IA et web3 au service de l’ultra personnalisation chez Moët Hennessy

Par Élodie C. le 01/05/2024

Temps de lecture : 8 min

La technologie, vecteur d'émotion ?

L’industrie du luxe connaît une transformation marquée par l’intégration croissante des technologies. Moët Hennessy Wine Estates entend rester en phase avec les besoins changeants des consommateurs, comme ceux des jeunes générations. L’innovation numérique devient ainsi un levier pour se connecter de manière plus intime et efficace avec un public qui valorise des expériences personnalisées et enrichissantes.

Tatiana Lupart, directrice du digital et consumer engagement pour la division vin de Moët Hennessy (LVMH) nous explique comment cette approche illustre, même dans un domaine aussi traditionnel que la viticulture, la façon dont les technologies modernes peuvent renforcer les liens humains et améliorer l’engagement client.

La technologie avance très vite, certains sujets d’actualité à un instant T ne le sont plus deux ou trois mois plus tard, quel est votre principal défi en matière d’innovation chez Moët Hennessy Wine Estates ?

Tatiana Lupart : Le principal challenge est de nous connecter à notre consommateur, notamment les nouveaux et les plus jeunes générations. C’est pourquoi l’innovation digitale peut faire partie des solutions et des réponses apportées. Notre distribution n’est pas en directe, on ne possède pas les données et on ne connaît pas très bien ce consommateur. Notre secteur évolue beaucoup, on observe un important shift dans la consommation : les gens boivent de moins en moins, mais mieux, et ont tendance à bouder le vin au profit d’autres boissons. Nous connecter avec ce consommateur, comprendre ce qu’il veut, réussir à lui parler directement (et donc logiquement posséder davantage de data) pour lui proposer des produits qui vont l’enchanter est essentiel. 

C’est aussi l’occasion de shifter notre méthode de communication pour pouvoir déployer notre storytelling versus une communication peut-être un peu traditionnelle et professionnelle aujourd’hui. La division Wine Estates, ce sont neuf maisons réparties dans le monde riches d’histoires incroyables, nous sommes convaincus qu’en immergeant nos consommateurs dans ce storytelling, dans notre histoire, dans ces territoires en Nouvelle-Zélande, dans les Andes ou dans l’Himalaya, nous pouvons embarquer nos consommateurs dans une expérience beaucoup plus émotionnelle et moins rationnelle.

On reproche souvent à la technologie d’être froide et de ne pas véhiculer d’émotion. Comment fait-on pour créer cette émotion avec quelque chose d’assez “désincarné” ?

T.L. : C’est vrai, la technologie peut paraître froide. Nos neuf maisons sont très remote et isolées. La technologie, par exemple la VR ou d’autres expressions, pourrait permettre cette immersion et ce voyage. La vidéo peut permettre de mieux comprendre ces maisons puisque nos consommateurs ne s’y rendront pas nécessairement. La technologie peut être ce connecteur, notre challenge est de la mettre au service de l’humain pour qu’il se connecte à nos marques.

Vous êtes spécialiste en stratégie marketing et digitale depuis plus de 10 ans, quelle est l’innovation qui vous a le plus impressionné ces dernières années ?

T.L. : Je ne vais pas faire dans l’originalité en évoquant l’intelligence artificielle. Nous n’en sommes qu’au début, ce que je vois m’excite déjà beaucoup, et ce qu’on en pressent encore plus. L’IA sera structurante et l’est déjà dans ces nouvelles manières de travailler, de connecter, de créer du contenu, d’organiser sa journée ou ses outils. Chez Wine Estates, nous prenons évidemment ce mouvement très au sérieux, puisque certains de nos jobs sont impactés et le seront encore plus demain. Je devine où l’IA peut nous amener. C’est une révolution et on n’en mesure pas encore tous les tenants et les aboutissants, c’est ce qui m’impressionne le plus.

On commence à l’utiliser, notamment avec l’agence Swipe Back autour de notre innovation présentée prochainement à VivaTech en avant-première, mais sur d’autres aspects, comme la productivité au travail. Le challenge se situe là : ne pas être remplacé, simplement savoir l’utiliser. Je dépense pas mal d’énergie pour comprendre comment cette technologie pourrait nous aider et je pense que ça va être vraiment bien. 

Parlez-nous de la campagne web3 imaginée par Swipe Back pour la marque Cloudy Bay. Quelles innovations ont été utilisées, pourquoi et quel impact ont-elles eu ?

T.L. : Pour cette campagne, nous avons collaboré avec la collection de NFT World of Women, une collection de divers NFT en lien avec l’art sur le monde de l’inclusion, de la diversité, et l’empowerment féminin. Cette collaboration s’est faite autour de valeurs communes avec Cloudy Bay, notre winery en Nouvelle-Zélande axé sur ces enjeux-là, qui est très moderne et déjà ancrée dans cet univers. Nous avons réalisé une opération de communication commune au salon NFC (Non Fungible Conference) de Lisbonne, avec une exposition d’art, des conférences et un NFT World of Women co-designé. Notre ambition était d’utiliser la technologie web3 et la blockchain pour concevoir une expérience consommateur autour de ces valeurs communes, de l’art et de l’exploration de nouveaux horizons, car nous avions observé une certaine appétence de la communauté web3 (via des insights) pour le vin.

Pour autant, elle ne s’attendait pas du tout à une collaboration autour d’une collection de NFT et un vin premium prestigieux. Ce fut une parfaite surprise de ce côté-là. De notre côté, nous avons pu explorer cette communauté, les opportunités éventuelles pour lancer nos propres collections ou “leverager” la technologie blockchain. Tout cela a été très naturel, puisque Cloudy Bay est une communauté extrêmement ouverte sur le monde. On dit toujours qu’il y a une place à notre table pour toute personne qui souhaite s’y joindre. 

Par ailleurs, World of Women est une communauté web3 différente de l’image ultra geek qu’on peut en avoir : nous avons vraiment ciblé la communauté la plus en adéquation et en affinité avec notre produit. L’idée était aussi de se rencontrer puisque notre produit se révèle sur la dégustation et la convivialité. Il faut absolument trouver le moyen de le faire goûter et d’aller à la rencontre du consommateur.

Luxe et personnalisation sont intrinsèquement liés, comment l’intelligence artificielle renforce-t-elle l’expérience client ?

T.L. : La blockchain, que l’on continue d’explorer, a un potentiel énorme pour tout ce qui touche à la personnalisation et à la relation client. Certaines de nos bouteilles valent 2000 euros : le consommateur a besoin d’être réassuré sur leur authenticité, sa production, son histoire et l’humain qui se cachent derrière. La blockchain serait une manière absolument adéquate de prouver one by one l’authenticité d’une bouteille et raconter une histoire faite pour lui, donc absolument tailor-made. L’intelligence artificielle, dans sa capacité à générer des contenus de plus en plus pertinents et personnalisés, nous aidera à aller dans cette ultra-personnalisation.

Ces technologies existantes peuvent être utilisées pour réassurer un consommateur et initier une relation qui paraîtra individuelle et sera personnalisée en fonction de ses besoins. Si on retourne sur le web3, la technologie blockchain peut lui permettre, en plus d’obtenir tous les détails souhaités sur sa production, ses notes, etc., d’accéder à une expérience une fois la bouteille ouverte, consommée et partagée avec une autre communauté. 

Le vin est un moment de convivialité où chacun a besoin de sentir spécial en ouvrant cette bouteille. Et c’est tout le challenge aujourd’hui : se sentir spéciale en choisissant une bouteille en magasin. Et sur ces produits ultra-premium, le client a besoin de sentir unique, spécial et écouté. Les technologies permettront ce degré de personnalisation supplémentaire sans ôter le côté humain et terroir du produit.  

LVMH a un partenariat avec Aura sur la blockhain autour de l’authentification de ses sacs notamment, mais cette technologie n’est pas encore utilisée pour certifier ce type de bouteilles. 

T.L. : Pas encore en effet, nous voulons aller plus loin qu’un simple certificat d’authenticité, même si c’est une première étape importante. On veut trouver la bonne opportunité/expérience.

Les activités de Moët Hennessy Wine Estates sont indubitablement liés aux enjeux environnementaux et climatiques actuels. On observe par ailleurs un mouvement marqué de l’industrie vers un luxe plus éco-responsable : la technologie est-elle un levier pour atteindre cet objectif ?

T.L. Chez Wine Estates, notre engagement est quasi organique pour la plupart de nos maisons et il est entrepris depuis très longtemps : bio ou conversion vers le bio, management de l’eau ou dans la facçon d’être toujours plus responsable, notamment concernant l’utilisation de produits pesticides. 

En Argentine, l’une de nos wineries déploie un système utilisant la data et l’intelligence artificielle pour une meilleure gestion de l’eau (au goutte-à-goutte) sur les parcelles situées à différents niveaux d’altitude. Ce sont des territoires avec des contraintes différentes, une exposition au soleil ou au vent différent d’un endroit à l’autre. Tout cela était géré de manière précise, mais manuel. Nos plus importantes wineries basculent pour profiter de cette ultra précision technologique, avec un petit peu moins d’intervention humaine.

En Nouvelle-Zélande, Cloudy Bay a designé un tracteur autonome fonctionnant par intelligence artificielle pour prendre soin des vignes. Toutes les opportunités technologiques permettant d’accélérer une volonté déjà très ancrée dans nos maisons et dans notre division sont prises très au sérieux. Comme tout le monde, que ce soit la data ou l’IA, on croit à son potentiel pour aller plus loin, accélérer et être toujours plus précis. Et cela rejoint ce que l’on tente de faire avec le consommateur, précision et personnalisation. 

Quelle est l’innovation la plus prometteuse selon vous ou est-ce qu’elle reste encore à être inventée ?

T.L. : Elle reste à inventer. Au moment de tester le web 3 l’année dernière avec Swipe Back, nous avions obtenu de très bons résultats et bien connecté avec la communauté. Pour autant, je sentais qu’on n’y était pas encore puisque nous étions encore sur de l’expérientiel et on a leveragé une technologie pour se connecter. 

Avec l’intelligence artificielle, on n’y est pas encore non plus, tout reste à inventer. Chez LVMH, on a vraiment notre place pour co-construire et participer à cette évolution. C’est même l’un des groupes les mieux placés pour avancer dessus. Cette innovation reste à inventer, car, aujourd’hui, ce sont des choses très concrètes et utilitaires, comme le certificat d’authenticité, mais on a besoin d’aller plus loin pour ajouter de l’expérience supplémentaire.

Et à l’inverse, sur du 100% expérientiel, comment on se reconnecte-t-on à la technologie ? Il y a encore deux mondes à réconcilier. Ce sera très excitant quand l’expérientiel et la technologie permettant de mieux connaître le consommateur seront réconciliés. Il y a encore de belles années à venir pour notre industrie, on va assister à accélération énorme.

Pouvez-vous nous parler de cette innovation que vous allez présenter à VivaTech ?

T.L. : C’est un secret car ça va être lancé à VivaTech justement. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce sera un prototype qui entend réconcilier la technologie et l’expérientiel justement : donc on vous donne rendez-vous sur le stand LVMH de Vivatech pour le découvrir… 

Le rendez-vous est pris !

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