Monotype révèle le pouvoir émotionnel de la typographie sur les consommateurs

Par Élodie C. le 02/04/2023

Temps de lecture : 8 min

De la neuroscience au service des marques.

Un même mot, écrit dans une typographie différente, peut-il susciter diverses émotions ? Rassurer ou au contraire susciter la méfiance ? Monotype, spécialiste des polices de caractères et des technologies associées, dévoile les résultats d’une étude menée avec l’entreprise de neurosciences appliquées Neurons “pour mettre à l’épreuve nos croyances les plus ancrées et découvrir si différentes polices ont réellement un impact sur notre état émotionnel”. 

Comme l’explique Monotype, le but est de comprendre comment la typographie induit des expériences, des associations et des sentiments, et d’évaluer l’efficacité de diverses polices dans des situations uniques. “Les polices peuvent-elles influencer notre réponse aux accroches publicitaires et aux slogans ? Peuvent-elles nous encourager à percevoir le logo d’une entreprise de manière plus positive ? Permettent-elles réellement d’instaurer la confiance entre les marques et les consommateurs ?

Pour la Réclame, Marie Boulanger, brand designer chez Monotype, analyse les résultats de cette étude, qui relève notamment des différences significatives dans la façon dont les Français et les Britanniques réagissent émotionnellement aux polices de caractères.

Pour l’étude, Neurons a testé trois polices de caractères : FS Jack, une police humaniste sans*, Gilroy, une police géométrique sans et Cotford, une police serif. Précision : “Chacune de ces polices de caractères évoque juste ce qu’il faut de familiarité : elles ressemblent à des marques que vous avez déjà vues, mais ne sont pas liées à des entreprises connues.” Et ce, afin d’éviter “les associations subconscientes déjà établies par les systèmes de design des marques.

Ces polices ont été associées à des mots souvent utilisés par les marques pour évoquer leurs propres valeurs : confiance, innovation, qualité. Résultat : le choix de typographie s’est révélé crucial et a permis d’augmenter les réponses positives des sondés, parfois jusqu’à 13%. Ce qui a grandement étonné l’entreprise de neuroscience puisqu’elle enregistre habituellement des réponses comprises entre 0 et 5 %.

Par exemple, le mot « qualité », écrit en Cotford Display Regular – utilisé dans le monde de la mode et du luxe – a été jugé 13 % plus pertinent par les personnes interrogées, 10 % plus mémorable et 9 % plus digne de confiance, souligne le rapport.

Pour ce qui est des slogans/messages publicitaires, la typographie joue notamment un rôle dans la pertinence du message lui-même. On imaginerait mal un service d’assurance écrire son slogan en Comic Sans MS. Ici, Gilroy a suscité des réponses “particulièrement positives” pour les messages plus longs, versus FS Jack et Cotford. Neurons estime que cela pourrait s’expliquer “par le fait que les phrases plus compliquées nécessitent plus de temps de compréhension, et que les lecteurs apprécient donc la simplicité et la lisibilité des formes géométriques de Gilroy.” Elémentaire. 

FS Jack quant à elle renforce les notions de sincérité, d’honnêteté et de pertinence. D’après l’étude :  
– La typographie influe sur la reconnaissance de la marque ;
– La typographie apporte un sentiment de sécurité aux consommateurs ;
– La typographie donne aux marques un avantage concurrentiel.

Ainsi : 
– Pour le mot ‘Confiance’, la bonne police peut renforcer des sentiments de confiance (14%), d’honnêteté (5%) et de sincérité (8%) envers le mot. Dans l’étude au Royaume-Uni, ce même mot pouvait devenir plus innovant (9%), plus prominent (11%) et plus mémorable (7%) ;

– Pour le mot ‘Qualité’, le marché français a tendance à trouver le mot plus honnête (11%), plus pertinent (8%), plus sincère (8%) et plus digne de confiance (10%), tandis que le marché britannique tend vers un mot perçu comme plus innovant (4%), plus prominent (19%) et plus mémorable (15%) ;

– Et pour le mot ‘Innovation’, la France le perçoit comme plus innovant (9%) que le Royaume-Uni, mais voit toutes les autres réactions émotionnelles baisser ;

– Un slogan est reconnu 5 % plus honnête grâce à Gilroy Bold ;
– Un slogan écrit en Gilroy Bold a suscité 12 et 5 % de réactions plus positives en matière d’importance et d’avantage concurrentiel.

Ceci démontre que les valeurs de qualité et confiance semblent résonner davantage à un niveau émotionnel chez le public français comparé au Royaume-Uni. Le graphique montre que peu importe le choix typographique, le mot ‘Innovation’ est moins perçu comme honnête que le mot ‘Confiance’, avec une différence atteignant les 21%. On peut supposer que ces résultats sont liés à des différences culturelles autour de la perception de certains mots et certaines valeurs…”, souligne l’étude.

L’étude a montré des résultats différents entre la France et le Royaume-Uni : “Nous avons observé des différences entre les polices de caractère, mais aussi entre les mots, explique Marie Boulanger. Avec les mots, les différences étaient très marquées. L’intensité des réactions était plus forte sur le marché français que britannique.” En France, les mots qualité et confiance ont suscité plus de réactions positives que le mot innovation. Ce mot semble résonner plus fort outre-Manche. 

Comment se fait-il qu’au pays de la startup nation, des 27 licornes et de la French Tech, les Français ne soient n’est pas plus émotionnellement atteint par le mot “innovation” ? “C’est peut-être lié à la sémantique qui aurait une connotation légèrement négative…”, s’interroge Marie Boulanger. On pourrait ajouter que dans un contexte incertain, les notions de changement induit par le mot innovation peuvent effrayer. Qui plus est aujourd’hui où la dernière « innovation » à la mode, les IA génératives, est promise à remplacer 300 millions d’emplois dans le monde.

Marie Boulanger explique également les différences entre France et Angleterre à la culture visuelle de chaque pays. “L’ambiance visuelle d’un pays à l’autre n’est pas la même, il suffit de se balader dans la rue pour s’en rendre compte. Pour la typographie c’est la même chose. Il y a évidemment des causes historiques, mais aussi des histoires de mode, de préférences, etc. Ce patrimoine culturel et visuel s’adapte à chaque territoire et à son histoire.

Avec une équipe dédiée de 15 personnes, Monotype France aide les marques et agences à s’adapter à ces différences culturelles. On peut alors se demander s’il y a une typographie typiquement française ou qui résonne plus émotionnellement ici ? “Il n’y a pas de vérité absolue fondée sur trois polices de caractères, quelques mots et dans un contexte de branding, toutefois, les familles comme Didone – que l’on doit au typographe du XIXe siècle Firmin Didot – ont un style très français”. 

Elle poursuit : “La France, comme pas mal d’autres pays, à une histoire typographique très riche. Beaucoup d’innovations techniques ont été perfectionnées en France, que ce soit au XVIIe ou au XVIIIe siècle avec des imprimeurs extraordinaires, énormément de typographes et de dessinateurs de caractères prolifiques. À travers ce projet, on commence à percevoir une sensibilité française toute particulière.” 

Par exemple, pour ce qui est de l’étude, la typographie FS Jack, une police sans serif humaniste*, a donné de bons résultats. “Elle a réalisé de très bons scores sur un certain nombre de tests, notamment sur des mesures d’honnêteté ou de confiance. Au Royaume-Uni également, mais dans une moindre mesure. D’un pays à l’autre, cela varie de 20 à 30%.” Même s’il est beaucoup affaire de styles et de modes, comme l’étude tend à le montrer. “Par exemple, CotFord est une typographie très contemporaine, bien qu’elle soit rattachée aux codes du luxe par le dessin, un fort contraste ou des éléments calligraphiques. Ce n’est pas une didone classique du XIXe siècle (comme Vogue, NDLR), mais plus XXIe siècle.” 

Quel rebranding de marque récent démontre cet impact émotionnel ? Marie Boulanger évoque la refonte de M&M’s opérée l’année dernière. “Le Studio Monotype a créé une typographie sur mesure en collaboration avec l’agence JKR. Le parti pris a été de concevoir une typographie sur mesure, baptisée “All together”, très osée et plein de détails, très loin du sans serif sans saveur qui va partout et nulle part en même temps. Ce qui a été fait graphiquement depuis est très intéressant et permet à la mission de bien s’exprimer.

Elle tance au passage le blanding, cette tendance qui a vu nombre de marques – de luxe notamment – gommer toutes aspérités et identités dans un mouvement général en 2019. “On n’est plus dans le blanding qui met du sans serif partout, sans distinction, comme toutes ces maisons de luxe qui ont gommé leur identité historique. On revient justement dessus, notamment avec le rebranding récent de Burberry. La marque est revenue à une proposition plus historique et ornementale, non seulement dans son nouveau logo avec empattements et ornements typographiques, mais aussi avec un blason/emblème très détaillé et travaillé.” 

Un retour au logo d’origine qui lui fait dire que la typographie du futur ressemblera sans doute à une revisite du passé nourrit de nouvelles modes et de nouveaux supports : “Cela montre que ce domaine est constamment en mouvement, rien n’est figé, comme la mode, le design d’objet ou la décoration intérieure, cela fluctue constamment et reste influencé par tout ce qui nous entoure.” 

Marie Boulanger présentera l’intégralité de l’étude lors du Brand Talks by Monotype, le 20 avril de 14h à 19h30 au Huit Valois, 8 rue Valois, Paris 75002. 

*Une typographie “humaniste sans” est basée sur “des formes très calligraphiques, presque humaines dans le tracé et l’écriture, comme la sortie des lettres qui font référence à un coup de pinceau ou de plume, mais aussi dans la manière dont le contraste est construit. C’est une typographie héritée de la calligraphie. C’est le contraire d’une construction très géométrique.

Méthodologie : Trois polices de caractères contrastées et pas utilisé actuellement par de grandes marques ont été mis à l’épreuve : FS Jack, une police humaniste sans ; Gilroy, une police géométrique sans et Cotford, une police serif. Toutes les données contenues dans ce rapport ont été recueillies par Neurons et Monotype dans le cadre d’une enquête portant sur l’impact émotionnel de la typographie. L’étude française a été réalisée en ligne en octobre 2022 auprès de 150 participants, âgés de 18 à 50 ans et résidant en France, avec une répartition égale des sexes. L’étude britannique a été réalisée en ligne en novembre 2021 auprès de 400 participants, âgés de 18 à 50 ans et résidant au Royaume-Uni, avec une répartition égale des sexes.

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