Comment Jaguar Land Rover entend s’imposer comme une marque de luxe durable

Par Élodie C. le 04/04/2024

Temps de lecture : 11 min

Design, durabilité et expérience client.

Luxe et durabilité. Voici deux concepts qui se rencontrent et parfois se confrontent. Avec son programme Reimagine, devant conduire le groupe vers le zéro émission de CO2 en 2039, Jaguar Land Rover (JLR) ambitionne de concilier respect de l’environnement et prestige. Une démarche emblématique d’un secteur où l’innovation en matière de durabilité devient un critère de luxe à part entière.

Toutefois, l’équilibre est délicat. D’aucuns railleront la taille ou le poids de voitures en totale déconnexion avec les enjeux climatiques. Le luxe automobile a longtemps été synonyme de puissance et d’exclusivité, souvent au détriment de considérations écologiques. Aujourd’hui, JLR, comme d’autres marques, navigue entre ces attentes parfois contradictoires – les SUV ne sont-ils pas la catégorie de voitures la plus vendue en Europe ? – et des réglementations toujours plus contraignantes. 

Michael Pierre, directeur de la communication de Jaguar Land Rover, nous explique comment le groupe réinvente sa communication autour de 4 marques à part entière, mais aussi son approche produit pour s’aligner sur les nouvelles attentes en matière de luxe, de durabilité et de personnalisation où l’expérience client devient centrale. 

Quel est les principaux défis des marques Jaguar et Land Rover en termes de communication aujourd’hui ?

Michael Pierre : Il y a quatre marques désormais réunies sous la marque ombrelle/corporate Jaguar Land Rover (JLR) : Jaguar, Discovery, Defender et Land Rover. Ces trois derniers produits sont devenus des marques à part entière. Aujourd’hui, le défi est lié au groupe et à l’industrie automobile, révolutionnée par l’effet papillon du Covid et toutes les contraintes de production propres à chaque constructeur (problématiques de pièces, par exemple), mais aussi par les contraintes gouvernementales qui nous dirigent vers de nouveaux produits.

Comment notre groupe parvient-il à s’adapter à toutes ces contraintes et à définir une stratégie gagnante pour l’avenir ? Nous avons déployé Reimagine, notre plan pour les 20 prochaines années il y a presque trois ans maintenant. Nous sommes très impliqués dans une démarche de durabilité en France, avec une politique très largement orchestrée et dirigée vers l’électrique. Jaguar deviendra une marque 100% électrique en 2025 et les marques Land Rover en 2030, avec une première voiture 100% électrique cette année. L’objectif est d’atteindre zéro émission de CO2 pour l’ensemble du groupe en 2039.

Pour atteindre cet objectif, l’entreprise doit évidemment tourner. Notre nouveau marketing est encore plus clair sur nos produits et donne plus de valeur à nos marques : 
– Jaguar va être repositionnée de premium à marque de luxe avec des produits 100% électriques. Tout le marketing va évoluer dans le même sens, la politique de prix, l’image de la marque et toute la chaîne d’expérience client (du digital au présentiel en concession). 

– les marques commerciales de Land Rover vont devenir des marques à part entière – Range Rover, Defender et Discovery. Pourquoi ? Essentiellement pour donner de la visibilité à nos clients et communiquer de manière plus précise sur chacune des marques avec un potentiel affectif et marketing très important. Chez JLR, on a la chance d’avoir des marques qui ont chacune une histoire à raconter.

Comment ces marques adaptent-elles sa communication pour faire face aux défis actuels du marché automobile et du luxe, notamment en termes de digitalisation et de personnalisation de l’expérience client ?

M.P. : L’expérience client est au centre de ces enjeux pour deux raisons : 
– le monde évolue très vite et nous avons besoin de gérer le client dès qu’il se trouve en ligne ;
– en devenant des marques de luxe, nous devenons totalement client-centric, et ce, sans commune mesure avec la catégorie premium. L’expérience client est essentielle, notamment lors de l’arrivée en concession. C’est l’ultime étape pour nous affirmer comme marque de luxe. 

Les produits Range Rover ont évolué et sont devenus encore plus luxueux, confortables, et onéreux, avec une communication propre différente d’auparavant. Un exemple simple : nous travaillons désormais toute la consistance de communication, quand autrefois, chaque pays avait un peu de latitude pour créer du contenu et ses propres campagnes. À présent, les campagnes sont globales. Les comptes des réseaux sociaux par pays sont fermés, seuls les réseaux du groupe international subsistent pour Jaguar et Land Rover, et dans quelques jours apparaitront ceux de Defender, Range Rover et Discovery. 

Toutes nos communications ont été épurées, le logo Land Rover n’apparaît plus, nous travaillons l’inspirationnel et l’émotion. C’est ce que nous cherchons à produire, des émotions et le design sont partie intégrante de cette stratégie.

Comment Jaguar Land Rover entend-elle se distinguer sur un marché de plus en plus saturé ?

M.P. : Grâce aux produits et par notre traitement client luxe. Du côté des produits, nous sommes une des rares entreprises dans le monde de l’industrie automobile dont le numéro 2 est le chief of design (Chief Creative Officer, Gerry McGovern). JLR y est plus que sensible et notre vision avance à travers ce prisme. L’ingénierie est très importante, toutefois le design a vraiment pris le pas sur le reste. Nous créons des objets de désirabilité. 

Auparavant, vous alliez en concession et vous voyiez offrir des remises de 10%. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Pourquoi ? Notre client ne vient pas acheter un prix, mais une voiture qui lui fait plaisir, une voiture qui lui donne envie. C’est le switch que nous sommes en train d’opérer sur nos marques. Cette bascule se réalise à travers les produits et la communication que l’on met en place. Le partenariat de Range Rover avec les AD Design Awards s’inscrit dans cette démarche.

Ensuite, la distinction se fait dans les concessions. Elles sont en pleine transformation, nous modifions du même coup la charte des concessions et l’accueil client, cela prendra un peu de temps et va être adapté au monde du luxe.

Land Rover était partenaire de la Coupe du monde de rugby 2023 ? Quel était l’objectif de ce partenariat et quels en ont été les résultats ?

M.P. : La marque Land Rover est partenaire de la RWC depuis trois éditions déjà et depuis plus de dix ans avec le Top 14. Ce partenariat fonctionne très bien parce qu’il est très simple à comprendre : Land Rover est une marque historiquement basée sur la capacité de franchissement et le rugby est un jeu de franchissement et de robustesse, le lien est naturel. Lorsque l’histoire est aussi simple à raconter, ça tient de l’évidence et c’est simple à comprendre pour le grand public. Il y a une similitude de valeurs. 

La marque Defender est née il y a deux ans et son territoire correspondait naturellement à celui du rugby. Nous sommes parvenus à utiliser cette Coupe du Monde comme plateforme de lancement mondial pour la marque. Ce fut très utile puisque la Coupe du Monde a eu lieu en France, un pays très sensible au rugby, même si nous avons également installé la marque dans tous les pays sensibles à ce sport, comme l’Angleterre, l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, l’Australie. 

Nous avons pu exprimer énormément de choses à travers cette campagne pour la Coupe du Monde 2023. En devenant sponsor d’un événement, notre volonté n’est pas pour mettre des panneaux autour d’un terrain, mais de raconter une histoire commune et apporter une valeur ajoutée à la communauté rugby. Ce qui a donné une campagne mondiale basée autour des “trailblazers”, soit six pionniers que l’on a identifiés sur la terre entière, dont trois qui sont devenus les égéries de la campagne : un Anglais de 14 ans né avec un seul bras qui joue au rugby depuis tout petit ; Ryoshi, un Japonais de 90 ans, toujours première ligne dans son équipe, ce qui est assez exceptionnel ; et le Français Cyril Leroy qui a créé la première équipe de rugby gay en France, les Gaillards. C’est rare qu’un constructeur fasse une campagne corporate non axée sur un produit. Nous en sommes très, très fiers et l’impact a été bon sur toutes les mesures de résultats des campagnes d’affichage.

Un objectif d’installation de marque doit être difficile de quantifier et qualifier, non ? 

M.P. : Aujourd’hui, nous avons la “chance” de pouvoir tout traquer à l’unité près. Aujourd’hui la majorité des investissements s’opèrent sur le digital, c’est d’autant plus facile. On parvient même à traquer les campagnes offline en fonction de différents types d’indicateurs, dont les ventes bien sûr. 

Nous avons apporté une importante valeur ajoutée à la communauté rugby : en tant que partenaire majeur de la Coupe du monde de rugby, nous avions le droit de faire entrer les enfants sur le terrain avec les capitaines sur chacun des matchs. C’était la campagne globale “Defender of Tomorrow” : 66 enfants de moins de 13 ans (ils ne doivent pas être plus grands que les joueurs) ont été sélectionnés sur 4 000 candidatures. C’est une vraie valeur ajoutée parce que vous vous en souvenez toute votre vie, on marque d’une empreinte forte la communauté rugby grâce à cela. 

Nous avons également mis en place une campagne d’hospitalité avec les Defender House, des maisons à l’image de la marque à Paris, à Marseille et à Nice pour recevoir tous les clients qui souhaitaient passer, avant ou après le match pour vivre une expérience de marque. Tous les clients pouvaient par exemple se faire tirer le portrait par le photographe Jean-Pierre Pagès, derrière Gueules de rugby. Et nous avons aussi créé une édition limitée de 23 Defender Rugby World Cup France 2023 (150 000 euros quand même).

Avec quelles agences travaillez-vous en France ?

M.P. : Avec plusieurs agences internationales pour la communication globale : l’agence média Omnicom Media Group, avec sa filiale Hearts & Science, pour l’achat d’espace et Accenture Song pour la création et la communication data-driven. Nous sommes très focus sur la data et l’analyse des performances de chacun de nos assets. Pour l’expérientiel, nous collaborons avec des agences locales, dont certaines sont spécialisées dans l’automobile, comme Nova Team, Driving Evolution et de temps en temps avec Ubibene et MCI. Enfin, Et pour le sponsoring, et plus précisément, le partenariat, nous travaillons avec l’agence Eventeam. 

Sur quels médias investissez-vous en priorité ?

M.P. : Notre positionnement luxe nous a conduit à revoir notre communication. Nous ne faisons plus de radio par exemple, le support en lui-même ne permet pas d’exprimer tout ce que nous souhaitons faire passer. Nous avons réinvesti le print en revanche, notamment les titres affinitaires avec les valeurs que nous souhaitons associer à la marque. Nous investissons beaucoup le digital avec des nombreuses campagnes sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook et Instagram et de temps en temps sur Pinterest. C’est une cible complémentaire intéressante. Nous faisons également beaucoup de programmatique pour viser le plus de performances possible.

Ensuite, à côté des campagnes génériques, nous mettons en place des renforts à des moments précis sur du OOH et DOOH. C’est très important pour nourrir la désirabilité des marques et avoir un impact émotionnel plus fort auprès du grand public. Nous avons par ailleurs commencé à tester la TV connectée et la TV segmentée pour affiner notre ciblage.

Comment adaptez-vous votre communication aux nouveaux enjeux climatiques ? 4×4, SUV, imaginaire et clientèle luxe, certains pourraient vous reprocher d’être à rebours des enjeux climatiques actuels. Que leur répondez-vous ?

M.P. : Je ne fais pas de greenwashing, si on a besoin de communiquer pour montrer qu’on est durable, c’est antinomique. Lors d’une campagne de communication, l’objectif principal est de provoquer un impact et de la désirabilité autour du produit. En revanche, le plus important pour nous, c’est la stratégie autour du produit. Nous investissons 15 milliards d’euros sur cinq ans pour l’électrification des marques. La promesse, ce n’est pas une promesse de communication, c’est une promesse produit : nous ne sommes pas green parce qu’on communique green. Nous ne sommes pas durable parce qu’on communique durable. Nous sommes durable parce que nos produits sont des produits durables. 

Après, on pourra toujours critiquer le poids des voitures, etc. La technologie embarquée et le confort pèsent lourd. On se trouve face à une politique à deux, voire trois, quatre vitesses : nos copains européens, comme l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, ne sont pas du tout contraints aux mêmes réglementations que la France qui est très avant-gardiste sur le sujet de la durabilité et de l’industrie automobile. Certaines marques sont plus propres à répondre aux contraintes de l’État parce qu’elles sont positionnées sur des produits plus appropriés selon l’État, mais pas forcément adaptés au choix de la population.

Si vous ne voulez pas une voiture de ce poids ou cette forme-là, ne l’achetez pas. Chacun dispose de son libre arbitre. JLR se dirige indubitablement vers des produits durables. La quasi-intégralité de la gamme Land Rover est déjà électrifiée (MHEV* pour Mild Hybrid Electric Vehicle) avec des produits hybrides rechargeables et très performants. Sur Jaguar, de la même manière, presque l’intégralité de la gamme est électrifiée, et nous proposons déjà du 100% électrique. La réponse de la durabilité se situe sur notre promesse produit et sur les investissements actuellement réalisés.

Quel rôle la marque espère-t-elle jouer dans ce paysage futur ? Comment voyez-vous votre secteur évoluer dans les prochaines années ?

M.P. : Tout part d’une vision et d’une stratégie de marque, la stratégie Reimagine avec l’électrification. JLR se voit évidemment comme une marque de luxe, mais plus qu’une “simple” marque de luxe électrique, comme une solution de mobilité électrique de luxe. Nous proposons des solutions alternatives à l’achat d’une voiture, des locations, longue durée, mais aussi de courtes durées. Nous nous positionnons sur un autre type de demande en fonction de l’évolution de la société et de la consommation. Donc, moins de volume. En 2018, nous vendions 14 000 voitures contre 9 500 aujourd’hui. Et c’est très bien si ça reste ainsi. Notre objectif n’est pas de vendre plus de 9 500 voitures.

Comme sur toutes les autres industries, l’industrie automobile augmente ses tarifs de l’ordre de 10 à 20%. Renault, Peugeot, tout le monde augmente ses tarifs, et nous aussi, mais avec tout le marketing autour. Les produits changent également. 

Et pour finir, quel est votre conseil pour une relation annonceur-agence réussie ?

M.P. : La connaissance de la marque et des produits, la confiance et la transparence. J’ai fait 20 ans d’agence auparavant et je n’arrête pas de répéter, “attention aux Teams les agences”. C’est la facilité, un gain de temps bien sûr, de productivité peut-être, mais c’est souvent au détriment de la confiance, élément central dans une relation agence et annonceur. 

Les idées sont importantes, mais vous n’aurez jamais de plus pertinentes et meilleures qu’en connaissant votre client et ses produits. Retournez chez les annonceurs. Remettez en place des réunions présentielles. Régulières. J’allais toutes les semaines ou deux semaines chez mes clients lorsque j’étais en agence. Cela me permettait de communiquer, d’interpréter la gestuelle non verbale, d’être plus concentré sur le projet, d’avoir une meilleure communication tout simplement.

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