Une escapade à 10 millions de vues.
Depuis 2014, DS Automobiles vole de ses propres ailes après s’être affranchi de la maison mère Citroën. Du mois, en tant que marque, avec sa propre plateforme. La marque nouvellement indépendante entend déployer une nouvelle plateforme de marque. La dernière, datant de 2019, se construit autour de l’art du voyage à la française. Comment inscrire DS dans cet univers épicurien et luxueux, et s’adresser à l’ensemble de ses marchés ? Mogul, l’une des nouvelles agences de TBWA dédiée au brand content, propose un projet ambitieux : The Art of Travel, une création éditoriale originale produite par DS et diffusée sur Prime Vidéo dans 15 pays.
Comment arrive-t-on à faire diffuser du brand content sur une plateforme SVOD où les contenus de marques sont a priori absents du catalogue ? À quels défis Mogul et DS ont-ils été confrontés ?
Bastien Schupp, directeur marketing et communication de DS Automobiles et Nicolas Delacroix, directeur général de l’agence Mogul, reviennent sur le succès pas si inattendu de cette production.
Le brief
En 2021, un premier documentaire, déjà conçu en collaboration avec Mogul, voit le jour autour de la marque DS – de son épopée à sa renaissance, pensée il y a 10 ans de ça pour “faire revivre le savoir-faire du luxe automobile français”. The Art Of DS n’est alors diffusé que sur les réseaux sociaux de la marque. Pour la saison 2, le brief est double :
- Étendre le sujet à l’art du voyage, pas uniquement à la description de ce qu’est DS ;
- intégrer l’un des grands réseaux de diffusion, à savoir Netflix et Prime Video (Amazon).
Pour le format, tout part d’une phrase dans le pitch de l’agence : “Nicolas (Delacroix, DG de Mogul, NDLR) nous avait assuré que ce serait du niveau de qualité de Netflix. Je l’ai pris au mot”, se rappelle Bastien Schupp, directeur marketing et communication de DS. Comme il le concède, un documentaire totalement centré sur la marque a peu de chance d’intéresser l’une de ses plateformes. La marque sera donc placée dans un contexte qui est le sien, le voyage de luxe, en la positionnant comme l’un des acteurs, parmi les autres “prestigieux qui ont bien voulu collaborer”, qui réinvente le voyage à la française (mobilité, hospitalité, expériences et hôtellerie). Un accord a ainsi été trouvé avec Amazon pour diffuser ce film dans cinq pays.
“Aujourd’hui, la démarche de Mogul, dont Bastien (Schupp) est le pionnier, est d’expliquer aux marques que le terrain des médias numériques au sens large, des plateformes de streaming à YouTube, est une opportunité pour s’exprimer différemment qu’avec un discours publicitaire classique”. Pour le directeur général de Mogul, les marques doivent passer d’un statut de marque 100 % intéressée à marque qui se veut intéressante. “Le territoire de l’art du voyage à la française est passionnant parce qu’il est autant intéressant pour un Français qui y retrouve des destinations innovantes, et cela a été un défi de ne pas présenter des destinations vues et revues, mais aussi intéressant pour l’international. C’était le défi fixé par Bastien : le documentaire doit avant tout intéresser nos marchés.”
Mogul a donc fait appel à un journaliste étranger pour observer cette réinvention du voyage à la française. “C’est une démarche très différente de l’écriture publicitaire, entièrement éditoriale, prend soin de souligner Nicolas Delacroix. Les marques ne doivent plus avoir de complexes, mais la même ambition que n’importe quel média pour produire du contenu”. L’agence s’est ainsi attaché les services de Cédric Leprettre, ancien réalisateur de CANAL+ (« Les Nouveaux Explorateurs ») multiprimé pour chapeauter la conception du documentaire.
Les défis
Une telle ambition engendre nécessairement des défis. Comme convaincre les personnes qui apparaissent dans le documentaire de la véritable démarche éditoriale du projet. Par exemple, le designer belge Ramy Fischler est ultra-sollicité et une star dans son domaine. C’est à lui qu’a été confié le projet de modernisation des terrasses des Champs-Elysée ou la création architecturale de Chanel (fragrance & beauty, watches & fine jewelry). Une démarche de brand content pure n’est donc a priori pas une démarche susceptible de l’intéresser. “Il est venu à titre gracieux parce que la démarche était fondamentalement éditoriale, avec un véritable point de vue sur la réinvention de la destination France pour rester la destination numéro un dans le monde”, confie Nicolas Delacroix.
De l’aveu du DG de Mogul, la vente du projet à Prime Video a été un autre défi : “Tout se passe directement avec les Américains via des dossiers de production similaire à n’importe quel contenu éditorial. Il a fallu qu’on montre patte blanche.” Les négociations ont duré deux mois, la plateforme voulant s’assurer de la qualité du contenu exposé à leur audience.
La campagne
-Promotion sur Fire TV (à l’étranger) et l’univers Prime Video ;
-Séquences, trailer et témoignages promus sur YouTube pour diriger vers le format long : format TrueView for Engagement (“permet une belle médiatisation qualitative du format long”).
La bande-annonce
“Toute la difficulté pour nous fut de délivrer un contenu intéressant tout en laissant une trace de la marque, se remémore Bastien Schupp. On a eu pas mal de débats sur le fait d’exposer plus ou moins DS comme marque productrice du contenu de peur de verser dans du publi reportage et que cela lui fasse perdre son intérêt. Inversement, quand le contenu est vraiment intéressant comme ici, il n’y a pas de honte à exposer la marque qui est derrière et crédibilise le sujet.”
Les témoignages
Le documentaire (poussé sur Fire TV et la home de Prime Video)
Les résultats
– Hausse du trafic sur les sites web de la marque corrélé, sur la partie contenu, avec les push média sur le documentaire. “L’objectif n’était pas de vendre des voitures sur le court terme, mais de faire connaître la marque et faire entrer les gens dans l’univers DS, surtout à l’étranger”, précise Bastien Schupp ;
– + de 10 millions de vues, avec presque 10 % de vues complètes du documentaire d’une durée de 45 minutes sur YouTube. « C’est gigantesque ! », se félicite Bastien Schupp. “Je crois que cela fait une vingtaine de milliers d’heures, précise Nicolas Delacroix. Lorsque l’on connait le coût au contact d’une seconde publicitaire, c’est fort.«
Satisfaits des résultats de la première saison, DS et Mogul ont également prévu un complément sur les réseaux sociaux, et notamment sur YouTube. “Le double attelage YouTube – Teads avait très bien performé sur le premier documentaire, nous avons donc opéré la même chose une fois l’exclusivité tombée avec Prime Video (3 mois), explique Bastien Schupp. Depuis le mois de septembre, le documentaire est disponible sur YouTube et nous sommes très satisfaits des résultats, pour ne pas dire même plus satisfaits de ces résultats vs Prime Video : nous ne connaissons pas vraiment les “vrais” résultats de la plateforme puisqu’ils ne sont pas très transparents sur le nombre de vues, où ont lieu les vues, quelle durée, etc. ? Amazon nous a surtout servi pour l’image, aussi bien en interne, qu’en externe : être sur Amazon crée une certaine réputation. En revanche, en termes de performance et de suivi réel, nous sommes beaucoup plus satisfaits de ce qu’on a fait par la suite sur YouTube.”
Nicolas Delacroix poursuit : “Aujourd’hui, YouTube nous paraît être une plateforme extrêmement pertinente pour les formats longs. À partir du moment où on connaît quelques règles d’usage pour maximiser les audiences des formats plus longs et moins traditionnels. Il y a de vrais échanges avec YouTube sur ces aspects-là.”
“Ils sont certes plus transparents sur les résultats, mais toujours pas suffisamment à notre goût : qui sont ces 10 millions de personnes ou au moins ce million qui a vu le documentaire dans son intégralité ?, interroge Bastien Schupp. Des touristes ou une cible intéressante pour DS ? On aimerait pouvoir les retargeter ou au moins analyser leurs profils. C’est un peu la limite de l’exercice. On pousse, mais je ne suis pas certain qu’on parviendra à obtenir toutes ces données. Quantitativement, l’univers YouTube est plus clair que celui d’Amazon sur la performance de leurs contenus ou affiliés. On obtient à peu près la même visibilité des performances que sur les formats publicitaires. Ils se comportent comme une régie. Ce qui nous manque, c’est la performance du documentaire sur Prime Video. Un format qui n’est officiellement pas achetable, puisqu’il y a un véritable filtre qualitatif pour les contenus déployés sur la plateforme.” Et donc pas les résultats qu’une marque souhaiterait obtenir.
Les trois clés de succès
Du courage
Anticiper et provisionner de tels budgets. “En interne, le secret, c’est de mettre de côté des budgets au niveau central pour ce genre de projet, confie Bastien Schupp. Ce sont des budgets bien inférieurs à ce que coute la publicité, mais il faut tout de même les trouver et parvenir à les sécuriser dans un univers où on est constamment poussé sur des résultats court terme.”
Une ambition éditoriale
Bastien Schupp : “Le succès de la première saison a lancé la deuxième. J’étais assez confiant sur les retombées et l’intérêt, même journalistique, du second volet. Nous avons fait une soirée de lancement au premier étage de la tour Eiffel avec des journalistes pour faire connaître cette série et créer un débat autour de l’avenir du voyage de luxe en présence de Seamus Kearney. Nous avons eu beaucoup de retombées journalistiques autour de ça. Ce qui montre que l’on peut vraiment placer la marque dans un contenu plus riche pour l’enrichir sur le moyen terme. C’est un exercice de longue haleine qui n’a pas de sens sur un one shot.”
La qualité des outils de diffusion
“La première clé de succès induit la deuxième qui conduit à la troisième. C’est ce triptyque-là qui génère de l’impact”, conclut Nicolas Delacroix. “Pendant très longtemps, le brand content a consisté à faire du format long, mais surtout plein de formats autour pour affirmer qu’on faisait de l’audience, sans que personne ne voit ce pour quoi on a investi dans la production. Avec ce cas d’école, on démontre qu’avec une belle production et les bons moyens de médiatisation vers la production reine, ça marche. Il n’y a pas besoin de plus que ça.”