Comment Danone prévoit de changer le monde avec des yaourts

Par Xuoan D. et Nina S. le 26/04/2018

Temps de lecture : 7 min

Quand une marque devient un appel à la tolérance.

Danone a récemment lancé Les Danone du Monde, une gamme de yaourts et produits laitiers issus de Turquie, d’Islande, du Liban, d’Inde et de Grèce. Derrière cette gamme qui pourrait s’apparenter à de la simple « cuisine du monde », Danone s’est dotée d’une mission : rendre le monde plus ouvert, curieux et tolérant. Cette idée a germé en 2014 dans l’esprit d’Anne Thevenet-Abitbol, directrice prospective et nouveaux concepts du Groupe Danone, lorsque la crise des migrants a commencé à avoir un écho médiatique. Quel peut être le – modeste et subtil – rôle de Danone face à une telle catastrophe ? Réponse dans cette nouvelle interview Parole d’annonceur.

Comment avez-vous eu l’idée de la marque Les Danone du Monde ?

Anne Thevenet-Abitbol : Je suis chargée de développer des idées créatives en tant que directrice prospective et nouveaux concepts du Groupe Danone, après quelques années à la direction du planning de CLM BBDO. Mes idées viennent souvent de problèmes que j’ai identifiés, qui me chagrinent, et que je connecte aux gênes de Danone pour y apporter des solutions.

Pour Les Danone du Monde, cela m’est venu en 2014. Je me suis réveillée un matin en entendant des choses épouvantables sur les migrants, et ce repli sur soi que j’ai ressenti m’a affectée. Je me suis posé la question sur ce que je pouvais faire à ma petite échelle, en tant que personne travaillant chez Danone, pour remédier à ce problème.

Souvent, la peur vient de l’ignorance. Essayons de vivre dans un monde plus ouvert, où les différences culturelles seraient une richesse. Que pouvais-je faire de mon côté pour renforcer l’ouverture des uns et des autres ?

J’ai alors eu l’idée d’une gamme de produits laitiers du monde, où le yaourt serait vecteur de partage, de discussions et d’échanges. Nous avons déjà l’habitude de manger des choses qui viennent de l’étranger. Pourquoi ne pas prolonger cela à l’échelle de Danone, pour contribuer à l’ouverture des goûts et des esprits ?
 

Comment avez-vous porté ce projet au sein de Danone ?

ATA : Au départ, je n’ai ni équipe, ni budget. Mon idée doit être suffisamment convaincante pour que des gens chez Danone me rejoignent, et portent eux aussi le projet.

Pour pouvoir convaincre, j’essaie d’arriver avec des idées bien précises, dessinées. J’ai ainsi demandé un peu de budget pour travailler avec [tag]WNP[/tag], avant d’aller voir les responsables des produits frais chez Danone avec des illustrations inspirantes du projet.

Nous nous sommes rendus dans différents pays pour recueillir des avis au sein de Danone mais également des consommateurs, et tous les entretiens ont été concluants. Nos interlocuteurs étaient enthousiastes.

Nous avons ensuite fait venir 360 produits laitiers différents de partout dans le monde. Nous avons tout testé… mais pas tout aimé ! Au final, nous avons choisi les produits laitiers différents de que l’on connaît déjà mais pas trop bizarres.

Le choix du nom fut assez intense. Toutes les idées proposées par WNP étaient très stimulantes ! Nous avons développé 4 pistes : la gamme aurait pu s’appeler Atlas, UNY (United Nations of Yoghourt), Melting Pot et donc Les Danone du Monde.

Cette gamme est composée de 5 produits laitiers, à manger, à boire ou à cuisiner : le Lassi d’Inde, le Straggisto de Grèce, le Skyr d’Islande, le Laban du Liban et l’Ayran de Turquie.

Vous vous présentez comme une « corporate hacker ». Comment arrivez-vous à faire émerger autant de nouveaux projets au sein d’un groupe comme Danone ? (Précédemment : Les 2 Vaches, le restaurant Aux 2 Vaches, Evian Affinity, Evian spas, les programmes EVE et Octave…)

ATA : Ce sont des projets qui ont du sens. Ceux qui viennent m’aider à les porter sont convaincus par l’idée, et sont toujours engagés.

Il faut que l’idée soit suffisamment porteuse pour que les gens trouvent l’énergie et la foi nécessaire pour développer le projet. Ce n’est pas toujours facile, il faut tirer, pousser, et foncer !
 

Quel a été le rôle de votre agence, WNP ?

ATA : Nous nous comprenons très bien avec l’agence. Je suis arrivée avec un brief assez poussé sur cette idée de gamme de produits laitiers qui ouvrirait les goûts et les esprits, et eux ont incarné cette idée à travers plusieurs concepts de packaging pour commencer. Ils ont ensuite travaillé sur tous les modes de communication possibles de cette marque. Mais j’aime bien cette idée de commencer par incarner le concept par un packaging, qui est en quelque sorte notre première annonce publicitaire.

Par ailleurs, j’étais convaincue qu’il fallait nous doter d’un petit personnage, une sorte de « couchsurfer » qui nous raconterait des histoires de ses voyages. WNP a ainsi créé le personnage de « Dani », un hommage au fondateur de Danone, Daniel Carasso, issu d’une famille de migrants. De par mon expérience sur Les 2 Vaches, je savais qu’un protagoniste incarnant la marque était un atout pour porter notre vision. Sur le packaging, Dani est celui qui nous apprend à utiliser les produits (recettes et moments de consommation) et à faire connaître des anecdotes sur le pays.

Qui seront selon vous les consommateurs de la marque Les Danone du Monde ?

ATA : C’est la question que l’on se pose toujours, lors d’un lancement !

Pour moi, il s’agit plus d’un état d’esprit que d’une typologie de personnes. L’ouverture et la curiosité. La rencontre du voyage et de l’alimentation.
 

Qu’avez-vous prévu pour soutenir ce lancement de marque ?

ATA : Nous avons d’abord pensé à une campagne d’affichage. On y voit chacun des 5 pots en gros plan… Bref, le rêve de tout marketer ! Mais cela se justifie ici, puisque les packs sont très beaux et de vrais supports de notre vision.

WNP a aussi développé une websérie sur YouTube qui s’intitule “Les colocs du monde” et qui raconte comment chacun consomme le produit dans son pays, avec diverses anecdotes. La série sera diffusée prochainement.

Nous avons également travaillé avec Le French Bureau autour de la volonté de créer une communauté qui partagerait ces valeurs et ouvert un lieu éphémère : Atlas, la Cantine du monde. Ce café culturel incarne la volonté de s’ouvrir aux autres peuples notamment par des dîners thématiques. Différents événements y sont organisés, notamment avec Meet My Mama, qui donne la voix aux mamas issues des migrations qui ont de l’or dans les mains ! Chaque mama viendra raconter la cuisine de son pays.

Enfin un roadshow est prévu, pour faire découvrir aux consommateurs ces nouveaux goûts. Une fois passée la barre du 1er test, les consommateurs sont généralement conquis.

Les Danone du Monde sont lancés en France, en Italie et au Royaume-Uni. D’autres pays les accueilleront par la suite. Le côté joyeux de cette marque, son positionnement sur l’ouverture parle dans tous les pays. Nous l’avons testé sur plein de marchés, et c’était concluant à chaque fois. La nouveauté gustative peut être clivante mais cela touche pas mal de gens au final.
 

Quelles sont les clés de la réussite de ce lancement ?

ATA : Les distributeurs sont très réceptifs à cette proposition, ce qui est clé pour la visibilité et les ventes. Les Danone du Monde seront présents dans la plupart des grandes surfaces : Intermarché, Carrefour, Monoprix, Franprix, Casino…

L’enjeu est aussi que ces nouveaux produits trouvent leur place sur les tables françaises. Nous avons pour ambition de créer des nouveaux usages de consommation. Par exemple, l’Ayran est un produit laitier salé, qui peut être consommé à l’apéritif avec de la menthe et du citron.

À terme d’autres produits pourraient rejoindre la gamme. Mais assurons-nous déjà du succès de ces cinq là !
 

Pensez-vous que Les Danone du Monde peuvent réellement « contribuer à un monde plus ouvert sur les autres cultures » ?

ATA : À partir du moment où un produit amène à l’ouverture, cela attise la curiosité et a un impact positif. Des histoires sont racontées sur le packaging des yaourts et expliquent pourquoi et comment ils sont consommés.

L’idée derrière est qu’une marque est plus grande que la somme de ses produits. Ce qui compte, c’est aussi sa mission !
 

Ne craignez-vous pas que Les Danone du Monde ne soient pas une marque à part entière de par la présence de Danone dans son nom ?

ATA : Les Danone du Monde sont au coeur de Danone ! Danone est une référence mondiale sur le marché des produits laitiers. Nous avons même un Manifesto, dont un des chapitres est « food is culture ». Pour nous, la diversité est source de richesse. Il était ainsi tout à fait légitime que cette nouvelle gamme s’appelle Les Danone du Monde.
 

12 ans après le lancement de Les 2 Vaches, comptez-vous renouveler un tel succès avec Les Danone du Monde ?

ATA : Ce que ces deux marques ont en commun, c’est qu’elles ont un « small brand spirit » et une vision sociétale en plus de la vision business. L’une est pour la promotion de l’agriculture biologique et l’autre est pour l’ouverture d’esprit et la diversité.

Ces marques sont les petites soeurs des grands Activia et Actimel. Nous n’aurons peut-être pas un développement foudroyant mais il sera certainement progressif et fructueux.
 

Et pour finir, la traditionnelle question de fin de notre rubrique parole d’annonceur : quel est votre conseil pour que la relation annonceur-agence soit une réussite ?

ATA : Probablement grâce à mon passé de planneuse stratégique, je fournis à WNP des briefs avec des idées précises. Plus le client va loin, plus l’agence doit aller encore plus loin ! C’est une valse à deux qui est très vertueuse.

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