’agit de la première supérette de proximité entièrement automatisée.

J’avais testé un concept comparable dans le fast food, à San Francisco il y a quelques mois. Un joli concept (qualité food, design enseigne) mais proposant une expérience client un peu ratée : il fallait faire la queue comme partout pour faire sa commande (sur une tablette) et régler au terminal de CB. Bref, assez peu d’amélioration du côté « client convenience ».

Amazon propose ici une expérience bien supérieure en axant tout son discours sur 2 freins majeurs et réels de la corvée des courses au supermarché : les files d’attente et le passage en caisse.

Un bénéfice client qui peut ainsi devenir un réel avantage concurrentiel et permettre au numéro un des e-commerçants de pénétrer un peu plus le marché de la distribution physique.

Rien de vraiment étonnant à cela, Amazon est ici clairement sur son territoire d’innovation : fournir à ses clients une expérience achat la plus fluide et la moins coûteuse possible. Cela fonctionnera-t-il ? Peut-on se dispenser de tout contact humain pour acheter du frais dans un magasin de proximité ? Ce sont là quelques-unes des questions classiques liées au produit et à ses bénéfices client que pose cette vidéo.

Mais à quoi sert la publicité d’un concept qui n’existe pas ?

Elle pose également d’autres questions, peut être plus inattendues liées aux … absents implicites de cette vidéo : caissier.e.s, chef de rayons, personnel de service… c’est-à-dire toutes les personnes qui travaillent habituellement dans cet univers. Pourquoi ont-elles disparu ? Même si l’on s’en doute un peu. Mais surtout, que sont-elles devenues ?

Au-delà d’un nouveau service, d’un nouvel usage, cette communication met donc en scène autre chose, un nouveau type de quotidien, de réalité sociale aux conséquences et au questionnement suggérés par ce seul effet de vide motivé par la satisfaction client. Volontairement ou involontairement, selon qu’il s’agit d’une intention stratégique de la marque, elle vient poser une question, que ne manqueront pas de se poser les clients de la nouvelle enseigne.

Cette prise de parole installe à l’avance par la pub un nouveau paradigme de consommation : la fin de l’attente client. Et par conséquent du personnel. Sous-entendu : « nous avons automatisé tout ce qui était nécessaire à votre confort ».

Créée à l’origine pour vendre un produit, un service ou promouvoir une marque, la publicité dépasserait donc ici sa fonction pour vendre un nouvel usage. Et la marque s’affranchit de son rôle initial pour s’immiscer dans le futur débat sociétal. Ce type de publicité s’adresse ainsi autant à nous, ses clients pour tester ses concepts innovants commerciaux, qu’à nous citoyens pour tester de nouveaux paradigmes sociaux, anthropologiques et politiques. Parce qu’Amazon se doute ici que ces innovations contiennent les germes de véritables ruptures sociétales, elle tente aujourd’hui par cette communication de gagner de futurs soutiens des débats de demain. Une démarche certes coûteuse, mais certainement beaucoup moins que de lancer des centaines de magasins pour faire ensuite machine arrière.

Une stratégie publicitaire surtout très ambitieuse en tant qu’elle peut aider à ouvrir de nouveaux marchés, pour y imposer sa marque. C’est avec une stratégie similaire qu’Uber a réussi à convaincre les populations de l’intérêt des VTC et que la marque espère parvenir à imposer demain la voiture sans chauffeur. En ce sens la prise de parole Amazon Go est donc prospective puisqu’elle tente concrétiser la réalisation de scénarios du futur imaginés par les équipes de Jeff Bezos.

Elle requiert une condition préalable : s’être créé une position ultra-dominante sur son marché pour profiter pleinement de l’ouverture créée. Dans le cas d’Uber on peut même ajouter que ce sont les marchés financiers qui soutiennent pleinement cette campagne, compte tenu de l’écart abyssal entre la performance économique de l’entreprise et sa valorisation : 69 milliards de valorisation contre environ 4 milliards de CA estimé en 2016, avec des pertes vertigineuses.

Comment fonctionne la publicité prospective ?

C’est là tout le rôle de la publicité prospective pour les nouveaux géants économiques. Ils en ont le pouvoir – d’idéation, de réalisation – mais aussi les moyens de persuasion et de médiatisation.

Il s’agit donc bien là dans une démarche prospective d’associer nouveaux produits et remises en question de nos comportements quotidiens, impliquant une réorganisation sociétale.

La publicité prospective est peut-être même en train de devenir un genre à part entière pour les grandes marques de ce début de siècle, puisque nous remarquons depuis plusieurs années un concept-car pour Nike, de la livraison par drone pour Amazon (encore) ou encore la voiture sans chauffeur pour Google (via Waymo) ou Uber.

Dans les publicités du genre les plus réussies, nous observons la combinaison de trois éléments indissociables pour tenter de construire une nouvelle réalité, qui sera leur futur terrain de jeu :

– un nouveau paradigme à faire passer dans notre quotidien : demain les drones seront nos livreurs, les voitures seront sans chauffeur, les supermarchés n’auront plus de personnel

– un tabou à faire sauter : la compagnie des robots, l’accommodement aux drones, l’absence de contact humain

– un nouveau besoin et service à imposer

Et nous savons que pour l’avenir les cartons de ces « majors » sont encore pleins de fabuleux projets : voyage sur mars, colonisation de l’espace, immortalité, transhumanisme…

Pascal Guibert
Business coach et co-dirigeant de Groupe VT Scan
Linkedin Pascal Guibert

 

PS : Amazon a depuis la vidéo d’annonce démenti l’ouverture de 2000 magasins dans l’immédiat. Ce qui confirme la nature réelle de ce projet à date : de la communication prospective !

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