L’exemple de Social & Stories, Groupe Figaro.
Dans une ère où le contenu est devenu roi, médias, régies, marques et agences se confondent : le marché de la publicité n’a jamais paru aussi mouvant et ses frontières poreuses. Ses principaux acteurs semblent tous vouloir jouer dans la cour de l’autre et empiéter sur ses activités. Ainsi, aux États-Unis notamment, de plus en plus d’annonceurs créent leurs propres agences “in-house”, à l’instar d’Apple depuis 2014, mais aussi Twitter et Spotify. Les régies et groupes média lancent également leur propre agence (Webedia Brand Solutions, Prisma avec Ganz…) quand ce ne sont pas les agences qui se lancent dans les médias. Qu’est-ce qui pousse un média à créer sa propre agence et pour quels bénéfices ? Recherche de cohérence, volonté de proposer une stratégie data-driven aux marques, mutualisation des ressources et captation de nouveaux outils ? Éléments de réponses avec Mathieu Even, directeur associé de l’agence Social & Stories du groupe Figaro.
Que représente l’éditorialisation des contenus pour vous ? Est-ce emprunter au journalisme pour l’appliquer à la communication ?
Mathieu Even : Lorsque nous avons développé l’agence Social & Stories sur le social media, nous sommes évidemment partis sur un social media traditionnel, que tout le monde partage. Quelle est la meilleure façon d’utiliser les réseaux sociaux pour atteindre les objectifs de nos clients ? Toutefois, au lieu de travailler cela de manière “top-down”, nous nous sommes demandés quels étaient les usages et codes sur les réseaux sociaux, ce que les utilisateurs attendaient comme contenu pour proposer une prise de parole optimale aux marques. Une parole qui s’inscrive dans la durée, avec une ligne éditoriale déclinée sur différents formats et supports. C’est en cela que nous éditorialisons nos contenus.
Ainsi, à notre arrivé au Figaro, lorsqu’ils nous a été demandé “Comment travailler la mode ?”, nous avons pu étudier les codes des réseaux sociaux et déterminé ce que notre cible y cherchait. Cela nous a permis ensuite de traduire notre vision de la mode et de la raconter comme notre cible s’attendent à la voir. Les gens ne cherchent pas à voir des messages de marques sur les réseaux sociaux. Ils cherchent à ce qu’on leur raconte une histoire, ils cherchent quelque chose d’un peu plus profond qu’un simple message de marque.
Pourquoi le Groupe Figaro se dote-t-il d’une agence comme Social & Stories ?
M.E. : Pour le Groupe Figaro, le social media va faire les marques et les médias de demain. Social & Stories apporte ainsi son expertise. Et le groupe nous aide à développer Social & Stories en conservant notre approche éditoriale en corrélation avec l’histoire du Figaro. Notre rôle est d’accompagner le groupe dans l’ensemble des propositions formulées à travers la régie, ou l’entité 14Haussmann et d’aller travailler les marques sur quelque chose de différent, plus proche d’un travail d’agence que de régie.
De son côté, 14Haussmann est la régie dotée d’une expertise contenus sur l’ensemble des médias du groupe Figaro. Elle détermine la manière dont un sujet peut être traité en adéquation avec les rédactions de tel ou tel magazine du groupe.
Travaillez-vous uniquement avec les clients du Groupe Figaro ou avec toutes les marques ?
M.E. : Nous travaillons avec toutes les marques. Avec notre métier d’agence, nous avons une relation directe avec nos clients et nous accompagnons également les clients du Groupe Figaro sur des problématiques social media très précises. En complément des équipes 14Haussmann évidemment.
Y a-t-il une volonté du côté du groupe de contrôler les contenus de marques diffusés sur ses médias grâce à votre agence ?
M.E. : En tant qu’agence nous ne faisons pas de media planning, nous n’intégrons pas les canaux Figaro dans nos recommandations. Nous élaborons une stratégie publicitaire à dominante sociale pour nos clients, et du media planning qui se cantonne aux réseaux sociaux lorsque nous diffusons. Nous ne sommes pas restreints aux canaux du Figaro, nous sommes vraiment indépendants de ce point de vue-là.
Les marques ont-elles toute vocation à éditorialiser leurs contenus ?
M.E. : C’est complexe. Tout le monde a quelque chose à raconter et chaque marque à quelque chose à dire, avec un point de vue à défendre. Plus on avance, plus les marques se doivent de porter un message. Toutefois, elles ne sont pas toutes prêtes à le faire, et n’ont pas toute une dimension qui leur permette de le faire. Dans un monde idéal, toutes les marques pourraient raconter une histoire qui passe avant le produit. J’aime à penser que nous devons d’abord être séduits par l’histoire d’une marque avant d’être séduits par ses produits. Par son ADN, le message et l’engagement qu’elle véhicule. Après, certaines marques fonctionnent très bien avec des histoires purement commerciales.
Qu’est-ce que ce type d’agence a de différent par rapport à une agence de communication classique ?
M.E. : À chaque fois, nous tentons d’apporter une vision venue de l’usage que les utilisateurs font des plateformes sur lesquelles nous allons diffuser. Les gens aiment de moins en moins la publicité, car ils sont de plus en plus conscients qu’ils ont affaire à de la publicité. Nous voulons raconter une histoire de marque qui intéresse son audience, et ce pour chaque production réalisée. C’est en cela que nous sommes différents.
Cette démarche se traduit notamment dans notre projet réalisé l’année dernière avec L’Occitane. La fondation de la marque, que personne ne connaissant, porte un engagement extraordinaire autour de la vision et du combat contre la cécité évitable. C’est le combat historique d’Olivier Baussan, le fondateur de L’Occitane. Nous avons donc conçu un magazine papier autour de la cécité évitable accessible aux personnes malvoyantes et qui réunissait tous leurs codes pour qu’elles puissent le feuilleter : typographie, iconographies, contrastes, etc.
Cette prise de parole de cette manière a été déclinée avec un site AAA compliant (accessible aux malvoyants) et des posts traduits en audio description sur leur compte Instagram. Nous avons obtenu une diffusion et un retour d’expérience assez incroyable autour de la marque de la part des voyants et des malvoyants. Dans ce cas, le storytelling est évident puisqu’ils s’inscrit dans le combat de la fondation L’Occitane, mais toutes les marques ont des sujets qui leur tiennent à coeur, parfois plus ou moins proches des produits. C’est ce type d’approche qui va engager les gens.
Faire une énième publicité traditionnelle, même avec du motion design ou le bon son, etc. n’a pas d’intérêt. Les consommateurs ne s’en souviendront pas, ne s’engageront pas : ce n’est pas ce qu’ils cherchent.
Comment travaillez-vous avec le média mode MAD et votre département créatif Humble au quotidien ?
M.E. : À notre arrivée, la volonté était de réunir l’ensemble des expertises social media, avec une partie data-conseil pour comprendre les audiences et leurs comportements, une partie créative et une partie diffusion, elle-même scindée en deux :
– connaissance des réseaux sociaux pour diffuser au bon endroit
– connaissance des médias pour la caution éditoriale.
Tous ces métiers-là étaient réunis au sein de l’agence. Mad est aujourd’hui un média à part entière, même s’il reste incubé au sein de Social & Stories. C’est l’un de nos piliers de diffusion. Pour faire de la publicité, il est aussi fort que les médias traditionnels. Il a une vraie voix.
Ensuite, le conseil et la créa s’avèrent assez compliqués dans une petite agence. Le meilleur moyen de faire cohabiter tous ces domaines était de créer des marques indépendantes, mais liées entre elles pour répondre à l’ensemble des demandes. Social & Stories est donc axé sur la data, le conseil et l’expertise social media auprès des marques tout au long de l’année ; Humble vient compléter avec tout un pan créatif et production de contenus ; et Mad enfin vient apporter une expertise media. Sur un sujet mode, réunir la data, la créa et la diffusion au sein d’une même structure apporte un certain avantage. C’est singulier et puissant pour une marque.
Au quotidien, chacune des trois marques agit de manière plutôt indépendante et vient parfois compléter des dispositifs transverses, comme le média Mad pour amplifier les messages.
Votre statut d’agence au sein d’un groupe média vous apporte-t-il une meilleure connaissance des audiences ?
M.E. : Nous avons la chance d’appartenir à un groupe qui représente une force en termes de data, avec des personnes brillantes pour la décrypter. En fonction des besoins, nous pouvons évidemment y accéder. Nous l’utilisons pour comprendre les audiences et savoir ce qu’elles consomment, dans quels univers, mais aussi quels sont les attributs connexes aux univers de marques. L’accès à cette donnée aide beaucoup le pôle data de Social & Stories.
Ensuite, côtoyer les équipes médias de Mad apporte également une palette de contacts et de connaissances sur l’univers mode qui n’est pas toujours simple à décrypter. Nous sommes en contact permanent avec les équipes sur plusieurs points.
Comment voyez-vous votre modèle d’agence évoluer dans les années à venir ?
M.E. : Nous constatons une mutation des marques vers plus de proximité avec leurs audiences. Nous sommes aux prémices d’un changement où les marques tentent de s’inscrire dans le quotidien des gens. Je ne peux pas parier sur l’avenir, mais les marques ont besoin de comprendre et de s’adapter à la façon dont les gens consomment, nous avons donc notre place. Les marques vont continuer à emprunter cette direction : le display poursuit sa dégringolade, il y a de plus en plus de gens qui investissent dans les influenceurs et dans les réseaux sociaux. Notre démarche d’intégrer l’éditorialisation, de comprendre comment les audiences consomment, ce qu’elles attendent des marques et de proposer une solution créative en écho – la produire en interne et être capable de la diffuser sur l’ensemble des réseaux, est une solution globale qui répond en partie à ce que les marques veulent faire demain.