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En septembre dernier, Perrier dévoilait une collaboration avec Takashi Murakami autour de bouteilles sérigraphiées par l’artiste. La « collision » de leurs univers euphoriques nous a parue aussi pertinente que bien exécutée. Cette intuition s’est depuis traduite par une rupture de stocks partout où les bouteilles collectors étaient mises en vente.
Comment expliquer un tel succès ? Et surtout, comme une marque FMCG peut-elle travailler habilement avec une star de l’art contemporain ?
Éléments de réponse avec Paul Cordina, responsable communication et digital global de Perrier, ainsi que Géraldine Lamamy, directrice associée du cabinet Precious, en charge ici des droits artistiques.
Comment décririez-vous Perrier en tant que marque ?
Paul Cordina : Perrier est le leader des eaux gazeuses dans le monde. C’est une marque forte, iconique et qui a su se démarquer au fil des décennies grâce à un imaginaire pop et créatif.
Tout au long de son histoire, Perrier a utilisé l’art comme vecteur pour entrer en résonance avec son époque.
Perrier a collaboré avec une liste impressionnante d’artistes : Warhol, Dalí, Savignac, Gainsbourg, etc. Comment s’est porté votre choix sur Takashi Murakami, un artiste superstar de l’art contemporain ? Vous a-t-il été recommandé par une agence ?
P.C. : Ce choix est venu de l’interne. Notre stratégie était de réactiver la dimension “arty” de Perrier, ce qui m’a ravi en tant que passionné d’art contemporain. Nous recherchions un artiste contemporain majeur, à l’univers pop, joyeux, coloré et accessible. Un artiste qui pourrait contribuer à la dimension pop culturelle de la marque Perrier.
Le nom de Takashi Murakami est venu spontanément. Il coche toutes les cases en termes de renommée et de valeurs. De plus, il bénéficie d’une image favorable sur tous les marchés, ce qui était clé pour ce projet lancé dans 40 pays.
Géraldine Lamamy (Precious) : Takashi Murakami a aussi l’avantage d’avoir son propre studio. Ce n’est pas un artiste isolé dans son atelier. Tout autour de lui gravite une équipe de professionnels, ce qui est clé pour répondre au cahier des charges d’une collaboration avec une marque internationale comme Perrier.
Comment se rapproche-t-on d’un tel artiste ?
P.C. : Nous avons contacté son galeriste, Emmanuel Perrotin, qui nous a simplement mis en relation. Nous avons transmis une documentation complète à l’équipe de Takashi Murakami, montrant la lignée de collaborations entre Perrier et de grands artistes comme Warhol ou Dalí. Tout cela a été envoyé le vendredi, et le lundi, Takashi Murakami nous donnait une réponse positive !
G.L. : Le fait d’être en contact direct avec le studio de l’artiste nous a permis d’aller ensuite très vite d’un point de vue contractuel et financier.
Est-ce différent de travailler avec un artiste contemporain qu’avec les talents habituellement sollicités pour une communication de marque ? (illustrateurs, artistes musicaux, réalisateurs…)
G.L. : Oui, très différent. On a encore en tête l’image de l’artiste esseulé, à l’esprit torturé et entièrement dédié à son art. Mais les artistes contemporains comme Takashi Murakami sont des entrepreneurs qui ont développé leurs propres marques.
Quand les marques Perrier et Takashi Murakami se confrontent, c’est ainsi beaucoup plus simple. D’autant que Perrier a près de 150 ans d’histoire avec les artistes.
Ceci-dit, nous n’avons jamais eu l’impression de travailler avec une star. Il y a énormément d’humilité chez Takashi Murakami, c’est peut-être culturel.
Takashi Murakami a été particulièrement investi dans le projet alors que nous pensions qu’il allait rapidement confier les déclinaisons à son équipe. Les contraintes techniques liées à la sérigraphie sur bouteille ont nécessité de nombreux allers-retours, auxquels l’artiste a participé. Peut-être parce qu’il était convaincu que “ces bouteilles se retrouveront un jour dans un musée”, comme il nous l’a confié.
Dans une telle collaboration, comment placer le curseur entre la notoriété et l’univers de l’artiste, et ceux de la marque ? N’y avait-il pas un risque que l’artiste, ou inversement, la marque, ne prenne trop de place ?
P.C. : Pour trouver le juste équilibre, il fallait une parfaite adéquation entre l’univers de l’artiste et celui de la marque. C’était la condition sine qua none pour partir sur de bonnes bases. Ensuite, il était important que les deux univers restent reconnaissables et attribuables. Une fois ces conditions exposées, nous avons laissé carte blanche à l’artiste pour qu’il puisse s’exprimer. Nous lui avons simplement permis de capitaliser sur les éléments propres à la marque : le vert Perrier, la lettre “P” du logo façon art nouveau, la signature sonore “pschhh”, ainsi que la forme de la bouteille.
Sur la partie création, cela a été très rapide. Comme l’expliquait Géraldine plus haut, ce sont davantage les contraintes techniques liées aux bouteilles qui ont nécessité des allers-retours, ainsi que les déclinaisons pour nos 40 marchés.
G.L. : Le fait de n’avoir aucun intermédiaire entre l’artiste et la marque a également accéléré les choses. En plaisantant, on se disait qu’il est plus facile de convaincre un artiste contemporain qu’un directeur de création. En se plaçant entre l’artiste et la marque, un DC aurait quelque peu compliqué les choses…
Quels résultats pouvez-nous nous partager concernant cette collaboration ?
P.C. : Le lancement est encore récent, et va se faire progressivement dans le monde.
À l’annonce de la collaboration à la mi-septembre, nous avons obtenu plus de 200 articles dans les médias internationaux. Et nos publications sur les médias sociaux ont généré plus de 500 000 commentaires et réactions.
L’avis des médias a été enthousiaste : “La collaboration dont les gens avaient besoin en 2020 : pop, joyeuse, colorée, accessible”, si je devais résumer leur tonalité globale.
En France, les bouteilles ont été en rupture de stock au bout de 3 jours. Des points de vente comme la Grande Epicerie ou le Drugstore Publicis ont dû instaurer des quotas de bouteilles par personne (2 généralement). Même notre standard chez Nestlé a été pris d’assaut avec des appels de personnes souhaitant acheter ces bouteilles collector. Celles-ci sont déjà mises en vente entre 50 et 100€ sur les sites d’enchères, alors que leur prix public n’est que de quelques euros.
Habituellement, nous concluons nos interviews “Parole d’annonceur “ avec une question sur la relation annonceur-agence. Nous allons aujourd’hui l’adapter : quel est le secret d’une relation réussie entre un artiste et une marque ?
P.C. : Le principal facteur de réussite est de travailler en circuit court avec l’artiste.
G.L. : Toute production atypique, qui s’éloigne des standards publicitaires, nécessite que l’équipe de la marque soit au centre du jeu. Plus elle est impliquée, plus cela motive tout le monde.
Et les annonceurs n’ont pas à être intimidés par les grands artistes, ce sont pour la plupart des personnes très humbles, avec qui le contact direct est clé.