En pleine urgence climatique, les stations de ski peuvent-elles encore séduire ?

Par Élodie C. le 19/12/2019

Temps de lecture : 12 min

La transformation de Chamonix-Mont-Blanc racontée par son DG.

Courchevel, les Menuires, Font-Romeu, Les Angles, Val-d’Isère, Valloire, Chamonix, qu’est-ce qui différencie une station / destination d’hiver d’une autre ? Ses installations, les activités proposées, son cadre, son histoire, sa proximité ? Pour Chamomix-Mont-Blanc, dont la charte graphique et le logo ont été définis en 2014, il s’agissait de faire émerger un territoire d’expression et rappeler sa mythologie dans le cadre de la présentation d’une nouvelle plateforme de marque et d’une nouvelle signature : “Ouvrez la voie”.

Un enjeu de taille alors que le secteur du tourisme s’est profondément transformé ces dix dernières années et que les professionnels de la montagne font face aux bouleversements induits par le changement climatique. Comment conjuguer promotion des sports d’hiver et de sa station avec les enjeux climatiques actuels ? Toujours plus de clientèle peut-il suffire à pérenniser le modèle économique des stations ? Comment faire revenir les jeunes sur un territoire qu’ils semblent avoir déserté ? Éléments de réponse avec Nicolas Durochat, directeur général de l’Office de tourisme de Chamonix-Mont-Blanc dans cette nouvelle interview Parole d’annonceur.

Dans quelle situation se trouvait la marque Chamonix-Mont-Blanc avant votre collaboration avec l’agence MNSTR ?

Nicolas Durochat : En 2014, la construction administrative de la marque par l’Office du tourisme a permis de définir une charte graphique et un logo. Ce fut un peu l’élément fondateur de cette marque. Il nous restait toutefois à définir ses piliers et ses valeurs. La destination souffrait autrefois d’un vide d’expression de la marque Chamonix-Mont-Blanc, tant en termes de communication, de storytelling et de présence sur les réseaux sociaux, que d’expression sur le territoire lui-même. L’une des règles d’or du marketing territorial c’est de faire exister la marque sur le territoire avant de vouloir la présenter sur tous les marchés étrangers. Cela coûte moins cher de fidéliser, que de conquérir.

Quel brief avez-vous alors transmis à MNSTR en amont de votre nouvelle plateforme de marque ?

ND : Le brief faisait une cinquantaine de pages, mais je vais tenter de le résumer. Chamonix-Mont-Blanc se trouve dans un contexte de construction de son tourisme et d’une marque qui regroupe aussi bien la ville que la vallée de Chamonix-Mont-Blanc, avec les stations de Servoz, des Houches, de Chamonix, d’Argentière et de Vallorcine. Le brief initial présenté à MNSTR prévoyait de définir les piliers, valeurs et fondamentaux de la marque (signature, charte d’expression de la marque) ainsi que les éléments “totems” d’expression de la marque sur le territoire. C’est-à-dire, comment la traduire sur le mobilier urbain, la signalétique ou le parcours client dans la vallée.

L’un des éléments clés de ce brief, c’est qu’à l’instar des grandes destinations comme Barcelone ou Venise, la vallée de Chamonix-Mont-Blanc n’est pas loin de basculer vers un phénomène de sur-tourisme l’été. Nous voulons poursuivre le développement de notre modèle économique, sans développer à outrance notre clientèle. Nous préférons aller chercher des clients qui consomment l’intégralité de l’expérience client de la vallée sur place. L’idée étant de faire plus de chiffre d’affaires avec moins de clients.

Un exemple. L’hiver, seules 41% des nuitées génèrent du chiffre commercial. Beaucoup de clients ne consomment donc pas l’intégralité de l’expérience client proposée. Dans la perception naturelle des clients, Chamonix prenait un virage “parc d’attractions à la montagne” qui commençait à nous coller à la peau et ne nous convenait pas. Il s’agissait de repositionner Chamonix en nous appuyant sur les vraies valeurs fondatrices et différenciantes de la station. Pour ce faire, MNSTR a choisi de mettre en lumière l’intégralité de l’outdoor accessible dans la vallée.

Notre cible est aussi bien internationale, française que locale, nous devions déployer une communication avec des prismes d’expression pouvant s’adresser à chacun de ces publics. En amont, nous avons travaillé sur une démarche persona : 17 profils ont été identifiés (habitudes de consommation numérique, média, attentes et freins par rapport à la destination, puis pendant et après le séjour, etc.). En revanche, mettre en oeuvre une vraie stratégie de cible dans la vallée de Chamonix est très compliqué à cause de la multiplicité des pratiques et des marchés.

Quels sont les défis actuels d’une station / destination d’hiver ?

ND : Sur le marché du ski, les marchés traditionnels l’ayant nourri arrivent à maturité, voire en phase de déclin. On ne renouvelle pas ou peu la clientèle, c’est le vrai problème. Il faut travailler sur ce renouvellement et aller chercher des leviers de croissance sur les nouveaux marchés, comme l’Asie, le Brésil ou l’Inde.

D’autres enjeux se dessinent et seront très certainement plus importants : nous subissons tous un phénomène de réchauffement climatique, les prévisions “réalistes” prévoient que d’ici 2030, nous tomberons à 6 jours d’enneigement artificiel possible sous 1 500 mètres, et le nombre de journées d’enneigement sera réduite de 15 à 25 jours, Comment réajuste-t-on le modèle économique hivernal des stations face à ces enjeux climatiques ?

Alors qu’ils étaient considérés comme un marqueur social de réussite, les nouvelles générations semblent se désintéresser des sports d’hiver et des séjours à la neige. D’après une étude menée par l’agence PopRock sur les 15-25 ans et « l’outdoor », plus d’un jeune sur deux n’est « jamais allé au ski » : représentent-ils une cible spécifique pour vous ? Confirmez-vous cette tendance ?

ND : Ce n’est pas du désintérêt, on observe le même phénomène en Suisse et en Belgique. Au-delà du phénomène de concurrence de l’offre, on n’éduque plus les enfants au ski. Les classes de neige n’existent plus, les sorties ski non plus, les enfants ne sont donc plus formés à devenir de futurs skieurs et de futurs consommateurs des stations de ski. Cela s’explique par deux raisons :
– un problème de rentabilité des structures d’accueil collectives des classes de neige ;
– un parcours administratif infernal pour l’enseignant avec une sur responsabilisation du corps professoral.

Nous sommes sur un marché qui ne produit plus de nouveaux clients. MNSTR a donc choisi de gommer la pratique des sports de glisse pour aller vers une consommation contemplative, qui invite à l’action et à renouer avec l’outdoor en général : raquettes, randonnée, balade en balcon, ski, etc. La campagne est une invitation à consommer l’outdoor à sa manière. Chacun peut y trouver son exploit et son bonheur.

Le marché du ski est décroissant en France, en tant que professionnels de la montagne, en station ou en institution, nous avons le devoir de renouveler notre clientèle ou nous ne pérenniserons pas notre modèle économique. Lorsqu’on lance le Festival Musilac Mont-Blanc qui se déroule au mois d’avril, c’est clairement pour créer des moments instagrammables pour les jeunes, les faire revenir sur des territoires de montagne et leur donner le goût de la pratique.

Comment comptez-vous séduire cette cible très importante pour le futur ?

ND : Il faut montrer aux jeunes que la montagne n’est pas qu’un lieu où l’on se fait mal. Chamonix-Mont-Blanc tente de renouer avec une vision bien être et hédoniste de la montagne. Nous sommes sur une approche qui montre la montagne comme un lieu où se crée des liens sociaux et des instants à partager en ligne. Nous ne sommes plus sur de la consommation type, levé à 5h du matin pour être sur les pistes à 9h et skier jusqu’à la fermeture des pistes. L’office du tourisme vend une expérience plus globale, un lieu de convivialité : on ski quand on en a envie, on s’arrête dans un bar festif de piste si on le souhaite, et on repart après, etc.

Il y a tout de même une frange de renouvellement de la clientèle montagne, notamment l’hiver avec la grosse viralité des phénomènes freeride, freeski, freerando, les X Games. En revanche, les compétitions de slaloms ou de géant n’attirent plus vraiment les jeunes.

Les illustrations de la campagne “Ouvrez la voie” ainsi que la typographie ont une inspiration très rétro moderne, le parti pris de la vidéo quant à lui semble emprunté aux codes des réseaux sociaux, et d’Instagram en particulier (le téléspectateur est un acteur à part entière qui suit/filme les personnages principaux de dos, face à lui) : qu’avez-vous voulu exprimer à travers cette campagne ?

ND : Ce qui me frappe lorsqu’on arrive dans une station touristique, c’est les photos illustrant le lieu, ce qu’on y fait. Mais on y est déjà ! Une fois sur place, il est préférable de raconter la station, ce qui a fait son histoire.

MNSTR a travaillé sur le point de convergence des trois piliers de la marque : l’ancrage de la marque, l’ancrage culturel de nos sociétés aujourd’hui et l’ancrage du consommateur. Le point de convergence était de dire que l’ancrage de la marque Chamonix-Mont-Blanc est un lieu d’histoire sans fin où le mythe de la montagne a commencé à s’écrire et où il continue de s’écrire : les illustres auteurs qui y sont passés – Chateaubriand, Victor Hugo -, les premières ascensions motivées par un objectif scientifique, les pionniers ou encore la création de nouveaux sports comme le trail running. Parler de mythe dans la vallée de Chamonix n’est ni poussiéreux ni prétentieux.

L’ancrage consommateur explique aussi les illustrations : c’est un lieu où chacun trouve exploit à son image, que l’on soit sportif aguerri, amoureux de la montagne ou nouveau sportif. L’ancrage culturel correspond à un vrai besoin et une attente des sociétés aujourd’hui : la pluralité de paysages uniques (comme la vallée glaciaire notamment) offerts par la vallée de Chamonix et la reconnexion ultime avec la nature.

Sur ce point, nous nous sommes appuyés sur la pyramide de la nature de Tanya Denckla-Cobb. Celle-ci explique que les humains ont besoin d’une connexion journalière, hebdomadaire mensuelle et annuelle avec la nature. Avec en haut de la pyramide, Chamonix-Mont-Blanc.

Les créations de MNSTR traduisent les 3 valeurs de la marque : la notion d’énergie positive (l’attraction que la nature crée avec les gens), l’esprit pionnier (d’hier et d’aujourd’hui), et la notion d’engagement : nous ne sommes pas le Disneyland des sports de pleine nature. Le plaisir dans la vallée de Chamonix se mérite un minimum.

Quels sont les résultats de cette campagne, ou du moins les premiers retours ?

ND : 90% de nos budgets sont numériques et réseaux sociaux, nous avons donc repris notre partenariat avec Google. Notre premier acte de communication a été la diffusion massive du film manifeste sur YouTube : nous sommes aujourd’hui à +3 millions de vues.

À partir du manifeste, nous avons décliné sept capsules vidéo qui représentent les différents villages et persona. La campagne est en cours sur YouTube et nous visons 500 000 vues par vidéo d’ici fin janvier, et 10 millions de vues d’ici la fin de l’hiver.

Nous avons également initié une campagne sur Facebook qui nous a permis de confirmer notre ciblage. Les vidéos performent bien : 2 centimes la vue à 100%. Ensuite, nous avons décliné les visuels pour une campagne display avec un objectif de réservation : nous sommes actuellement à +17% sur notre centrale de réservation.

L’autre grande axe de communication se fera à partir du 9 janvier : nous allons “ouvrir la voie” du métro parisien avec des 4×3 pendant 15 jours, puis la campagne sera ensuite déclinée sur Londres et nos villes cibles.

Comment mesure-t-on d’ailleurs l’impact d’une telle campagne sur l’image d’une station. On imagine que ses effets ne doivent avoir un impact que sur plusieurs saisons ?

ND : Il faudrait une grande étude Médiamétrie, notamment à l’international, mais nous n’avons pas les budgets pour. Nos critères d’évaluation de performance se fondent sur le tracking Google Analytics de toutes nos campagnes depuis 4 ans.

Deux éléments permettent de montrer que la campagne fonctionne :
– sur 2,5 millions de vues, nous atteignons 55 à 56 % de vues à 100%. Nous sommes sur des ratios qui confirment notre ciblage et l’aspect captivant du film. Nos précédentes campagnes faisaient entre 25 à 30% de vues pour un ciblage plus ou moins similaire.
– l’appropriation de la marque par les professionnels du territoire
Pour nous, c’est un marqueur du succès de la marque. Chamonix-Mont-Blanc a été très bien perçue et même applaudie lors de sa présentation aux professionnels. S’ils s’approprient une démarche de marque, c’est qu’elle est juste et que nous nous trouvons sur un nouveau levier de succès : il y a un effet démultiplicateur intéressant pour nous aujourd’hui.

Comment conjugue-t-on promotion des sports d’hiver et des stations (et ses loisirs : spa, hammam, centres commerciaux, piscines chauffées, etc.) avec les enjeux climatiques actuels ?

ND : L’enjeu, l’objectif de base, c’est faire plus de chiffre d’affaires avec moins de clients. C’est dans cette approche-là que nous sommes respectueux de la ressource naturelle. Nous voulons un tourisme qui respecte mieux les enjeux de développement durable. Avec ce repositionnement, Chamonix-Mont-Blanc s’adresse à des clients pour qui la montagne résonne : avec la montagne dans le coeur, qui vont rester plus longtemps et respecter notre fonds de commerce, c’est-à-dire cette ressource naturelle. Nous ne voulons pas empiler des activités qui poussent à la surconsommation. Nous aurions tout aussi bien pu prendre un positionnement Disneyland de la montagne où l’on va chercher des clientèles à tout va et à tout prix.

Nous sommes dans une sorte de marketing territorial environnemental. La protection de notre environnement fait intégralement partie de notre réflexion marketing.

Avec le réchauffement climatique, les stations risquent d’avoir systématiquement recours au canon à neige, très gourmand en eau. Peut-on “verdir” les stations de ski ?

ND : Il faut aller plus loin dans la réflexion. Lorsque l’on se demande comment on peut rendre des canons à neige moins “sale” ou comment diminuer le bilan carbone d’une exploitation de remontée mécanique, on fonctionne toujours sur le même logiciel. Si nous sommes responsables et voulons préserver un avenir pour nos enfants, il faut changer ce logiciel. Certaines stations le font, comme Verbier qui travaille son investissement de manière à être plus rentable sur son activité estivale (avec l’E-Bike Festival, NDLR).

Le label « Flocon vert » que vous avez obtenu permet de reconnaître les stations les plus respectueuses de l’environnement en montagne, que pensez-vous de cette initiative, pensez-vous qu’il a un réel impact sur les consommateurs ?

ND : Je ne suis pas convaincu. Lorsqu’on observe la transformation actuelle de la montagne face au réchauffement climatique, l’enjeu ne réside pas dans la définition d’un référentiel de labellisation pour expliquer comment exploiter au mieux nos activités aujourd’hui afin d’être “responsables”. Il faut se demander comment transformer complètement notre modèle économique pour respecter notre environnement naturel.

Le référentiel doit s’adapter, il faut bien commencer par quelque chose : le label nous ramène effectivement une vraie plus-value et un “guide de gestion” dans le logiciel actuel. Toutefois, nous allons devoir nous adapter pour changer complètement ce logiciel.

Pour Chamonix-Mont-Blanc, le label traduit effectivement sa volonté de faire mieux, c’est sûr, mais cela n’est pas un outil d’attraction pour de potentielles clientèles.

Et pour finir, quel est votre conseil pour que la relation annonceur-agence soit une réussite ?

ND : Quand on parle de destination touristique, il est nécessaire de faire face à une agence qui en a une vraie compréhension. Ce n’est pas un produit industriel avec plein de caractéristiques produits très identifiés. C’est un ensemble et une chaîne de service très complexes. La base d’une bonne relation doit se faire sur une vraie connaissance de la destination et la compréhension de ses enjeux par l’agence : sa population locale, son histoire, son patrimoine, son héritage, etc. Il faut identifier les vrais éléments de singularité de la destination et ne pas resservir les modèles servis ailleurs et revendus à chaque fois.

L’agence MNSTR a passé des heures et des journées entières sur place avant de nous proposer quoi que ce soit. D’autres agences de communication n’ont pas fait cet effort par le passé et n’ont jamais sorti des choses aussi satisfaisantes pour nous. À l’inverse, MNTSR a fait cet effort et continue à le faire… puisqu’ils viennent toujours nous voir (rires).

Ensuite, si l’on est dans une logique d’écoute et de co-construction, on arrive à faire des choses plutôt sympas !

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