Le meilleur des (deux) mondes.
Déjà déployée avec succès aux États-Unis depuis plusieurs années, la télévision segmentée (ou « adressée ») s’est fait — beaucoup — attendre en France que ce soit du côté des régies plurimédias, agences, ou des annonceurs. Autorisée sur le territoire depuis le 7 août 2020, ce n’est qu’en janvier 2021 que l’ensemble des régies plurimédia, et donc des chaînes nationales, a pu la commercialiser.
Grâce aux datas collectées (sur consentement) par les FAI via les boxes, la publicité adressée promettait de (re) dynamiser le secteur de la publicité télé, et de marcher dans les pas des GAFA tels qu’ils opèrent déjà sur leurs propres plateformes. La promesse ? Réunir le meilleur de la publicité TV (visibilité, premium, brand safety, etc.) et les avantages du ciblage digital.
Après un an de déploiement et de tests, Laurent Bliaut, directeur général adjoint marketing et R&D de TF1 PUB, dresse le bilan 2021 de la télévision segmentée sur les chaînes du groupe et les perspectives qu’elle offre pour les années à venir.
Le contexte
Si la télévision segmentée n’a été lancée que début janvier 2021, avec Orange pour tout opérateur à l’époque, le groupe TF1 y travaille depuis 2016. Comme le souligne Laurent Bliaut, tout le talent de cette technologie est d’opérer sans couture sans même que le téléspectateur s’en aperçoive, pour autant la technologie à l’œuvre n’en est pas moins complexe – opérer la substitution, en temps réel, d’un spot TV par un autre au sein d’un même écran.
Là où l’on accorde, même difficilement, un peu d’inertie et latence à l’univers digital, une seule seconde de décalage en flux linéaire est inenvisageable. Une complexité d’autant plus ardue avec trois opérateurs différents à l’œuvre (Orange, Bouygues Télécom et SFR dans un premier temps), soit autant d’infrastructures et de façon de faire différentes. « Grâce au SNPTV et l’AFMM, l’association des FAI, le protocole de norme pour opérer techniquement la TV segmentée a pu être établi rapidement ; il est prêt depuis 3 ans », rappelle le DGA marketing et R&D de TF1 Pub.
Pour le groupe, la publicité segmentée doit être le chaînon manquant entre la télévision linéaire et broadcast, extrêmement puissante en termes de couverture et d’impact, mais non adressée ; et la plateforme MyTF1 avec un ciblage digital one to one : « Il nous manquait la dimension du milieu, celle du foyer avec la force de frappe du flux linéaire. C’est ce qui faisait défaut dans la palette des assets clients. » Une nouvelle dimension permettant au groupe d’embarquer des clients non présents en télévision en raison d’un ticket d’entrée trop élevé (du fait de la couverture nationale en simultanée imposée par la loi de 1986 sur la liberté de communication). « Beaucoup de marques et d’annonceurs souhaitaient se concentrer sur des catégories de foyers, des régions, etc., et attendaient que cette possibilité leur soit offerte avec le décrochage publicitaire et son ticket d’entrée plus faible (dès 5000 euros) », poursuit Laurent Bliaut.
Red Bull a été le premier annonceur à se lancer dans l’aventure de la télévision segmentée. Ensuite, très rapidement, ce sont moins des marques en tant que telles que des secteurs d’activité qui ont pris le train en marche. Des secteurs très diversifiés puisque le DGA marketing de TF1 PUB en énumère 7-8 parmi les plus importants :
– L’automobile en premier lieu : « Dans toutes ses dimensions, depuis l’enseigne nationale jusqu’à la concession ultra locale ». Imaginons ainsi la marque Renault menant une campagne nationale pour la Zoé en « surpressant » les villes où les installations de bornes de recharge sont nombreuses ; ou grâce au ciblage géolocalisé, telle concession adressant des spots afin de driver des gens jusqu’à elle ;
– les services : banques, etc. ;
– le tourisme : très local (covid oblige), comme les Offices de tourisme régionaux ;
– l’énergie ;
– la distribution : spécialisée ou grande distribution : « La capacité de localisation est très importante pour ce secteur » ;
– et de façon plus mineur, les produits de grande consommation : « Ils attendent sans doute que la portée de la télévision segmentée soit plus massive. »
Le déploiement
Depuis 2021, le déploiement s’est opéré en deux phases :
– une phase MVP avec Orange et un cahier des charges marché ;
– une phase d’industrialisation.
TF1 Pub proposait 4 offres :
– Géolocalisation : produits saisonniers, clients locaux ;
– petits consommateurs TV ;
– data FAI : enfants dans le foyer, CSP, etc. ;
– OPS DCO (Dynamic Content Optimization) : personnalisation de la créa selon différents critères (géoloc, CSP, etc.).
Le suivi et les bilans de campagne ont été mis en place, mais doivent encore s’enrichir (notamment à la demande de l’UDECAM) et s’harmoniser entre les différentes régies.
Fin 2021 (T4), Orange a ouvert le prime (19-21h) alors que Bouygues Télécom restait en MVP (l’opérateur a rejoint l’aventure avec la régie en juillet dernier), puis l’ensemble des contraintes horaires : 19h-23h. De son côté, Bouygues Télécom teste le prime time avec pour objectif de l’ouvrir fin T1 début T2 2022. SFR s’est également aligné sur cette deadline pour le prime time et le multi-spot.
« Le déploiement suit sa croissance normale au fur et à mesure que les offres augmentent, avec le prime time et l’arrivée de nouveaux opérateurs (box, datas, et foyers, NDLR). La télévision adressée a ceci de particulier qu’elle est hybride et concerne autant les équipes digitales et télévisées. Certains clients viennent à la télévision segmentée par le canal digital, avec des campagnes vidéo déployées sur MyTF1 notamment, d’autres sont déjà présents en télévision et souhaitent, en complément de leur campagne nationale, se déployer en ligne », précise Laurent Bliaut.
Les résultats
– 159 campagnes opérées en 2021 sur les chaînes du groupe TF1 ;
– 61 % du chiffre d’affaires est issu de la data géolocalisée, avec parfois un croisement géolocalisation + type de foyers ;
– 60 % du chiffre d’affaires est réalisé par des clients absents des grosses agences (ceux arrivés à la télévision grâce à la télévision segmentée) ;
– 44 % du chiffre d’affaires est généré par des annonceurs nationaux ;
– 92 nouveaux annonceurs en 2021 ;
– Plus de la moitié du portefeuille de clients TV segmentée ne communiquait pas sur les chaînes du groupe auparavant. Ils peuvent désormais utiliser la TV adressée de deux façons :
– comme un levier au sein d’une campagne vidéo digitale dans laquelle il n’y aurait pas de télévision broadcastée ;
– pour entrer dans une autre dimension en accroissant le potentiel/reach des campagnes, notamment pour les clients TV habituels : à la fin du T1-début T2 avec les 3 FAI à l’œuvre, l’offre proposée approchera les 6 millions de foyers (vs 2 millions de foyers jusqu’alors).
– le top secteur : automobile, banques, distribution, énergie ;
– à la mi-2021 : 3 millions de foyers touchés. En janvier 2022, ce chiffre est passé à 5,5 millions foyers en potentiel, soit environ 12 millions d’individus (soit 19 % des foyers français qui ont donné leur consentement pour recevoir des publicités segmentées). « Ce qui correspond à peu près à la couverture mensuelle de France Inter. »
– fin 2022, le groupe vise 7,5 millions de foyers, soit 16,5 millions d’individus.
« Pour adresser les foyers, ils doivent à la fois être pourvus de box suffisamment modernes pour opérer le décrochage sans couture, et donner leur consentement (via opt-in). Les générations de box se renouvelant petit à petit, notamment sous l’impact de la fibre — l’appétence pour la fibre est même plus forte qu’espérée selon les opérateurs, cela entraîne une rotation du parc plus rapide », souligne Laurent Bliaut.
TF1 Pub espère aujourd’hui que la télévision segmentée puisse être utilisée par des clients déployant des campagnes broadcast nationales pour réaliser des compléments de ciblage : par exemple en retargetant, via la TV segmentée, des foyers qui n’auraient pas ou peu vu la campagne en linéaire.
« Les clients sont de plus en plus préoccupés par le reach (le potentiel de couverture de leur campagne). Depuis quelques années, les médias se fragmentent, le reach est donc très recherché. Le test réalisé avec Orange (Advertising) sur son parc de box (2 millions de foyers) permet d’augmenter de 5 points (de 75 % à 80 %) la couverture incrémentale de la campagne nationale en paid juste en ciblant les foyers “petits consommateurs de TV” ». Un levier déjà intéressant, qui promet d’exprimer toute sa puissance lorsqu’il adressera 5 à 10 millions de box augure déjà Laurent Bliaut : « C’est un vrai levier pour améliorer le reach des campagnes nationales ou “surpresser” une cible ».
Quid de 2022 ?
TF1 Pub lance la télévision segmentée en programmatique avec Freewheel et The Trade Desk, sur lequel le groupe dit n’avoir « aucune ambition d’exclusivité ». « Si cette solution s’avère parfaitement opérante, l’idée est d’en faire une plateforme de marché, en termes technologiques. À la manière d’un mall d’entrée programmatique pour la télévision segmentée avec, à l’intérieur, la boutique TF1, la boutique France TV, celle de M6, etc., puisque, évidemment, il n’est pas question de confusion commercialement parlant ».
D’après la régie, ce partenariat permettra aux clients et agences d’acheter le meilleur en termes de productivité. Et aussi pour les campagnes vidéo (MyTF1, Tv segmentée, TikTok, YouTube, 6Play, etc.), de visualiser sur un même dashboard les performances de la campagne. « Offrant ainsi un gain de productivité aux agences et à ceux qui voudraient utiliser la télévision segmentée comme un asset vidéo, de regrouper en achat et sur un même dashboard tous leurs assets. »
L’objectif de la régie est d’atteindre 7,5 millions de foyers (16 millions d’individus) d’ici fin 2022. « L’intérêt des clients est là, mais ils attendaient que la télévision segmentée passe un certain stade quantitatif, ce qui va se passer entre le premier et le deuxième trimestre 2022. » Dans un premier temps, les opérateurs déroulent une phase de test MVP (pour minimum valuable product) : pas de spots entre 20h et 23h, un seul spot décroché par écran, etc. Orange a désormais levé la contrainte du prime, puis les trois opérateurs (Orange, Bouygues Télécom et SFR) se sont engagés à lever toutes les contraintes du MVP à la fin du premier trimestre 2022 : accès à toutes les tranches horaires, possibilité de décrocher plusieurs spots par écran, plus d’inventaires disponibles, etc.
Et Free ? « Il n’y a pas de blocage avec Free, puisque nous ne sommes pas encore dans des négociations : le sujet n’était tout simplement pas prioritaire pour l’opérateur : il réalisé, de mémoire, des cessions ou acquisitions en Europe de l’Est. Les discussions, en mode pause pour l’instant, vont vraisemblablement reprendre en fin d’année, mais il n’y a aucune d’opposition de principe », rapporte Laurent Bliaut.
Les 3 clés de succès
– Son accessibilité
La télévision segmentée démocratise enfin le petit écran à tous les annonceurs, petits ou grands. Et permet à ceux qui annonçaient déjà à la télé d’affiner leur ciblage et d’atteindre des cibles bien spécifiques.
Une clé de succès attendue du côté de TF1 Pub : « Cette dichotomie entre les clients qui viennent à la télévision grâce à la télévision segmentée et les gros clients nous l’avions assez bien prévu, rappelle Laurent Bliaut. Idem sur le fait que la géolocalisation serait très importante dans la demande de ciblage des clients. »
– Son caractère hybride
Comme nous l’annoncions en introduction, la télévision segmentée portait une promesse : réunir le meilleur de la publicité TV (visibilité, premium, brand safety, etc.) et les avantages du ciblage digital. Puissance, brand safety, flexibilité, agilité, précision du digital : promesse tenue.
– Son potentiel
« La bonne surprise, c’est le test d’apport en couverture effectué sur les box Orange, souligne Laurent Bliaut. Même si nous pensions qu’en retarguetant le tiers des personnes qui regardent le moins la télévision, nous allions accroître la couverture des campagnes, nous ne nous attendions pas forcément à + 5 points, c’est beaucoup sur une campagne nationale qui fait déjà 75 % de couverture. Pour atteindre ce niveau, on se dit qu’il faut probablement remettre 50 ou 100 GRP, c’est un coût considérable ! Avec la télévision segmentée, le coût est modeste, car nous observons moins de déperditions sur les foyers ayant déjà vu — ou trop vu — une campagne. »
Le DGA marketing et R&D de TF1 Pub confie que le SNPTV et la AF2M (Association française du multimédia mobile) vont répliquer ce test au cours du deuxième trimestre. Un test multi-opérateurs et multi-régies.