La recette secrète d’Oatly pour dynamiter son marché

Par Élodie C. le 23/05/2024

Temps de lecture : 10 min

"Chez Oatly, on n'aime pas les briefs."

C’est peu dire que Oatly a fait une entrée remarquée sur le sol français. D’une manière que la marque affectionne et pour laquelle elle est reconnue par ses pairs : avec audace, créativité et un je ne sais quoi de savamment punk. Avec des objectifs orientés vers une démarche environnementale et disruptive, Oatly se distingue dans un marché dominé par des géants laitiers, comme Danone et Lactalis. 

Qu’apportent les coups d’éclat comme celui-ci à une marque ? Quels résultats espérer ? Que peut-on attendre de Oatly en termes de communication ?

Elise Prigent, brand lead France chez Oatly, revient sur cette campagne, les défis qui se présentent à la marque et lève le voile sur sa mission première.

Pouvez-vous présenter Oatly, comment se définit-elle en tant que marque ?

Elise Prigent : Oatly est une marque créée dans les années 90. Rickard Öste, le co-fondateur de la marque, était chercheur à l’université de Lund, en Suède, et effectuait des recherches sur l’intolérance au lactose. Suite à cela, il a voulu créer un nouveau type de lait : l’entreprise fondée en 1998 s’est transformée en Oatly en 2001 et est à l’origine de l’invention du lait d’avoine. Notre fondateur a déposé le brevet en 1994, ce qui était assez innovant pour l’époque. Oatly était une marque principalement connue par les végans et les intolérants au lactose.

C’était une PME suédoise avec un chiffre d’affaires non négligeable. Lorsque Toni Petersson est devenu CEO en 2012, il a souhaité sortir Oatly de son marché de niche en mettant l’accent sur l’impact que pouvait avoir un tel produit sur l’environnement alors que l’industrie agroalimentaire est l’une des industries les plus polluantes aujourd’hui. Il a senti qu’il y avait vraiment quelque chose à jouer avec le lait d’avoine, une alternative plus respectueuse du corps humain et de l’environnement. L’idée était d’avoir le meilleur produit possible et le rendre accessible au plus grand nombre (la marque est présente dans plus de 20 pays et reste principalement connue pour son lait mais propose aussi une gamme de produits – yaourt, crème, glace – à l’avoine).

D’où notre relation étroite avec les coffee shops par exemple, et la création d’un lait spécifique qui mousse de la même manière qu’un lait “classique” afin d’être utilisé de la même manière par les baristas. Un produit mass market disponible en commerce. On est rentré par les coffee shops parce que c’était un bon moyen de faire connaître le produit et de montrer qu’il est simple d’utilisation et que c’est délicieux. Cette nouvelle démarche passait logiquement par une refonte de la marque, ce qu’a entrepris John Schoolcraft (global chief creative officer de Oatly, NDLR)  à son arrivée.

Oatly est passée d’une marque un peu “boring” à une marque qui se veut très punk et disruptive. John voulait vraiment mettre la créativité au cœur de l’entreprise : lorsqu’il travaillait en agence, ses meilleures idées étaient tuées par les équipes marketing qui arrivaient avec des briefs tellement précis qu’ils ne laissaient place à aucune créativité derrière.

Oatly est fraichement arrivé en France en fin d’année dernière : quels sont les principaux défis et opportunités de la marque en termes de communication aujourd’hui ?

E.P. : La France reste le territoire de l’industrie laitière notamment avec de grands noms du secteur qui rayonnent à l’international, c’est un terrain de jeu intéressant pour notre marque. La France est aussi un pays très axé sur l’innovation et impliqué dans tout ce qui touche à l’environnement, comme on a pu le voir avec l’Accord de Paris, comme Oatly. L’entreprise était l’une des premières marques au niveau mondial à mettre l’empreinte carbone sur ses packs et ce dès 2019.

En termes de communication, Oatly était pionnière dans sa manière de communiquer, c’est une marque punk qui n’a pas peur d’innover et de communiquer différemment. On retrouve cet aspect punk et bold en France, le pays de Marianne avec des Français qui n’ont pas peur de se révolter. Oatly est une entreprise assez similaire, l’idée est d’implanter la marque en France, de la faire connaître. On doit chercher de la brand awareness et communiquer des messages clés puisque notre mission est essentielle et est au centre de toutes les décisions prises. Nous souhaitons permettre aux Français de transitionner vers une alimentation plus végétale, en conservant la gourmandise, le plaisir tout en ayant un impact positif. 

Cette arrivée sur le sol/marché français s’est réalisée à travers une campagne d’affichage, votre mode d’expression favori (et terrain connu) : pourquoi ?

E.P. : Au moment de présenter le marché français à nos équipes suédoises, j’ai constaté que beaucoup de personnes ne savaient pas que Oatly était déjà présent en France depuis 2-3 ans chez Monoprix. Ensuite, les Français sont très expressifs, mais c’est une population qui reste néanmoins attachée aux formules de politesse. Il était important pour nous de dire “bonjour” aux Français. 

Les équipes avaient nos précédentes campagnes en tête, notamment celle au UK où l’on avait tagué d’énormes murs. Il y a une sorte d’accord tacite qui veut que si les murs ont une vocation artistique et qu’il n’y a aucun logo de marque, c’est OK. Mais comment communiquer sur nos produits sans logo dessus ? C’est tout le génie de nos créas en interne qui ont décidé de jouer avec la perspective, de filmer le tout et de partager le rendu sur les différents réseaux sociaux de la marque. Trois murs, rue des Archives, rue de la Fontaine au Roi et rue Quincampoix ont été choisis pour l’opération.

Il y avait une toilette de chantier, des cartons et un camion pour jouer avec les perspectives des murs. Le camion est resté garé devant le mur pendant deux semaines. Nous voulions vraiment déployer une campagne forte et disruptive, jamais vu auparavant, très créative et dans l’ADN de la marque. On aime bien être “quirky”, un peu bizarre et cette campagne répondait bien à l’ADN de la marque. Cela nous a permis d’arriver sur ce marché de façon créative et innovante tout en proposant quelque chose d’assez traditionnel, l’affichage OOH, avec un twist très Oatly.

Certains commentaires ont pointé du doigt l’usage de l’anglais pour vous exprimer – la France n’est pas connue pour sa pratique émérite des langues étrangères – empêchant la compréhension de potentiels consommateurs. C’est également interdit par la loi Toubon (4 aout 1994) : qu’avez-vous à répondre à cela ? 

E.P. : En prenant le parti de faire une œuvre artistique et non une campagne publicitaire à proprement parler, nous échappions à cette interdiction et l’obligation d’écrire en français. Ce n’est pas un affichage traditionnel, comme on pourrait en voir dans le métro ou sur les bus.

Il y a eu une discussion en interne pour déterminer la langue qui serait utilisée. Étant Française moi-même, j’ai conscience que l’anglais n’est pas la langue préférée des Français. Les différentes installations allaient être filmées et partagées sur les réseaux sociaux, l’anglais permettait vraiment de s’affranchir des frontières, et de faire une campagne non pas française, mais globale. L’arrivée de Oatly en France n’était plus uniquement une info donnée aux Français, mais au monde entier.

Ensuite, Oatly est une marque dont le copywriting est inscrit dans son ADN et qui a parlé anglais dès les premiers jours, même en Suède d’où elle est originaire. Pourquoi changerait-on cela en arrivant en France ? Nous voulions rester nous-mêmes et on avait conscience que cela allait créer de la discussion. Oatly est une voix, notre objectif est de créer des discussions à travers nos campagnes. Alors, ça peut être positif comme négatif, des gens n’ont pas spécialement aimé, mais ça crée tout de même une discussion. L’objectif est atteint.

Quels étaient les objectifs d’une telle campagne, le coup de com’ pur ?

E.P. : Le but était d’annoncer notre arrivée en France, c’est-à-dire la disponibilité du lait d’avoine dans le pays, et de faire en sorte que tout le monde soit au courant. Pour vous dire, mon responsable, alors en Argentine à ce moment-là, en a entendu parler par des personnes totalement extérieures à la marque. Il se trouvait dans un coffee shop à Buenos Aires, a demandé du lait d’avoine et on lui a parlé de cette marque qui a fait une super campagne à Paris…  

Au-delà des retombées presse et de la conversation en ligne qu’une telle campagne peut générer, quels en ont été les résultats ?

E.P. : On ne regarde pas du tout les KPI marketing ou la rentabilité de nos campagnes. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que le post d’annonce sur Instagram est celui qui a le plus performé depuis la création du compte. On atteint 26 000 likes en organique, ce qui est assez dingue. Ensuite, on a eu énormément de relais sur les réseaux sociaux et certains posts ont très bien performé avec des dizaines de milliers de likes. Nous sommes vraiment ravis de cette campagne.

Vous n’avez pas d’agence créa puisque tout see fait en interne, toutefois avec quelle(s) agence(s) travaillez-vous en France ?

E.P. : Nous avons effectivement la chance d’avoir un studio en interne. On n’a pas de brand book dans lequel quelques pages expliqueraient qui on est, nous ne voulons pas figer la marque. On aime bien avoir une marque qui évolue en conservant ses bases et ses origines. C’est pour ça que j’aime beaucoup parler de personne quand j’évoque Oatly : elle va grandir et évoluer, mais elle restera une personne avec son ADN et ses valeurs. 

On passe parfois par des agences pour produire certaines campagnes, comme celle de novembre dernier à Paris. L’agence Avenue nous a aidé à trouver les bons taggeurs parisiens et à mettre le dispositif en place (trouver un camion, des toilettes de chantier, etc.). On apprécie de travailler avec d’autres personnes, mais on cherche à ce que l’idée émerge en interne.

Quels supports de communication privilégiez-vous ?

E.P. : Nous n’avons pas de support préféré pour être très sincère. C’est ce qui fait la force d’Oatly, cette capacité à pouvoir faire des choses complètement différentes. C’est le message et l’objectif de la campagne qui va guider ce choix. Je pense notamment à des campagnes comme Help Dad faites au UK avec The Guardian, où on avait créé un guide pour aider les pères à transiter vers une alimentation plus végétale. 

On a utilisé la vidéo pour interpeller le Parlement européen au moment de l’amendement 171 visant à interdire le mot lait ou les packagings pouvant ressembler à un pack de lait. On a utilisé l’OOH pour Paris, on a fait un pop-up à Milan lors de la Design Week. Tout dépend du message et de ce qui vient à l’esprit de nos créas. Après, l’affichage reste important pour Oatly, mais on ne s’arrête pas à ce média.

Quels messages et image souhaitez-vous véhiculer ?

E.P. : Notre mission est au centre de tout : transitionner vers une alimentation plus plant-based. Cela passe par des bons produits en termes de goût, c’est pour ça qu’on investit énormément en R&D pour venir avec les meilleurs produits, et en termes de santé. Enfin, l’autre valeur propre à Oatly, c’est le côté très punk pour transmettre un message sérieux, militant d’une manière décalée. C’est ainsi qu’on parvient à créer une communauté autour de nous, on ne s’arrête pas à une cible. En marketing, on parle de target, d’un persona défini qui devrait consommer nos produits. La force d’Oatly, c’est son ambition de parler à des vraies personnes, sans avoir une cible en tête. Pour mener notre mission à son terme, nous devons parler à tout le monde.

Dans votre post LinkedIn annonçant l’arrivée de Oatly en France, vous préveniez : « Bonjour Paris, this is just the beginning! » : quelle est l’étape communicationnelle d’après pour Oatly ?

E.P. : Lorsqu’on arrive avec de nouveaux types de produits, il est essentiel de les faire goûter aux consommateurs, comme avec ce vélopresso utilisé lors de la campagne de novembre dernier. Grâce à lui, nous avons pu servir des lattes gratuits dans Paris et une centaine de lattés tous les matins pendant une semaine dans des coffee shops partenaires. C’est à travers le goût qu’on démontre la facilité avec laquelle on peut se diriger vers une alimentation plant-based. Il y aura un événement cet été très What The Fuck et ovniesque et on espère prendre la parole à travers une campagne engagée prochainement.

Dernière question de l’interview et question traditionnelle de notre rubrique : quel est, selon vous, le secret d’une relation agence-annonceur réussie ?

E.P. : Laisser la place aux créatifs. Chez Oatly, on n’aime pas les briefs. On part du principe qu’il faut laisser aux créatifs la place pour pouvoir s’exprimer. C’est l’une des raisons pour laquelle nos créatifs restent chez Oatly pendant des années. Ils peuvent proposer des choses innovantes qui seraient refusées dans la plupart des agences ou chez l’annonceur. 

La confiance est clé et c’est ce qui nous permet d’avoir un impact positif : nos produits sont en adéquation avec les problématiques d’aujourd’hui. On apporte un impact positif en créant la discussion et en créant quelque chose de disruptif.

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